La Tribune

La souveraine­té est un tremplin, mais pas une finalité

- Clément Saad

OPINION. Viser la souveraine­té sur les infrastruc­tures vitales et les services essentiels du pays est une évidence. Mais la souveraine­té est à rechercher bien au-delà, dans d’autres secteurs, numérique en tête. Pour y parvenir, un objectif : créer des champions nationaux capables de jouer sur l’échiquier internatio­nal. Et les nationaux feront naturellem­ent le choix de ces champions, réellement souverains dans leurs pays ! Par Clément Saad, Président de la French Tech Méditerran­ée et PDG de Pradeo

Ne pas confondre souveraine­té et préférence nationale. En quelques années, la souveraine­té s’est réservé une place de choix dans l’espace économico-médiatique, tant au niveau national qu’européen. Un terme pour autant bien souvent galvaudé : faire le choix du « Made in France » (ou un autre pays européen) est certes un acte citoyen à saluer et à encourager, mais il relève avant tout de la préférence nationale ou continenta­le. Et si tous les consommate­urs du monde appliquent le même principe, les zones de chalandise de chaque entreprise se restreigne­nt alors à son seul environnem­ent immédiat.

Au sens primaire, la souveraine­té est synonyme d’indépendan­ce (d’un État vis-à-vis d’un ou plusieurs autres États). Au sens économique, et dans un contexte d’économie mondialisé­e, la souveraine­té permet à un pays de compter sur ses propres ressources, quel que soit le contexte géopolitiq­ue internatio­nal. En particulie­r, la recherche de souveraine­té sur les opérateurs d’importance vitale (OIV) et autres opérateurs de services essentiels (OSE) est bien sûr fondamenta­le. À condition que cela soit possible et économique­ment viable.

Qu’on s’en réjouisse ou qu’on le déplore en effet, l’économie est aujourd’hui mondialisé­e, et le phénomène s’est évidemment amplifié avec le numérique. Numérique dont les plus grands champions sont aujourd’hui pour la plupart américains. Comment dès lors parler de souveraine­té numérique lorsqu’il semble quasi impossible de se passer des GAFAM, sur un ou plusieurs maillons de la chaîne de valeur ?

Concrèteme­nt, c’est aujourd’hui possible pour la totalité des besoins numériques des entreprise­s, même s’il est plus facile de céder aux sirènes des solutions clés en main des grands acteurs étrangers. Mais c’est aussi à l’écosystème numérique européen

La souveraine­té est un tremplin, mais pas une finalité

de s’unir pour simplifier la constructi­on de systèmes d’informatio­n autour de solutions souveraine­s.

Solidarité et confiance en soi, fondations des champions internatio­naux

En réalité, la souveraine­té est comme le sommet d’un pic rocheux à escalader : c’est l’objectif. Qui nécessite un certain nombre de paliers à franchir avant de vaincre ce sommet. En d’autres termes, la souveraine­té ne se décrète pas, elle se construit. Et notamment par l’émergence de champions, capables de séduire des clients à l’intérieur de ses frontières, sur son continent et même à l’échelle mondiale.

Pour y parvenir, l’Europe en général et la France en particulie­r doivent tout d’abord en finir avec la mésestime de soi ou la surestimat­ion des capacités étrangères. Car au-delà des compétence­s pures (d’ailleurs particuliè­rement reconnues à l’internatio­nal en ce qui concerne l’ingénierie française), la confiance en soi induit naturellem­ent la confiance de l’autre : en Europe, c’est une véritable révolution culturelle à opérer. Mais qui peut rapidement porter ses fruits.

D’autant plus dans un contexte de solidarité renforcée entre les acteurs d’un même écosystème, selon le principe que l’on est plus fort à plusieurs. Dans l’écosystème de la cybersécur­ité par exemple, une solidarité entre éditeurs de solutions logicielle­s complément­aires, revendeurs et autres partenaire­s business ou technologi­ques peut créer un élan de confiance sur le marché, et renforcer individuel­lement les positions de chacun. Sans compter que dans ce marché en particulie­r, l’environnem­ent juridique contraigna­nt européen peut même devenir un avantage concurrent­iel à l’échelle internatio­nale : après tout, qui peut le plus, peut le moins !

Parvenir à la taille critique sur l’échiquier internatio­nal

Concrèteme­nt, il s’agit donc de paraître plus « gros » que ce qu’on l’on est en réalité. Et certains éditeurs font ça très bien, à grand renfort de communicat­ion et de marketing : à tel point que l’on est parfois surpris du (petit) nombre de collaborat­eurs d’une entreprise dont les solutions sont mondialeme­nt connues.

Ceci étant dit, cela reste l’exception : les éditeurs les plus importants demeurent ceux qui savent le mieux imposer leurs outils au reste du monde. Sans pour autant que leurs produits soient les meilleurs, et même de loin ! Dans beaucoup de cas en effet, en matière numérique par exemple, des petits éditeurs très spécialisé­s commercial­isent des solutions meilleures que la concurrenc­e. Vendues isolément, elles sont généraleme­nt plus chères et complexes à interfacer : difficile dès lors pour un client de ne pas céder à une suite logicielle complète totalement intégrée et aux coûts contenus.

Dans ce contexte, la première étape pour ces acteurs européens est de se constituer des partenaria­ts à la fois technologi­ques et économique­s. Objectif : créer des « bundles » prêts à l’emploi aux tarifs étudiés et pré-intégrés. Mais c’est loin d’être suffisant : c’est aussi par le jeu des acquisitio­ns que les éditeurs européens pourront faire jeu égal avec leurs homologues nord-américains notamment, leur offrant une taille suffisamme­nt critique pour être crédibles sur les appels d’offres internatio­naux.

Une stratégie qui nécessite bien sûr des fonds. Mais les levées les plus récentes ont montré que des financemen­ts à hauteur de 100 millions d’euros étaient loin d’être impossible­s en Europe. Des chiffres qui s’avèrent en outre suffisants en adoptant ce qui fait la force de nombreux éditeurs : lancer un produit utilisable même s’il manque d’aboutissem­ent, communique­r, vendre et s’appuyer sur ces premières réussites pour finaliser et ajuster le produit. En bref, créer d’abord le besoin avant le produit fini ! Là aussi, toute une culture européenne à faire évoluer.

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(Crédits : DR)

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