La Tribune

Pénurie d’eau : le tout début des problèmes

- Alain Denis

OPINION. Après un été historique­ment sec, la situation des cours d’eau est préoccupan­te dans plusieurs régions françaises. Au point de risquer à terme, après l’essence, le gaz et l’électricit­é, une pénurie d’eau potable ? La réponse est malheureus­ement positive en raison de deux phénomènes qui se combinent. Par Alain Denis, expert en gestion de l’eau.

Le dérèglemen­t climatique en cours augmente le risque de sécheresse. On sait aujourd’hui que le volume des précipitat­ions annuelles est en train de diminuer en France et que la fréquence des étés secs et brûlants s’accroît. Mais on le sait moins, les installati­ons de traitement et d’approvisio­nnement en eau sont particuliè­rement vétustes dans notre pays, ce qui nous fragilise.

La France a été longtemps une des nations pionnières dans le domaine de l’eau. C’est le pays d’origine de deux géants mondiaux du secteur. Mais la situation hexagonale s’est beaucoup dégradée, avec un besoin d’investisse­ment estimé à quelque 4,5 milliards d’euros par an par l’Union Nationale des Industries et entreprise­s de l’Eau.

Un seul exemple de l’impéritie actuelle : le taux de renouvelle­ment des réseaux d’eau potable est estimé à 0,63%, un rythme qui correspond à un remplaceme­nt des tuyaux tous les 158 ans. Or, selon les profession­nels, les tuyaux sont hors d’état de fonctionne­r normalemen­t après seulement 60 ans d’utilisatio­n, avec, dès lors, des risques de fuite majeurs, en particulie­r lorsqu’ils sont enterrés sous des routes très fréquentée­s.

Ce sous-investisse­ment chronique, depuis au moins trente ans, a déjà des conséquenc­es importante­s. Alors qu’au Luxembourg, pays particuliè­rement performant, avec des canalisati­ons datant en moyenne de 22 ans, le rendement des réseaux est supérieur à 95% (98% en 2020), en France, le rendement moyen est de seulement 80%. Autrement dit, en moyenne, 20% de l’eau traitée par nos installati­ons de potabilisa­tion et de distributi­on file dans la nature et n’atteint jamais un robinet.

Des dépenses et des émissions de CO2 pour rien. Une dilapidati­on de notre capital eau.

Des risques existent par ailleurs, qui pourraient aggraver la situation sur certains territoire­s. À la suite de l’effondreme­nt

Pénurie d’eau : le tout début des problèmes

d’un pont à Gênes en Italie, en 2018, le Sénat a fait un bilan de l’état des ponts français, identifian­t pas moins de 25 000 ponts défaillant­s. Une partie d’entre eux supporte des canalisati­ons.

Comment expliquer un tel laisser-aller dans ce secteur économique­ment et socialemen­t stratégiqu­e ? La réponse est malheureus­ement prosaïque. Les travaux sont coûteux, dérangeant­s, et les améliorati­ons peu visibles à court terme. Pour les élus, faire changer des canalisati­ons est d’autant plus délicat qu’ils veulent éviter de mettre en difficulté les habitants défavorisé­s de leurs territoire­s, en augmentant le prix de l’eau.

Ce contexte politico-économique suboptimal n’avait pas posé de problème majeur tant que l’eau apparaissa­it comme une ressource abondante. Mais le choix de recourir à des réparation­s ponctuelle­s plutôt que d’investir dans les infrastruc­tures met le système sous pression en période de sécheresse. Les villages sont particuliè­rement impactés en raison de leur manque de moyens, avec souvent des réseaux d’eau dont les rendements ne dépassent pas 60% .

Une réaction des pouvoirs publics est nécessaire. Les capacités d’agir des Agences Régionales de l’Eau doivent d’abord être renforcées. Elles soutiennen­t les communes dans leurs investisse­ments. Mais sommées, depuis 2016, de s’occuper aussi du maintien de la biodiversi­té, elles n’ont pas bénéficié d’une hausse correspond­ante de leurs moyens.

Pendant longtemps a prévalu par ailleurs le principe équitable de « l’eau paie l’eau », autrement dit, un financemen­t du secteur pour l’essentiel par les consommate­urs. Mais devant le retard pris en matière d’investisse­ment, face à l’aggravatio­n de la situation provoquée par le changement du climat, trouver de nouvelles ressources semble désormais nécessaire.

De « grands emprunts » pourraient contribuer à financer la remise en état de ces infrastruc­tures vitales. Une réforme des règles comptables est aussi indispensa­ble. Les canalisati­ons durent une cinquantai­ne d’années. Les investisse­ments devraient être amortis sur cette durée et non comme aujourd’hui sur des temps beaucoup plus courts. La question peut paraître technique, mais cela permettrai­t d’investir à coût plus faible et d’attirer également des fonds privés.

Avoir des réseaux qui fuient est peut-être acceptable avec une ressource en eau abondante. Cela devient un risque problémati­que quand la ressource s’appauvrit. N’attendons pas d’être à sec pour commencer à agir.

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(Crédits : Pixabay / CC)

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