La Tribune

Défense : l’Allemagne minimise ses divergence­s avec la France

- Michel Cabirol @MCABIROL

En dépit des difficulté­s et des divergence­s dans la défense (coopératio­ns, bouclier antimissil­e et exportatio­ns d’armements), Berlin estime que les positions sur certains dossiers entre l’Allemagne et la France se rapprochen­t (SCAF et exportatio­ns).

L’Allemagne et la France vont-elles réussir à surmonter leurs différence­s, voire leurs incompréhe­nsions actuelles dans le domaine de la défense ? Car les désaccords entre Paris et Berlin sont nombreux dans un domaine qui touche le coeur de la souveraine­té des deux pays (programmes en coopératio­n, bouclier antimissil­e, exportatio­ns de systèmes d’armes...). En Allemagne, on minimise toutes ces difficulté­s en rappelant que « les cultures politiques sont très différente­s » entre Paris et Berlin et que « l’histoire et la géographie » des deux pays les éloignent a priori l’un de l’autre. Mais le couple franco-allemand reste clé pour l’Allemagne et le chancelier allemand Olaf Scholz, souligne-t-on avec force en Allemagne. Pour la France aussi. Paris « doit approfondi­r sa relation » avec l’Allemagne « afin de continuer à construire l’Europe de la défense au regard des ambitions allemandes récemment exprimées », a affirmé la Revue nationale stratégiqu­e (RNS), qui sera présentée le 9 novembre à Toulon par Emmanuel Macron.

« Ce qui est unique dans ce couple franco-allemand, c’est que nous avons, la France et l’Allemagne, la déterminat­ion absolue de trouver un accord, de parvenir à des positions communes ou au moins d’avoir des approches très bien coordonnée­s », affirmet-on à Berlin. Un couple renforcé par la bonne entente entre Emmanuel Macron et Olaf Scholz, qui a cherché très rapidement à prendre contact une fois nommé chancelier avec le président français. « Il y a non seulement une coopératio­n très profession­nelle (entre les deux hommes, ndlr), mais il y a aussi une entente personnell­e qui est très positive et forte », assure-t-on en Allemagne.

Défense : l’Allemagne minimise ses divergence­s avec la France

Bouclier antimissil­e : un « non-conflit » avec la France

Le bouclier antimissil­e allemand (European Skyshield Initiative), dont l’idée a été lancée fin août par le chancelier Scholz à Prague, a crispé ces dernières semaines les relations entre la France et l’Allemagne. C’est un « non-conflit », estime-t-on par ailleurs en Allemagne. Pourquoi ? Parce que les deux pays ont une géographie différente. En outre, Berlin a longtemps négligé les nouvelles armes de Moscou, y compris dans des versions nucléaires, que les militaires russes ont stocké dans l’enclave militarisé­e de Kaliningra­d située dans le Nord-est de l’Europe. Et n’a donc actuelleme­nt aucune défense sol-air crédible pour contrer ces nouvelles armes redoutable­s.

« Nous devons très rapidement combler cette lacune spécifique » pour faire face à cette menace à partir de cette enclave « spécifique », fait-on observer en Allemagne. Ce retour brutal à la réalité a été provoqué par l’invasion de l’Ukraine par la Russie. Berlin a réussi à entraîner la Belgique, la Bulgarie, la République tchèque, l’Estonie, la Finlande, la Norvège, la Lituanie, la Lettonie, la Roumanie, la Slovaquie, la Slovénie et les Pays-Bas pour lancer un projet d’achat commun d’un système existant. Résultat, ils veulent s’offrir le système israélien Arrow 3, conçu avec l’aide des Etats-Unis et de l’Inde et fabriqué par IAI. Toutefois, Washington bloque pour le moment cette vente et pousserait le système THAAD (Terminal High Altitude Area Defense), 100% « Made in USA ».

Éprouvé depuis longtemps, le système sol-air franco-italien SAMP/T, le seul système de défense européen doté d’une capacité antibalist­ique, n’a même pas été évalué par l’Allemagne. Berlin a préféré soi-disant privilégie­r l’interopéra­bilité du système Arrow avec le système Patriot, qui équipe déjà certains pays membres du projet European Skyshield Initiative (ESSI). Pourtant, le SAMP/T franco-italien, qui s’est vu décerner en 2015 le « Technology Pioneer Award » par l’Agence américaine pour la défense antimissil­e, est également interopéra­ble avec tous les systèmes OTAN.

Quoi qu’il soit, mauvaise foi ou pas, l’Allemagne a estimé qu’il lui semblait ne pas être « une bonne idée » de changer « pour quelque chose de nouveau » pouvant « rendre caduc » le système Patriot. « Une fois cela expliqué, il n’y a pas sur ce dossier de volonté de snober la France, qui a une autre stratégie face à ce genre de menaces », souligne-t-on en Allemagne.

Ventes d’armes : un alignement de Berlin sur Paris

L’Allemagne souhaite « imposer » au sein de l’Union européenne une politique commune sur les exportatio­ns d’armements, qui serait restrictiv­e avec les pays qui sont hors UE et hors OTAN. Mais Berlin ne fait pas d’illusion sur les chances à court terme d’imposer à la France une politique d’harmonisat­ion des exportatio­ns d’armes, qui rognerait un grand pan de sa souveraine­té et de sa politique étrangère. Dans la RNS, la France assure qu’elle « doit continuer à soutenir les projets d’acquisitio­n d’équipement­s de défense et de sécurité » dans le Golfe arabo-persique. On en revient à nouveau à la différence de culture politique entre Paris et Berlin, où les exportatio­ns d’armes sont un sujet extrêmemen­t sensible en Allemagne en général, et plus particuliè­rement au sein de la coalition au pouvoir (SPD, Verts et FDP).

A quelques exceptions près, les Verts allemands exigent l’arrêt des ventes d’armes vers le grand export. En septembre, la ministre de la Défense allemande Christine Lambrecht (SPD) avait pourtant été claire dans son discours sur la stratégie de sécurité nationale de l’Allemagne : « Avec nos réserves morales, nous nous plaçons au-dessus de nos partenaire­s européens. Mais que signifient même les valeurs européenne­s si nous disons à nos partenaire­s que leur moralité n’est pas assez bonne ? ». Résultat, Berlin va se montrer plus flexible sur des projets en coopératio­n avec la France mais aussi avec d’autres partenaire­s. Mais à plus long terme, il est probable que l’Allemagne ne lâchera pas. Car avoir un règlement européen sur ses principes « serait idéal », estime-t-on en Allemagne.

Optimisme pour le SCAF mais...

En dépit d’un processus douloureux et compliqué, Berlin reste optimiste sur la poursuite du plus emblématiq­ue programme de coopératio­n entre la France et l’Allemagne (rejoints par l’Espagne), le Système de combat aérien du futur (SCAF). Il existerait une « déterminat­ion absolue » de Paris et de Berlin de réussir ce programme, assure-t-on en Allemagne. Pour réussir, deux cultures industriel­les éloignées l’une de l’autre doivent se rapprocher. « Faire fusionner des cultures d’entreprise entre Airbus, une entreprise qui est déjà habituée à faire des coopératio­ns internatio­nales d’un côté, et Dassault qui est un champion national, d’un autre côté, il est évident que ça ne va pas sans difficulté », explique-t-on en Allemagne. Pour autant, le Bundestag, très à l’écoute de ses industriel­s, aura le dernier mot. Lui et lui seul en Allemagne envers et contre tous.

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A Paris et à Berlin, il existerait une « déterminat­ion absolue » de réussir le programme SCAF (Système de combat aérien du futur) (Crédits : Dassault Aviation / Eridia Studio / V. Almansa)
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