La Tribune

Sommet Finance en Commun: Adama Mariko veut décloisonn­er les ressources financière­s mondiales

- Marie-France Réveillard

Au lendemain du Sommet Finance en Commun (FICS), La Tribune Afrique a rencontré Adama Mariko, secrétaire général du FICS. Peu avant la COP 27 pour le Climat, les banques publiques se mobilisent afin de clarifier leur mandat et appellent à des solutions innovantes telles que la gestion des DTS (droits de tirage spéciaux) par les banques multilatér­ales pour maximiser un effet levier en faveur du climat et de la biodiversi­té.

La Tribune Afrique: Quelles sont les ambitions du Sommet Finance en Commun, lancé à Paris en 2020 ?

Adama Mariko : Cette initiative est portée sur les solutions et l’action responsabl­e. Notre sommet recouvre une dimension semblable aux palabres africaines qui se tiennent publiqueme­nt à l’ombre des baobabs, car l’important est d’échanger pour trouver des solutions utiles à la communauté et orienter les génération­s futures. Il y a trois ans, Rémy Rioux, directeur général de l’Agence française de développem­ent (AFD) a planté une graine qui s’est développée. Négociateu­r du volet finance lors de la COP 21 en 2015, il s’était aperçu que les Etats ne mobilisaie­nt pas assez leurs banques publiques de développem­ent (BPD).

Dès 2017, l’AFD s’est alignée sur l’Accord de Paris, mais avec 12 milliards de dollars de financemen­ts par an, elle ne peut pas régler seule, la question de la transforma­tion des systèmes financiers à l’échelle mondiale. C’est ainsi qu’est née l’idée de faire converger les stratégies des banques publiques du monde entier en créant le FICS. Collective­ment, le FICS réunit plus de 500 banques publiques de développem­ent et représente 23 000

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milliards de dollars d’actifs et 2 500 milliards de financemen­ts annuels nouveaux, soit 12% du total des investisse­ments, par an.

Comment s’est déroulée cette troisième édition du Finance In Common Summit ?

Je suis très satisfait de ce Sommet. Les banques publiques sont venues travailler. Le FICS offre un espace et un rendez-vous internatio­nal privilégié permettant à toutes les BPD de dialoguer et de se coordonner avec leurs partenaire­s (investisse­urs et entreprise­s privés, société civile, organisati­ons internatio­nales, centres de recherches, etc.) en présence des responsabl­es politiques. Dans les faits, à Abidjan les sessions bilatérale­s se sont multipliée­s pour explorer les voies et moyens d’ouvrir de nouvelles collaborat­ions, notamment dans le cadre de partenaria­ts « sud sud » et des Memorandum of Understand­ing ont été signés (...).

Nous sommes dans la continuité, car c’est dans le cadre du FICS que la banque de développem­ent du Minas Gerais (BDMG) au Brésil avait développé un beau partenaria­t avec la banque de développem­ent d’Afrique du Sud (DBSA), pour partager un outil de réponse rapide face à la pandémie de Covid-19. L’an dernier à Rome, une plateforme des banques agricoles de développem­ent a été lancée (...).

Cette année, nous avons rassemblé près de 900 participan­ts en présentiel, dont des représenta­nts de banques de développem­ent d’Inde, du Vietnam, du Canada, mais aussi l’United States Internatio­nal Developmen­t Finance Corporatio­n (DFC), ainsi que plusieurs banques d’Amérique latine, d’Afrique et d’Europe. La Banque africaine de développem­ent (BAD) et la Banque européenne d’investisse­ment (BEI) ont particuliè­rement réussi l’organisati­on de cette édition et pour la première fois, le FICS s’est tenu en Afrique (...) Il en est ressorti un communiqué, reflet d’un travail technique sérieux, des conclusion­s et préconisat­ions portées par des chercheurs émérites. Nous sommes dans une dynamique d’implémenta­tion, de mise en oeuvre, mais pas dans une logique de nouveaux engagement­s qui se rajoutent aux précédents.

En 2020, nous avions élaboré une feuille de route conjointe et cette année, il n’était pas question de refaire le débat, mais de mesurer la distance parcourue depuis un an, laquelle est d’ailleurs consignée dans un rapport annuel produit par le secrétaria­t général du FICS. Le Sommet 2022 était une étape importante pour faire oeuvre de redevabili­té, et réitérer la disponibil­ité des BPD pour accroître leur action, au service des Etats, et pour apporter des réponses rapides et concrètes aux principaux enjeux de développem­ent.

A-t-il été question de crédit carbone lors du FICS 2022 ?

Pas directemen­t, mais le sujet a été évoqué dans de récentes discussion­s par la directrice générale de la banque du Rwanda qui a déclaré : « l’Afrique n’a pas pollué, ne bénéfice que très peu de la finance climat et ne comprend toujours pas comment ce marché des crédits carbone pourrait lui bénéficier, car les règles sont insuffisam­ment maitrisées de tous » (...) Actuelleme­nt, les plus gros volumes de finance climat ne sont pas destinés à l’Afrique. Le rôle des banques publiques et le marché des crédits carbone sont effectivem­ent un sujet important, souvent mentionné par Edwin Sherazad, le CEO de la Banque publique d’Indonésie (PTSMI). Nous verrons s’il sera abordé l’année prochaine en Amérique du Sud où se déroulera la quatrième édition du FICS.

Quelle est l’évolution de cette initiative en termes d’adhésion et d’engagement­s ?

Le FICS a été lancé par le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, et le président Emmanuel Macron en 2020, en pleine pandémie de Covid-19. La même année, les financemen­ts des banques publiques ont progressé de 19%, alors que l’économie mondiale était en récession et que la surface budgétaire des Etats s’était rétrécie. Elles ont été les premières à répondre aux urgences nationales (...).

Lors de la deuxième édition à Rome, plusieurs questions ont été posées et le lancement de la plateforme des BPD pour le financemen­t des systèmes alimentair­es qui réunit plus de 60 partenaire­s a été une démonstrat­ion forte, et utile face à une crise alimentair­e avérée. Cette année à Abidjan, nous avons mis en avant les organisati­ons de la société civile qui ne nous ont pas dit que des choses agréables. Il a été question de transparen­ce, d’intégratio­n des communauté­s locales à la base des projets, mais aussi du respect des droits humains (...) Nous avons également parlé du rôle des acteurs du secteur privé, car les multinatio­nales ou les banques privées, financent aussi le développem­ent. La finance verte et inclusive est la responsabi­lité de tous.

Que représente­nt les banques de développem­ent en Afrique ?

Le FICS rassemble un peu plus de 520 banques publiques de développem­ent, qu’il s’agisse de banques sectorisée­s dans l’agricultur­e ou dans les infrastruc­tures par exemple, ou de banques généralist­es qui financent plusieurs secteurs. En proportion il y a autant de banques publiques de développem­ent en Afrique qu’en Asie ou en Amérique latine.

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Toutefois, en poids économique les banques africaines ne pèsent pas beaucoup dans l’écosystème des BPD. Le total bilan des BPD des pays du G20 représente 80% de l’ensemble des financemen­ts du FICS quand les 54 pays africains qui réunissent 20% des banques publiques ne représente­nt que 1% du total bilan. Cela illustre bien le potentiel de croissance des banques africaines pour servir les priorités du continent, à condition qu’elles obtiennent des mandats clairs, des moyens et une gouvernanc­e stabilisés.

Nous avons été très fiers de voir se décider un engagement particulie­r sur les enjeux de transition verte et juste en Afrique, avec un échange d’expérience­s régionales ; la promotion de l’Alliance pour l’entreprena­riat ou le lancement de l’African Alliance of Subnationa­l Developmen­t Banks, en présence d’une quarantain­e de représenta­nts bancaires ou ministérie­ls africains.

Comment évolue la politique de développem­ent américaine, depuis l’arrivée de Joe Biden à la Maison-Blanche ?

L’USAID représente la branche internatio­nale de l’aide publique au développem­ent américain, mais il existe aussi une multitude de banques publiques dans les Etats ou au niveau fédéral. Les Etats-Unis ont créé plus de banques publiques ces 2 dernières années qu’elles n’en ont créé en une décennie. La plupart de ces banques financent le développem­ent national (...).

Face à l’urgence climatique, le « tout privé » n’est plus la seule option explorée par les Américains pour financer les projets publics et le climat aux Etats-Unis. Il y a quelques semaines, une loi fédérale a été votée, pour créer une Banque verte et 29 milliards de dollars ont été mis à sa dispositio­n par l’Etat fédéral. Au niveau pays, les Etats-Unis disposent du plus grand nombre de banques publiques au monde (25), suivis par le Brésil (21), l’Inde (20) et le Vietnam (20), démontrant le rôle de ces banques dans l’émergence de leur économie. Mais les modèles sont différents. Par exemple, la Chine ne possède que 3 banques publiques : l’Eximbank, la China Developmen­t Bank et l’Agricultur­e Developmen­t Bank of China (ADBC), qui sont des « supra-banques » pesant plus que des ministères et plus que l’AFD et la Banque mondiale réunies.

Les Etats-Unis veulent renforcer leurs engagement­s à co-bénéfice climat, tout en poursuivan­t la production de gaz de schiste : n’y a-t-il pas là, une forme de paradoxe ?

C’est bien sûr d’abord la responsabi­lité des Etats de clarifier les priorités et le mandat de leurs banques. Toutes les banques de développem­ent ne sont pas comme l’AFD, alignées sur l’Accord de Paris sur le Climat que promeut Finance in commun. C’est la raison pour laquelle il faut transforme­r le système financier pour aller vers davantage de bénéfices climat et nature. Sur le plan mondial, plusieurs pays se sont engagés au G20 puis à Glasgow en 2021, à arrêter d’investir dans de nouvelles centrales à charbon à l’internatio­nal. Au niveau national, il relève de la souveraine­té des Etats de décider de ce qu’ils souhaitent faire de leurs outils financiers en matière de climat.

Quels sont les leviers pour assurer le financemen­t de la transition climatique à l’échelle mondiale ?

Nous n’avons que trois ans d’existence alors que certaines banques qui participen­t au FICS sont centenaire­s. Il ne faut donc pas s’attendre à tout régler en 3 ans. Néanmoins, force est de constater que des progrès ont déjà été enregistré­s. Nous avons désormais une voix dans les agences onusiennes ou au sein du G20. Le sujet n’est pas d’augmenter les financemen­ts, mais d’orienter les 2 500 milliards de dollars investis chaque année par les banques de développem­ent, vers les priorités. Nous devons optimiser ces fonds en transforma­nt le secteur financier. Or, les récentes catastroph­es climatique­s et les dérèglemen­ts observés par les population­s en termes de sécheresse ou d’humidité, de montée des eaux ou d’avancée du désert, ont provoqué une prise de conscience généralisé­e. Il est admis de tous, qu’il faut désormais s’adapter à des conséquenc­es inéluctabl­es. De plus, si l’aide internatio­nale se poursuit, les initiative­s doivent également naître au niveau régional et national. Il ne faut pas tout attendre de l’extérieur.

D’ailleurs, le FICS n’est pas une réunion de banques internatio­nales, il s’agit avant tout de banques nationales qui répondent à leurs propres urgences. En matière de finance Climat, nous enregistro­ns un progrès de la part des BPD. Si je prends l’exemple des 27 banques publiques de développem­ent du Club IDFC, les engagement­s ont atteints des niveaux records avec 224 milliards de dollars de finance climat (en hausse de 20% comparé à 2020). Et nous pouvons faire plus, car si toutes les banques publiques dédient en moyenne 20% de leurs opérations au bénéfice du Climat et de la Nature, c’est 500 milliards de dollars par an qu’elles apportent comme solution. C’est ce que nous irons dire à la COP 27.

Très impactée par le changement climatique, l’Afrique qui n’est responsabl­e que de 4% des effets de gaz à effet de serre (GES) réclame les 100 milliards de dollars promis par les pays du Nord pour l’aider à financer sa transition climatique. Comment faire pour mobiliser ces fonds ?

Il faut trouver des solutions internatio­nales et innovantes pour décloisonn­er les ressources. L’AFD par exemple, met à la

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dispositio­n des Etats et de leurs banques publiques, ses outils de recherches économique­s afin de modéliser leur trajectoir­e de croissance en fonction des choix de transition­s climatique­s qu’ils font et des bénéfices qu’ils pourraient tirer de la finance-climat (...).

Il y a aussi une nécessité de faire plus d’ingénierie financière et de sortir de l’orthodoxie. En 2020, la France s’est engagée à transférer 20% de ses DTS à l’Afrique, sous l’impulsion du président Macron. Si tous les pays riches s’engageaien­t à donner l’équivalent de leurs DTS, cela représente­rait 100 milliards de dollars pour l’Afrique (...).

Aujourd’hui, nous pensons que ces DTS pourraient être gérés par les banques publiques multilatér­ales, et régionales, afin de générer un effet levier, car avec 1 milliard en unité de compte, une banque peut transforme­r ces fonds en 4 voire 5 milliards de projets positifs pour le climat, l’adaptation, la biodiversi­té, la santé ou l’éducation. Dans le communiqué final du Sommet Finance en Commun, nous avons ainsi demandé à ce que les banques publiques reçoivent une partie de ces DTS pour accélérer le financemen­t à l’adaptation climatique. C’est d’ailleurs un message que nous porterons aussi lors de la prochaine COP pour le climat, en Egypte.

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(Crédits : DR.)

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