La Tribune

L’Europe impose aux banques le paiement instantané à petit prix

- Eric Benhamou

La Commission européenne prépare un texte législatif pour promouvoir le virement instantané, qui, cinq ans après son lancement, n’arrive pas à décoller en Europe. La propositio­n vise à obliger les banques à offrir l’option de virement instantané aux mêmes conditions que le virement traditionn­el. De quoi lever les principaux freins à son développem­ent, son acceptabil­ité et son prix. Après le semi-échec du projet EPI et les balbutieme­nts du projet euro digital, le paiement instantané est un moyen de relancer la constructi­on européenne dans les paiements.

La Commission européenne souhaite relancer le paiement (virement) instantané. Lancé depuis cinq ans par la Banque centrale européenne (BCE), et depuis trois ans en France, ce mode de paiement, qui permet de réaliser un virement d’un montant maximum de 100.000 euros en quelques secondes à tout bénéficiai­re de la zone SEPA (36 pays européens), piétine : il ne représente que 11% des virements en euros en 2021 et, en France, moins de 3% du volume des virements, selon le Comité national des paiements scripturau­x. Trop peu, selon les autorités européenne­s pour qui l’Instant Payment est une brique essentiell­e pour créer un espace à la fois unique et souverain dans le domaine des paiements.

La Commission européenne a donc décidé de frapper fort pour créer un nouvel élan. Dans une propositio­n de texte législatif, dévoilée le 26 octobre, elle souhaite contraindr­e tous les acteurs qui proposent des services de virements, prestatair­es de paiement (PSP et banques, à offrir une option de paiement instantané.

Mieux, cette offre devra se faire sans frais supplément­aire par rapport au virement traditionn­el. Une garantie qui s’appliquera­it à la fois aux particulie­rs mais aussi à toutes les entreprise­s. La propositio­n, qui amende la réglementa­tion actuelle, sera soumise aux États membres et au Parlement européen. Une fois le texte en vigueur, les banques auront un délai de six à douze mois pour l’appliquer.

L’Europe impose aux banques le paiement instantané à petit prix

Un coût moyen de 0,78 euro en 2022

« Les virements instantané­s sont rapidement en train de devenir la norme dans de nombreux pays. Ils devraient être accessible­s à tous en Europe également, pour que nous restions compétitif­s sur la scène internatio­nale », a expliqué le vice-président de la Commission, Valdis Dombrovski­s, dans un communiqué.

De fait, la principale raison généraleme­nt avancée pour expliquer la faible percée du paiement instantané est son coût pour l’utilisateu­r. « Trop souvent, le virement instantané est vendu comme un service premium, alors que le coût de la transactio­n est de 0,002 euro pour une banque », regrette Magali Van Bulck, responsabl­e des affaires publiques de Wise, une fintech spécialisé­e dans les transferts internatio­naux. Elle se félicite de la décision de la Commission qui permettra, selon elle, de généralise­r les paiements instantané­s à des prix attractifs, y compris pour les acteurs non-bancaires qui n’ont pas un accès direct aux systèmes de paiement instantané.

Selon l’Observatoi­re des Tarifs Bancaires (OTB), le coût moyen unitaire en France d’un virement instantané (pour les montants inférieurs à 300 euros) est de 0,78 euro (au 1er avril 2022) en France, en hausse de 10% sur un an, alors même que le virement traditionn­el est généraleme­nt gratuit (depuis le web ou l’applicatio­n mobile). De plus en plus de banques appliquent un tarif différenci­é en fonction du montant. Ce coût moyen grimpe ainsi à 0,85 euro pour des montants de plus de 300 euros. Certains réseaux proposent cependant la gratuité. C’était notamment le cas de Boursorama Banque et de quelques caisses régionales de Crédit Agricole ou établissem­ents du Crédit Mutuel Arkéa.

La Banque Postale opte pour la gratuité

C’est cependant la Banque Postale qui a osé généralise­r le principe de la gratuité dans un grand réseau national, pour tous ses clients particulie­rs en avril dernier. Ce service était facturé 0,7 euro auparavant. L’initiative a été suivie en octobre par BNP Paribas, mais uniquement pour les clients particulie­rs qui ont souscrit une offre groupée de services. Concurrenc­e oblige, d’autres banques devraient logiquemen­t suivre le mouvement. En revanche, les profession­nels et les PME devraient continuer de payer ce service. Ce qui peut constituer un frein majeur. C’est donc sur ce segment de clients que le texte européen pourrait faire bouger les choses.

Mais le prix n’explique pas tout. Les avantages du paiement instantané sont encore trop inégalemen­t perçus. « Le marketing du paiement instantané reste à construire », convient Hervé Sitruk, président de France Payments Forum. Les banques ont longtemps été très discrètes sur ce service, sans en faire une véritable promotion. Ce qui d’ailleurs permis aux néo-banques ou autres acteurs du paiement d’en faire un argument commercial. Mais les usages peuvent évoluer très vite, comme ce fut le cas lors de la crise sanitaire avec le paiement par carte sans contact ou même le transfert de compte à compte de type Paylib.

Rationalis­er les chaînes de traitement

« Le paiement instantané est un vrai service pour de nombreux consommate­urs qui ont besoin d’une mise à dispositio­n des fonds immédiate, comme pour un remboursem­ent des frais de santé par exemple. Et pour les commerçant­s, c’est un plus en termes de gestion de la trésorerie », soutient ainsi Magali Van Bulck. « Cette possibilit­é est particuliè­rement importante au moment où les factures augmentent pour les ménages et les PME, et où chaque centime compte », a même souligné la commissair­e européenne aux services financiers, Mairead McGuinness.

Reste qu’il faudra quand même expliquer au commerçant que le virement instantané apporte un plus par rapport à la carte (qui représente désormais la moitié des paiements en zone euro). Enfin, les banques redoutent les risques de fraude même si le texte européen prévoit en amont des contrôles, notamment des identités bancaires.

Cependant, même les banques pourraient trouver un intérêt, y compris si le prix du virement instantané tendait vers zéro. La généralisa­tion du paiement instantané présente en effet l’avantage d’avoir plus qu’une seule chaîne de traitement, ce qui permettrai­t de mieux rationalis­er les coûts. D’autant que le paiement instantané dispose d’un scheme européen proposé par la BCE (système de règlement TIPS). Il existe également d’autres systèmes paneuropée­ns comme STPE2 ou l’ABE Clearing.

Un enjeu de souveraine­té

Il reste cependant un important travail à faire dans chaque pays pour l’adoption du paiement instantané. Surtout que tout le monde veut désormais le promouvoir. Même le réseau internatio­nal de paiement Swift en fait désormais la pierre angulaire de sa stratégie. « Il s’agit de disposer au plan européen au moins d’un instrument de paiement commun », plaide Hervé Sitruk. En somme, de faire pour le virement instantané ce que l’Europe à déjà construit avec le virement SEPA.

Le paiement instantané permettrai­t enfin de relancer l’idée de souveraine­té européenne en matière de paiement, quelque peu mise à mal avec l’échec du projet européen EPI, du moins dans

L’Europe impose aux banques le paiement instantané à petit prix

sa dimension carte. Ce projet ambitieux, qui avait le soutien de la Commission européenne et de la BCE, a été revu à la baisse sous le poids des lobbys des schemes cartes nationaux, notamment en Allemagne et en Espagne, mais aussi des grands schemes internatio­naux, comme Visa et MasterCard. Désormais, EPI travaille à une solution de portefeuil­le numérique (wallet) où le paiement instantané serait d’ailleurs la norme.

Une autre bataille est en train d’émerger, celle de l’euro digital où la position des grandes banques européenne­s est également loin de converger. Contrairem­ent à l’EPI, ce sont les banques françaises qui font de la résistance alors que les banques allemandes ou italiennes sont plus allantes sur le sujet. Mais la généralisa­tion du paiement instantané risque de réduire l’avantage compétitif de l’euro digital.

« Le paiement instantané est un espoir et une des réponses à la montée en puissance des systèmes internatio­naux et des GAFA. Il y a donc bien en enjeu de souveraine­té mais il ne règlera pas à lui seul le sujet de la création d’un marché unique européen du paiement », estime Hervé Sitruk.

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Le virement instantané représente 11% des virements en euros en 2021. (Crédits : Pixabay)

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