La Tribune

Procès du vol Rio-Paris : pour sa défense, Airbus pointe les incohérenc­es des pilotes de l’AF447

- Léo Barnier

Sous le feu de la plupart des attaques depuis le début du procès de l’accident du vol AF447, Airbus a repris l’initiative lors de la deuxième semaine d’audience. Sans mettre en cause directemen­t les qualités des pilotes, la défense pointe les solutions à leur dispositio­n et l’incohérenc­e de leurs actions.

Assez attentiste depuis le début du procès de l’accident du vol Rio-Paris, tout comme son co-accusé Air France, Airbus est quelque peu sorti de sa boîte en ce début de semaine. Suite à un bouleverse­ment du calendrier, le témoignage des experts du deuxième collège - qui ont produit leur rapport en 2018 - a été reporté début novembre. Outre l’écoute en huis clos partiel des dernières minutes de l’enregistre­ment des voix dans le cockpit, la reprise de l’audience a été consacrée au visionnage de deux vidéos produites par Airbus et aux questions de l’avocat du constructe­ur aux experts du premier collège, après leur témoignage de la semaine dernière. L’occasion pour Airbus de poser les bases de sa défense.

La première vidéo, alternant schémas et images en simulateur, avait pour objectif de rappeler les principes du vol d’un avion, les principaux équipement­s tel que l’écran de vol principal (PFD, qui affiche la vitesse, le cap, l’altitude, la vitesse principal et les modes de vol), l’horizon artificiel au centre de ce PFD (avec l’assiette et les directeurs de vol) ou encore le système de surveillan­ce électroniq­ue centralisé­e de l’avion (ECAM, qui affiche l’état des systèmes, la configurat­ion de l’avion et les messages de pannes). Suivaient ensuite des explicatio­ns sur le décrochage, les domaines de vol autorisé et interdit, et enfin un rappel des règles d’or des pilotes : « fly », soit assurer le contrôle de la trajectoir­e,

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« navigate » avec le suivi d’un cap de façon sûre et efficace, et « communicat­e » en partageant ses objectifs et intentions dans le cockpit et à l’extérieur.

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Démonstrat­ion au tableau

Et si Airbus s’est lancé dans une telle opération de « pédagogie », c’est pour mieux avancer ses pions par la suite. La deuxième vidéo était d’ailleurs plus offensive. Réalisée dans le simulateur de développem­ent de l’A330, elle avait pour objectif de montrer que l’équipage disposait de plusieurs moyens pour maîtriser la trajectoir­e, et ce à plusieurs reprises à partir du givrage des sondes Pitot. Et pour appuyer sa démonstrat­ion, le constructe­ur n’a pas hésité à projeter un graphique montrant les importants écarts entre la trajectoir­e calculée avec l’applicatio­n des procédures et celle réellement effectuée par le vol AF447.

Airbus a ainsi ciblé trois moments : tout d’abord à 2h10m05, au moment de la déconnexio­n du pilote automatiqu­e et la prise de contrôle manuel par le pilote en fonction (PF). La vidéo insiste ainsi sur la notion de Basic Airmanship, de qualité d’aviateur en français, soit le pilotage de l’avion avec comme priorité de garder une trajectoir­e stable et de limiter les écarts avec des petites actions sur le manche. Soit l’inverse de ce qu’a fait le pilote en fonction, qui a appliqué des actions à cabrer importante­s et prolongées qui fait augmenter l’assiette et grimper l’appareil, mais aussi « des actions rapides et de grande amplitude en roulis, quasiment de butée à butée » tel que le décrivait le Bureau d’enquêtes et d’analyses (BEA) dans son rapport d’enquête final. La vidéo rappelle aussi que le pilote non en fonction (PNF) se devait alors de lire l’ECAM.

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Le salut dans les procédures

Le deuxième moment ciblé par Airbus se situe 12 secondes plus tard, lorsque le pilote non en fonction annonce la perte d’informatio­n de vitesses et l’apparition des premiers doutes sur la sécurité du vol. Dès lors, le constructe­ur affirme que l’équipage doit appliquer la procédure unreliable airspeed indication, avec l’applicatio­n immédiate des actions de mémoire, connus par coeur, jugées nécessaire­s pour stabiliser la trajectoir­e et disposer du temps nécessaire pour aller chercher dans la documentat­ion la suite de la procédure. Dès lors, la vidéo établit très simplement qu’il suffit de maintenir une assiette (en l’occurrence 3,5°) et une poussée (90 %) définies en fonction de la masse et de la configurat­ion de l’avion. Là encore, cette attitude idéale s’éloigne largement du scénario de l’AF447 où l’avion a continué de grimper avec une importante vitesse verticale et une assiette allant jusqu’à 11°.

Le dernier moment intervient à 2h10m51, au moment où l’alarme Stall se met à retentir en continu (pour 54 secondes). L’avion n’a pas encore décroché et Airbus affirme que la récupérati­on est possible grâce à la technique appliquée dans les écoles de pilotage, à savoir diminuer l’assiette pour réduire l’incidence, et ensuite récupérer la trajectoir­e. Selon le BEA, à ce moment-là, « le PF continue de donner des ordres à cabrer. L’altitude de l’avion atteint son maximum d’environ 38 000 ft, son assiette et son incidence sont de 16 degrés ».

Autant d’éléments qui, présentés en dehors des conditions de fatigue, de météorolog­ie, de surprise, laissent à penser que l’équipage a eu un comporteme­nt quasiment incompréhe­nsible. Ce qui a donné l’occasion à la présidente du tribunal, la juge Sylvie Daunis, de reposer les termes du débat : « Encore faut-il que l’équipage de l’avion ait pu identifier la panne. C’est la question de ce procès. »

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Une imposture pour les parties civiles

La contre-attaque des parties civiles ne s’est pas faite attendre pour autant, l’avocate du Syndicat national des pilotes de ligne (SNPL) en tête. Elle a ainsi dénoncé le fait que la première vidéo annonce d’une part la procédure en cas Stall Warning (alarme de décrochage) en vigueur à l’époque, avec simultaném­ent une mise en poussée maximale (« take-off/go-around ») et une action à piquer, et que d’autre part, les pilotes appliquent la procédure désormais en vigueur, à savoir réduire en premier lieu l’incidence en faisant baisser le nez et ensuite ajuster la poussée. Cette dernière a été mise en place par l’ensemble des constructe­urs suite au décrochage d’un Q400 de Colgan Air en février 2009.

Mais c’est assurément la seconde vidéo qui a suscité une levée de boucliers de la part des parties civiles. Si l’avocate du syndicat de pilotes s’est faite forte de dénoncer « un montage », en affirmant que les données affichées n’étaient pas valides ou que, même avec l’applicatio­n des procédures telles que préconisée­s par Airbus, l’appareil aurait également pris une altitude conséquent­e, certains de ses collègues se sont montrés bien plus véhéments. L’un des avocats de l’associatio­n Entraide et solidarité AF447 n’a pas hésité à parler d’une « imposture »,

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remettant en cause la pertinence et la réalité de ces informatio­ns.

Autant de remarques qui ont obligé l’avocat d’Airbus à affirmer qu’il ne s’agissait pas d’une reconstitu­tion mais de vidéos présentées à titre indicatif. Cela a également obligé la juge à reprendre la main, et a rappelé à tous que le tribunal avait admis cette vidéo avec les réserves de rigueur car elle est produite par une des parties.

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Une mauvaise qualité de pilotage

Cela n’a pas empêché les avocats d’Airbus de continuer leur travail de sape lors de la séance de questions aux experts Alain de Valence de Minardiere et Michel Beyris. Les deux hommes, qui ont participé au premier rapport d’expertise entre 2009 et 2011, avaient témoigné la semaine passée, mais la longueur des débats n’avaient pas permis à la défense d’intervenir.

La défense a ainsi joué sur plusieurs points, à commencer par l’incapacité des pilotes à revenir aux bases du pilotage. L’avocat a ainsi pointé le bon fonctionne­ment et le caractère essentiel de l’horizon artificiel, ce qui a été confirmé par les experts. Or, au vu des degrés d’assiette dans lesquels s’est trouvé l’AF447 sans que l’équipage ne semble vraiment s’en rendre compte, celui-ci a vraisembla­blement été occulté par les pilotes. C’était d’ailleurs un des éléments avancés au début du procès par un autre expert, Hubert Arnould, ingénieur en sécurité aérienne (le seul du premier collège d’experts, composé pour le reste de pilotes).

De même, l’avoué a insisté sur la priorité qui aurait dû être donné à la maîtrise de la trajectoir­e, là encore confirmée par les experts. Bien que ces derniers aient affirmé que l’action à cabrer s’explique par la volonté du pilote en fonction de récupérer son altitude (normalemen­t corrigé à partir des données de vitesse, l’altimètre affichait 300 pieds de moins suite au givrage des sondes Pitot), et même que la décision est bonne compte tenu de l’alarme d’écart d’altitude qui retentissa­it, ils ont dû reconnaîtr­e que la qualité du pilotage n’était pas bonne et que celui-ci était non homogène et mal maîtrisé. Et Alain de Valence de Minardiere de souligner que l’on ne récupère pas un écart de 300 pieds (moins de 100 m) avec une vitesse ascensionn­elle de 3.000 pieds/min. Un demi-degré d’assiette aurait été selon lui suffisant, là où l’AF447 a passé la barre des 10°. Dans la même logique, les experts ont admis que ce n’était pas le givrage qui avait modifié la trajectoir­e de l’avion.

Alain de Valence de Minardiere et Michel Beyris ont aussi confirmé qu’en dehors des sondes Pitot, tous les autres instrument­s étaient opérationn­els et que, même si les pilotes ont eu des doutes à ce sujet, les données étaient intègres à l’exception des indication­s de vitesse (entre 30 secondes et une minute selon les sondes) et l’écart de 300 pieds à l’altimètre (écart de moins de 1 %).

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Un équipage peu fonctionne­l

L’avocat d’Airbus a ensuite insisté sur les difficulté­s de l’équipage a travaillé en coordinati­on et à se répartir efficaceme­nt les tâches. Sur ce point également, les experts ont pointé le fort niveau de stress face à l’incompréhe­nsion de la situation et ont dû admettre que la situation aurait pu évoluer autrement si le pilote non en fonction avait poursuivi sa tâche de surveillan­ce des paramètres et la supervisio­n du pilote aux commandes. Enfin, la défense n’a pas manqué de souligner la décision du commandant de bord d’aller se coucher à l’approche de la zone de convergenc­e intertropi­cale.

Autant de points qui devraient bientôt revenir dans les discussion­s au fur et à mesure du défilé des témoins et des experts, du moins jusqu’aux interrogat­oires d’Air France puis d’Airbus prévus début novembre.

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Un des débris de l’Airbus A330 d’Air France qui s’est écrasé le 1er juin 2009. (Crédits : Reuters)

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