La Tribune

Agir à la fois pour le climat et la croissance

- Gabriel Gaspard

CHRONIQUE. Une “catastroph­e mondiale” pourrait être évitée si la France et les pays riches arrêtent de faire de l’austérité climatique. Pour relancer l’économie et être en ligne avec l’accord de Paris, la France doit augmenter les investisse­ments citoyens régis par l’État. Par Gabriel Gaspard, Chef d’entreprise à la retraite, spécialist­e en économie financière.

La 27e conférence des parties (COP 27) à la convention-cadre des Nations unies sur les changement­s climatique­s (CCNUCC) se tiendra du 6 au 18 novembre 2022 à Charm el-Cheikh, en Égypte. La majorité des 196 pays traversent des crises multiples : énergétiqu­e, alimentair­e, économique, sanitaire, endettemen­t, etc. La France a un rôle important à jouer, mais elle détourne son regard.

Le monde file vers “une catastroph­e mondiale”, alerte l’ONU. La France investit aujourd’hui l’équivalent de 2% de son PIB par an pour la décarbonis­ation, il faudrait au moins le double de la mise d’ici 2030, d’après Challenges. Face aux grands bonds en arrière de l’économie française, la France doit investir 100 milliards par an pour contribuer à sauver la planète. Le Medef chiffre de 60 à 80 milliards d’euros les investisse­ments supplément­aires nécessaire­s par an pour décarboner la France d’ici à 2030. La société civile pousse les États à faire plus, plus vite et mieux.

Comment se porte l’économie mondiale ? Selon le dernier rapport sur le commerce et le développem­ent en 2022, publié par la Conférence des Nations unies sur le commerce et le développem­ent (Cnuced ou Unctad en anglais), la croissance économique mondiale ralentira à 2,5% en 2022 et tombera à 2,2% en 2023. Ce ralentisse­ment va coûter au monde plus de 17 000 milliards de dollars (20% du revenu mondial). Pour l’Europe, la croissance fléchit sur l’ensemble du continent

(2,7%) tandis que l’inflation montre peu de signes de faiblissem­ent (9,9%). Pour l’Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s OFCE, le pouvoir d’achat des ménages devrait reculer en 2022 et en 2023 de 1,4% (en unité de consommati­on) pour retrouver son niveau de 2019. Depuis la pandémie, 3% de la richesse nationale environ ont été consacrés à amortir les chocs extérieurs sur l’économie. En empruntant massivemen­t sur les marchés financiers, l’État est au bout de ses possibilit­és. Pour lutter contre l’inflation, la Banque centrale européenne

Agir à la fois pour le climat et la croissance

augmente fortement les taux d’intérêt et menace la croissance (le taux de la facilité de prêt marginal est passé à 2,25 %). Cette approche nécessaire rend la vie plus dure aux entreprise­s, aux ménages et au budget d’un État fortement endetté. La France va se retrouver avec une récession lente et durable. Avec une croissance plus faible, une inflation forte et plus de dépenses, jusqu’à quel point l’État peut-il vivre à crédit avec des taux d’intérêt qui augmentent dans un contexte de durcisseme­nt monétaire ? Le laxisme en matière de finances publiques, dont les gouverneme­nts ont fait preuve ces dernières décennies, et le recours à un endettemen­t extérieur via les banques commercial­es mettent la France face à “un mur de la dette” difficilem­ent surmontabl­e.

La France n’atteindra son objectif zéro émission nette de

CO2 que si les citoyens pouvaient s’associer au financemen­t. Pourquoi ne pas suivre en partie l’exemple japonais ? Ce sont les économies des ménages japonais détenues sur des comptes bancaires qui sont utilisées pour acheter les obligation­s japonaises. Le Japon vient de prendre une décision unique : investir 266 milliards d’euros pour relancer son économie.

C’est un plan massif de soutien basé sur les économies des ménages. Au même moment la Banque centrale du Japon garde ses taux directeurs bas inchangés pour ne pas freiner la croissance.

Mais comment la France peut-elle financer ce manque d’investisse­ment ? Avec la conjonctur­e actuelle, les autorités monétaires apparaîtra­ient désarmées, particuliè­rement en zone euro. À moins d’une inventivit­é nouvelle, on voit mal avec quels nouveaux instrument­s monétaires la France pourrait rendre sa vigueur au budget de l’État et lancer de grands investisse­ments pour le climat. Il faut, comme au Japon, créer de nouveaux fonds citoyens, mais avec des livrets réglementé­s. Ces nouveaux produits devront être encouragés par l’État qui en fixe le taux (supérieur à la cible d’inflation de 2% de la BCE), exonère les intérêts perçus de tout impôt et affecte les produits. L’essentiel devra aller au financemen­t des transition­s écologique­s renouvelab­les, etc. C’est aujourd’hui le seul chemin à prendre pour investir sans augmenter les dettes et les déficits publics tout en améliorant le pouvoir d’achat des classes pauvres et moyennes. Le tout avec une approche écologique, sociale et sans inflation.

Comprendre le multiplica­teur budgétaire et l’impact des investisse­ments citoyens régis par l’État ou investisse­ments publics sur l’inflation, la croissance et la récession.

Le multiplica­teur budgétaire explique un élément essentiel de la politique économique conduite par les États : comment leur budget influence-t-il l’économie ? C’est une mesure de l’impact d’une variation des dépenses publiques sur le produit intérieur brut (PIB).

La France a raté sa première chance. Le PIB en 2020 a reculé de 7,9%. Avec un taux d’inflation de 0,5% et un taux d’intérêt à zéro il fallait investir massivemen­t : “En période de crise et, en particulie­r lorsque la politique monétaire atteint la borne zéro des taux d’intérêt, alors le multiplica­teur augmente et atteint des valeurs plus élevées comprises entre 1,3 et 2,5...” OFCE, dans son étude investisse­ment public, Capital public et croissance. Mais pour la France l’INSEE a observé le contraire de la crise de 2008 : “l’investisse­ment s’est réduit en 2020 dans une ampleur comparable à celle du PIB”. Selon la Banque de France en 2020 et 2021 175 milliards d’euros ont pourtant été économisés en plus (épargne forcée Covid). Somme qui pouvait être investie très rapidement.

Investisse­ments citoyens et inflation : aujourd’hui, un choc de demande positif à la suite d’une relance par des investisse­ments citoyens sera suivi par un choc d’offre positif très important. De ce fait, la Banque centrale n’a plus besoin, en réaction, d’augmenter ses taux pour réduire l’inflation. L’activité économique sera soutenue par le choc d’offre, et le multiplica­teur est d’autant plus fort. Analyse OFCE.

Investisse­ments citoyens et récession : plusieurs études montrent que les multiplica­teurs du PIB pour des investisse­ments citoyens ou publics sont plus élevés en période de récession. Les retombées sont plus importante­s dans le cas d’une union monétaire. L’impact est plus élevé dans une période de récession mondiale ou une récession dans la zone euro.

La croissance des revenus due au multiplica­teur engendre des recettes fiscales qui remboursen­t le déficit public.

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(Crédits : ANDREW BOYERS)

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