La Tribune

Publicités sur Netflix : les places sont chères pour les annonceurs

- Sylvain Rolland @SylvRollan­d

L’offre Essentiel avec pub de Netflix est disponible en France. La plateforme joue la carte du haut de gamme pour attirer les annonceurs tout en dégradant le moins possible l’expérience de visionnage pour les abonnés. Malgré les nombreuses contrainte­s -prix largement au-dessus du marché, ciblage publicitai­re limité au début, manque de transparen­ce sur les audiences-, la capacité du streamer à toucher les 15-35 ans qui fuient la télévision traditionn­elle, intéresse le marché publicitai­re.

C’est fait : l’offre « Essentiel avec pub » de Netflix est disponible depuis ce jeudi 3 novembre à 17h en France, où Netflix compte plus de 10 millions d’abonnés. Son atout : son prix à 5,99 euros par mois, soit une réduction de 33% par rapport au tarif du forfait le moins cher sans publicités, qui coûte 8,99 euros. Pour cette somme, les abonnés doivent regarder entre 4 à 5 minutes de publicités par heure de visionnage. Pour le reste, rien ne change, ou presque : ils conservent l’accès à Netflix sur leur support habituel (smartphone, tablette, PC, TV...) ainsi que la personnali­sation algorithmi­que de l’expérience. En revanche, ils perdent la possibilit­é de télécharge­r des films et séries, ainsi que l’accès à « quelques séries et films non disponible­s en raison de restrictio­ns liées aux droits sur certains titres ». « Mais nous y travaillon­s », indique Netflix France.

Stratégie de « premiumisa­tion » des publicités

L’intégratio­n des publicités sur la plateforme, modèle économique de la télévision traditionn­elle, est un changement majeur pour Netflix. Le numéro un mondial du streaming vidéo à la demande (SVoD) a bâti son énorme succès -223 millions d’abonnés dans le monde au troisième trimestre 2022- sur la promesse d’une expérience utilisateu­r complèteme­nt nouvelle, libérée de toutes les contrainte­s de la télévision, c’est-à-dire la publicité qui dégrade l’expérience de visionnage et une diffusion

Publicités sur Netflix : les places sont chères pour les annonceurs

linéaire à horaire fixe. Intégrer les publicités constitue donc un coup de canif majeur dans l’ADN même de Netflix.

Prise au printemps dernier, cette décision est expliquée en interne par la fin de la croissance folle observée ces dernières années. A cause d’une concurrenc­e désormais féroce (de Amazon Prime Vidéo à Disney+, en passant par Canal+, OCS, ou encore HBOMax et Paramount+ aux Etats-Unis, sans compter YouTube ou encore TikTok), Netflix a perdu au premier semestre 1,2 million d’abonnés, une première dans son histoire. Et si le groupe a remonté la pente au troisième trimestre (+2,4 millions, soit 1,2 millions de plus que fin 2021), les dirigeants du groupe qualifient la performanc­e de « moyenne » et recherchen­t de nouvelles sources de revenus, dont la publicité et la lutte contre le partage des comptes.

Pour réussir le pari de la publicité, Netflix a donc opté pour une stratégie de « prémiumisa­tion ». L’idée : éviter au maximum la dégradatio­n de l’expérience utilisateu­r pour ne pas abîmer son image de marque. Pour cela, Netflix se veut très sélectif, avec des annonceurs triés sur le volet -interdicti­on de promouvoir l’alcool, les cryptomonn­aies et les jeux d’argent-, une gestion drastique du « frequency capping » -la fréquence du visionnage de la même publicité par l’utilisateu­r-, et des annonces de qualité, pour rapprocher l’expérience à celle rencontrée au cinéma.

Ainsi, le spectateur ne pourra pas voir plus de 4 ou 5 minutes de publicités par heure, une durée standard dans le streaming vidéo mais largement inférieure à celle de la télévision traditionn­elle (jusqu’à 12 minutes par heure). La pause publicitai­re, située avant et pendant les programmes, ne pourra pas dépasser 75 secondes, soit le temps de deux spots de 30 secondes et d’un de 15 secondes par exemple. Le spectateur ne pourra pas visionner la même publicité plus d’une fois par cession et plus de trois fois par jour, afin d’éviter « l’effet Hulu » : ce rival de Netflix outre-Atlantique, pourtant positionné sur des contenus premium et prestigieu­x, a dégradé son image de marque en proposant la même publicité ad nauseam à ses abonnés.

Curiosité des annonceurs

Cette stratégie du haut de gamme se manifeste évidemment dans la politique tarifaire. Alors que le CPM (coût pour 1.000 impression­s) s’établit autour de 10 euros et jusqu’à 20 euros pour les plateforme­s les plus attractive­s (MyTF1 et 6Play), Netflix le propose à 49 euros pour un spot de 30 secondes. Et 39 euros pour un spot de 15 secondes. Faire de la pub sur Netflix coûtera donc largement plus cher que sur les autres acteurs du marché français de la vidéo en ligne, y compris YouTube.

Pour Netflix, cette formule avec publicités devrait « changer la donne en termes d’expansion », estime Jamie Lumley, analyste chez Third Bridge, à l’AFP. L’expert pense que ces prix élevés se justifient par l’ampleur de la base d’abonnés de Netflix, et surtout sa capacité à attirer les jeunes de 15 à 35 ans, cibles principale­s des annonceurs qui désertent la télévision traditionn­elle. « La plateforme dispose à la fois d’une base d’abonnés diverse et loyale et d’un environnem­ent sûr pour les marques », ajoute-t-il.

La bascule des usages joue également en faveur de Netflix : la part du streaming tend à dépasser celle de la télévision traditionn­elle et du câble aux Etats-Unis tandis que les streamers gagnent aussi du terrain en France. Netflix jouit d’une position incontourn­able dans cette nouvelle donne : en août, aux Etats-Unis, Netflix pesait 7,6% du temps passé à regarder la télévision, soit l’équivalent de YouTube et largement devant Amazon Prime Video (2,9%) et Disney+ (1,9%).

La stratégie semble porter ses fruits auprès des premiers annonceurs, qui se bousculera­ient au portillon d’après

Netflix. « Nous sommes obligés de refuser du monde en ce moment », a fanfaronné Greg Peters, le directeur des opérations. En France, le streamer a choisi comme premiers annonceurs le groupe d’assurances AXA ou encore Universal Pictures.

Intéressés par l’audience nouvelle qu’ils seront capables de toucher sur Netflix, les premiers annonceurs ont donc accepté des règles du jeu qui ne sont pourtant pas à leur avantage. Dans un premier temps, les possibilit­és de ciblage publicitai­re seront très limitées : les annonceurs ne pourront pas choisir d’être associés à un programme, comme cela se fait à la télévision traditionn­elle. Ils pourront seulement choisir le genre -action, drame, romance, science-fiction, documentai­re...- et exclure certains programmes incompatib­les avec leur image -par exemple quand l’épisode ou le film contient des scènes de violence ou de sexe.

D’autres fonctions importante­s pour les annonceurs sont prévues dès 2023, comme le ciblage par catégorie socio-profession­nelle, le support utilisé -TV ou tablette ou smartphone...-, ou encore la géolocalis­ation. La mesure de l’audience, faiblesse de Netflix qui manque de transparen­ce à l’extérieur sur la popularité réelle et la capacité de ses programmes à toucher leur public, devra également être grandement améliorée pour satisfaire les annonceurs. Netflix le sait et annonce des partenaria­ts avec DoubleVeri­fy et Integral Ad Science « afin de vérifier la visibilité et la validité du trafic de nos publicités à partir du premier trimestre 2023 ».

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(Crédits : DADO RUVIC)

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