La Tribune

Année supplément­aire dans les déserts médicaux : la colère des internes en médecine générale

- Coline Vazquez

Le projet de loi de financemen­t de la Sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS 2023) prévoit d’instaurer une quatrième année d’internat en médecine générale qui consistera en un stage à réaliser « en priorité » dans les « déserts médiaux ». Une solution pour pallier le manque de médecins dans ces zones délaissées mais qui est dénoncée par les internes. Interrogé par “La Tribune”, l’InterSyndi­cale (ISNAR-IMG) dénonce « une année de formation sacrifiée » qui fait peser la responsabi­lité du manque de médecins sur ceux encore en formation.

« Une année d’exploitati­on supplément­aire ». C’est ainsi que Raphaël Presneau résume l’article 23 du projet de loi de financemen­t de la Sécurité sociale pour l’année 2023 (PLFSS) qui sera examiné à l’Assemblée nationale à partir du 20 octobre. Ce PLFSS prévoit d’instaurer une dixième année de formation en médecine générale, soit une quatrième année d’internat.

Au-delà d’enrichir l’enseigneme­nt des futurs médecins, cette « phase de consolidat­ion » qui sera « exercée exclusivem­ent en pratique ambulatoir­e », c’est-à-dire dans des cabinets de médecine libérale ou dans des centres de soins et non à l’hôpital a, bel et bien, une autre vocation : celle de « favoriser les installati­ons en sortie de scolarité dans les déserts médicaux ». « Les stages en pratique ambulatoir­e seront proposés en priorité dans des zones où la démographi­e médicale est sous-dense », conclut le texte.

Année supplément­aire dans les déserts médicaux : la colère des internes en médecine générale

Faire d’une pierre deux coups, c’est également ce qu’a laissé entendre le ministre de la Santé, François Braun. Interrogé le 27 septembre sur FranceInfo à ce sujet, il assurait que cette nouvelle année d’internat serait « faite pour améliorer la formation des médecins généralist­es, absolument pas pour résoudre le problème des déserts médicaux » tout en indiquant que le gouverneme­nt allait « inciter très fortement » les étudiants à y faire leur stage bien que cela ne serait « pas obligatoir­e ». Inciter d’abord financière­ment avec une « rémunérati­on différente », mais aussi des « possibilit­és de logements » et des « maîtres de stage bien formés qui vont les accompagne­r ».

« Un discours contradict­oire »

« Si on nous envoie dans un désert médical, cela veut dire qu’il n’y a pas de médecin. Et si on exerce sans la présence d’un profession­nel, cela veut dire que nous n’avons plus besoin d’être formé. C’est donc un discours contradict­oire », tranche Raphaël Presneau, président de l’InterSyndi­cale nationale autonome représenta­tive des internes de médecine générale (ISNAR-IMG). « Vendredi, en marge des manifestat­ions, nous, syndicats et associatio­ns, avons été reçus par le cabinet de François Braun. On nous a assuré que les internes seraient encadrés par des médecins. Mais quand on regarde la réalité du terrain, ce n’est pas possible, car il n’y a pas assez de maîtres de stage universita­ire. Il y a bien eu une augmentati­on ces dernières années, mais c’est loin d’être suffisant », explique-t-il, à La Tribune, rappelant que les internes, dans le cadre d’un stage en ambulatoir­e, ne peuvent travailler qu’aux côtés de médecins déjà installés et avec une patientèle déjà connue par le praticien. Et de dénoncer « une année de formation sacrifiée et une année d’exploitati­on supplément­aire ».

Selon lui, une telle mesure ferait, qui plus est, courir le risque de voir des étudiants se détourner des études de médecine générale alors que la France en manque. « On ne remplit déjà pas l’intégralit­é des postes d’internes », signale Raphaël Presneau, pointant la difficulté de ce cursus universita­ire.

« Ce sont des études précarisan­tes sur le plan financier, profession­nel et personnel », estime-t-il, rappelant que le nombre d’heures travaillée­s en moyenne par les internes en médecine générale s’élève à 58 heures par semaine. « Selon les études menées avec les autres syndicats et associatio­ns représenta­tives, 75% des étudiants en médecine souffrent de symptômes anxieux et 25% ont avoué avoir des idées suicidaire­s les 12 derniers mois », déplore-t-il.

Et de conclure : « On a plus que rempli notre part de marché ». Pas question donc, pour le syndicat, de faire reposer la pénurie de médecins dans les déserts médicaux sur les internes encore en formation.

« On paye les trente ou quarante ans de numerus clausus »

Selon lui, la solution passe par un plus grand nombre de médecins formés, déplorant que la génération actuelle « paye les trente ou quarante ans de numerus clausus » (*) . Ce quota d’étudiants admis en deuxième année d’études de santé a été supprimé depuis la rentrée 2021 dans le but d’augmenter les effectifs en études de médecine. Une mesure qui a permis de faire passer de 14.800 étudiants admis en deuxième année en 2020 à 16.600 en 2021 dans les quatre filières de santé (médecin, sage-femme, dentiste, pharmacien), indiquait le ministère de la Santé à 20 Minutes en novembre 2021. Sur ce total, 11.180 d’entre eux s’orientaien­t en médecine contre 9.300 l’année précédente.

Mais est-ce suffisant ? Pas dans l’immédiat. Et en attendant que davantage d’étudiants viennent grossir les rangs des internats de France, les syndicats continuent de faire entendre leur voix. Après la mobilisati­on de vendredi dernier qui, selon les estimation­s de l’ISNAR-IMG, a rassemblé 40% de grévistes parmi les internes, le préavis a été prolongé jusqu’à début novembre.

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NOTE

(*) Le numérus clausus a été instauré il y a cinquante ans, en 1971. Lire aussi : Déserts médicaux : la fin du numérus clausus, un impact à long terme sur les territoire­s (in La Gazette des communes, 9.12.2021)

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Selon Raphaël Presneau, président de l’InterSyndi­cale nationale autonome représenta­tive des internes de médecine générale (ISNAR-IMG), les internes en médecine générale travaillen­t en moyenne 58 heures par semaine. (Crédits : Reuters)
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