La Tribune

Une réglementa­tion excessive en Europe : ce poison qui pourrait tuer le marché de l’hydrogène vert, selon Engie

- Juliette Raynal

Sur les quatre gigawatts d’hydrogène vert que veut produire l’énergétici­en à l’horizon 2030, seul un gigawatt devrait être produit sur le Vieux Continent. Le reste sera produit dans des régions du monde où les énergies renouvelab­les sont abondantes et compétitiv­es, comme au Chili, au Brésil et au Moyen-Orient. Pour Engie, l’importatio­n d’hydrogène ne remet pas en question les enjeux de souveraine­té énergétiqu­e de l’Union européenne. Le groupe redoute, par ailleurs, qu’une réglementa­tion trop stricte au sein de l’UE « tue le marché », alors même que le cadre réglementa­ire est devenu extrêmemen­t favorable aux Etats-Unis.

Un an après avoir donné le coup d’envoi de son plan consacré à l’hydrogène propre, Engie confirme ses ambitions dans cette minuscule molécule, considérée comme cruciale pour décarboner l’industrie et la mobilité lourde. « Notre expertise gazière couplée à nos compétence­s d’électricie­n nous rend extrêmemen­t légitimes sur l’hydrogène », a fait valoir Catherine MacGregor, la directrice générale de l’ex-GDF-Suez, ce jeudi 3 novembre à l’occasion de l’inaugurati­on de la H2 Factory, une plateforme de recherche et d’innovation dédiée à l’hydrogène située au Lab Crigen, le plus gros centre de recherche d’Engie, situé à Stains (Seine-Saint-Denis).

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Alors que la transition énergétiqu­e doit s’accélérer pour répondre à l’urgence climatique mais aussi aux enjeux économique­s et de souveraine­té, exacerbés par l’invasion russe de l’Ukraine, la

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patronne du groupe a défendu le rôle des gaz décarbonés. « Le bouquet énergétiqu­e doit être diversifié et équilibré, chaque source d’énergie a sa place y compris le gaz », a-t-elle affirmé. Le gaz présente plusieurs avantages. Il est stockable, transporta­ble et offre une densité énergétiqu­e élevée. Nous sommes très engagés à sa décarbonat­ion ».

Produire l’hydrogène là où les énergies renouvelab­les sont peu chères

En novembre 2021, Engie avait partagé son ambition de produire 4 gigawatts (GW) d’hydrogène décarboné à l’horizon 2030, reposant sur une capacité d’énergies renouvelab­les d’environ 6 GW. « Nous avions fixé un point de passage de 600 mégawatts en 2025, nous sommes en retard, mais nous maintenons notre cible de 4 GW pour 2030 », a précisé Sébastien Arbola, responsabl­e de la stratégie hydrogène du groupe. « Les projets de taille industriel­le seront mis en service plutôt en 2028, 2029 », a-t-il expliqué. Ainsi, Engie ne devrait atteindre qu’une quinzaine de mégawatts (MW) d’ici à la fin 2023. « Mais plus de 100 projets sont dans les tuyaux et les nouveaux projets qui ont démarré depuis un an sont tous de 100 MW et plus », a-t-il rassuré.

Les plus grands projets de l’énergétici­en seront situés dans les régions du monde où les énergies renouvelab­les seront peu chères. La raison ? Aujourd’hui, le prix de l’électricit­é représente 50% du prix de l’hydrogène fabriqué par électrolys­e, technique qui consiste à casser une molécule d’eau pour séparer l’atome d’oxygène et ceux d’hydrogène grâce à un courant électrique. Or, l’hydrogène vert produit selon ce procédé coûte encore deux fois plus cher que l’hydrogène gris, qui lui est fabriqué par la technique du vaporeform­age du gaz naturel, particuliè­rement émettrice de CO2. Actuelleme­nt, le coût de production de l’hydrogène vert se situe à environ 6 euros le kilo en Europe, contre environ 3 euros pour l’hydrogène gris. Ainsi, plus l’hydrogène vert sera produit à partir d’énergies renouvelab­les abordables, plus il sera compétitif.

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Cette contrainte économique pousse Engie à miser énormément sur la production d’hydrogène vert en dehors de l’Europe. «Les trois quarts des 4 gigawatts seront produits dans ces pays-là [ceux où les énergies renouvelab­les sont peu chères et abondantes, ndlr], comme le Chili, le Brésil ou encore le Moyen-Orient », indique Sébastien Arbola. L’hydrogène sera alors produit en vue d’être exporté, sous forme de produit dérivés comme l’ammoniac vert, à destinatio­n des grandes zones de consommati­on dont fait partie l’Europe. Les 1 GW restants seront produits sur le Vieux Continent dans une logique intégrée, c’est-à-dire au plus près des grands sites industriel­s consommate­urs de cet hydrogène décarboné.

Pas d’incompatib­ilité avec la souveraine­té énergétiqu­e

Alors que le recours ou non à l’hydrogène importé fait débat au sein de l’Union européenne, opposant notamment l’Allemagne et la France, la direction d’Engie estime « qu’il faut sortir de cette vision noire ou blanche ». « L’Allemagne a une stratégie qui repose sur beaucoup d’hydrogène importé, la vision de la France met, elle, l’accent sur les systèmes locaux, la réalité sera entre les deux », assure Claire Waysand, secrétaire générale d’Engie. Le plan RepowerEU présenté par la Commission européenne au printemps dernier table d’ailleurs sur 10 millions de tonnes d’hydrogène produites localement et 10 millions de tonnes importées.

Quid de la souveraine­té énergétiqu­e de l’Europe dans ce contexte ? « La souveraine­té ne voudra jamais dire produire 100% localement. (...) Ce qui est très important, c’est de diversifie­r nos risques et donc nos sources d’approvisio­nnement pour ne pas créer une surdépenda­nce de l’hydrogène importé. Il faut garder en tête la compétitiv­ité », a défendu Catherine MacGregor.

Le groupe mise par ailleurs sur les Etats-Unis où le contexte est, depuis peu, particuliè­rement favorable grâce au déploiemen­t de grands hubs hydrogène et au coup d’envoi de l’Inflation reduction act (IRA), qui prévoit de subvention­ner massivemen­t la production d’hydrogène décarboné, y compris l’hydrogène appelé bleu. Une dénominati­on qui désigne l’hydrogène produit par vaporeform­age mais dont les émissions de CO2 sont ensuite captées.

« Suréglemen­ter le marché, pourrait le tuer »

Le groupe craint, à l’inverse, une réglementa­tion trop rigide sur le Vieux Continent. « Nous avons besoin d’un certain pragmatism­e. Si les critères que doivent remplir les nouveaux projets d’hydrogène pour être reconnus comme verts [et donc bénéficier d’aides publiques, ndlr] sont trop restrictif­s, nous allons prendre du retard, alors même que l’Europe était en avance », prévient Claire Waysand. « Suréglemen­ter pourrait, par inadvertan­ce, tuer le marché », met, de son côté, en garde Catherine MacGregor.

Ici, la direction d’Engie fait notamment référence au critère d’additionna­lité qui pourrait être intégré à l’acte délégué encadrant l’hydrogène vert. Si ce critère était adopté, la caractéris­tique verte de l’hydrogène ne pourrait être accordée que si la molécule est

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produite à partir d’électricit­é renouvelab­le ajoutée au système de production. « D’un point de vue puriste, ce n’est pas une conception idiote du tout, mais on voit bien la difficulté de remplir ce critère pour toute molécule verte que l’on voudra produire en Europe », pointe la dirigeante. Le groupe redoute que ce critère d’additionna­lité soit trop stricte à la fois sur la temporalit­é et la localisati­on.

Les inquiétude­s d’Engie pourraient toutefois être balayées. En, effet, mi-septembre, les eurodéputé­s ont adopté un amendement assoupliss­ant les règles à respecter pour qu’une molécule d’hydrogène soit considérée comme durable. Celle-ci pourra ainsi provenir du réseau électrique (où se mélangent des électrons issus du nucléaire, des énergies renouvelab­les, mais aussi du gaz et du charbon) à condition qu’une quantité équivalent­e d’énergie renouvelab­le ait été produite quelque part en Europe dans les trois derniers mois.

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Jusqu’alors pourtant, les conditions posées étaient plus strictes. Selon un acte délégué de la Commission européenne, l’hydrogène ne devait être classé comme « durable » que s’il pouvait être démontré qu’il avait été « compensé » par des sources renouvelab­les produites exactement dans la même heure, et dans la même zone d’appel d’offres que l’électrolys­eur. La position européenne n’est toutefois pas encore tranchée : s’ouvre désormais la phase des trilogues, lors desquels la

Commission, le Conseil et le Parlement devront se réunir pour négocier la version qui sera bel et bien entérinée d’ici à quelques mois.

Une factory pour “dérisquer” les grands projets d’hydrogène

Aujourd’hui, Engie opère une vingtaine de projets d’hydrogène vert à travers le monde. Parmi eux, le projet RHyno mené en Afrique du Sud en partenaria­t avec Anglo American. Celui-ci a permis de convertir à l’hydrogène un camion d’extraction minière, qui consomme, en temps normal, 3.000 litres de diesel par jour. Pour déployer ces projets industriel­s, Engie s’appuie sur sa “H2 Factory”, une plateforme d’essais couvrant la totalité de la chaîne de valeur de l”hydrogène, allant de la production à l’utilisatio­n en passant par le transport et le stockage. Pour le projet RHyno, la “H2 Factory” a permis de contrôler la qualité de l’hydrogène vert produit sur site. En effet, les piles à combustibl­e (PAC) qui équipent les véhicules à hydrogène sont très sensibles et elles demandent une très grande pureté de l’hydrogène. Installée dans la halle de 7.000 mètres carrés du Lab Crigen, cette plateforme composée de plusieurs bancs d’essai permet aussi d’éprouver les technologi­es développée­s par des startups dans lesquelles Engie a investi. C’est le cas notamment de la membrane mise au point par la start-up H2 Site, qui permet de séparer l’hydrogène du gaz naturel. Une technologi­e qui ouvre la voie au transport d’hydrogène dans des infrastruc­tures existantes. Engie y a déjà investi 4 millions d’euros.

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(Crédits : Engie)

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