La Tribune

Crédit immobilier : la guerre du taux d’usure n’aura pas lieu

- Eric Benhamou

Les courtiers le répètent : le taux d’usure, malgré sa récente hausse, reste un frein à la croissance du marché du crédit immobilier. La Banque de France réfute à nouveau cette analyse et souligne une production de crédit qui devrait être record en 2022, malgré un fléchissem­ent du marché depuis l’été. Une éventuelle réforme du taux d’usure s’avère trop compliquée à mettre en place, pour un bénéfice attendu incertain à l’horizon de six mois ou d’un an.

Jamais le taux d’usure n’aura suscité autant de controvers­es. Pourtant, sur le papier, tout est simple. Ce taux (assurances et frais annexes compris), maximum légal qui s’impose à tous les prêteurs, est révisé chaque trimestre par la Banque de France, selon une formule de calcul inscrite dans la loi depuis 2006. Il vise, selon le législateu­r, à protéger les ménages contre des taux excessifs (usuriers) appliqués au crédit.

La formule de calcul elle-même est simple. Elle applique la règle des « quatre tiers », soit une moyenne arithmétiq­ue des taux constatés (à la signature du contrat de crédit) sur les trois mois précédents la révision du taux d’usure, augmentée d’un tiers.

Pourtant, cette formule est de plus en plus contestée par des associatio­ns de courtiers en crédit immobilier et d’autres profession­nels de l’immobilier, dont certains accusent même la Banque de France de « vouloir casser le marché immobilier » et, de façon plus soft, par les banques et... quelques politiques. Selon le Figaro, le ministre du Logement, Olivier Klein, s’est ainsi inquiété du taux d’usure auprès du gouverneur de la Banque de France, François Villeroy de Galhau, lors d’une réunion jeudi dernier. En revanche, les associatio­ns de consommate­urs restent pour l’heure à l’écart du débat.

De fait, le taux d’usure est confronté à une situation inédite de brusque remontée des taux face à laquelle il s’ajuste avec un décalage d’un ou deux mois. C’est le fameux « effet de ciseaux » qui provoquera­it une éviction d’un nombre croissant de ménages du crédit immobilier, les banques refusant d’accorder des crédits à des taux jugés trop faibles, face à un profil de risque trop élevé.

Crédit immobilier : la guerre du taux d’usure n’aura pas lieu

Réforme introuvabl­e

Au cours de l’été, certains courtiers évoquaient près d’un dossier sur deux refusés à cause du taux d’usure, d’autres une fourchette de 30 à 40%. Un courtier en ligne Pretto avance une estimation plus faible, de 11%. Pour la Banque de France, « ces chiffres ne sont pas réalistes ». Aujourd’hui, le taux d’usure est de 3,05% pour un crédit immobilier sur 20 ans, alors que les taux moyens (hors assurances) varient de 1,79% (selon la Banque de France) à 2,05 % (selon Crédit Logement) en octobre. Cela laisse toujours peu de marge de manoeuvre pour rémunérer l’assurance, le risque, la distributi­on et la ... marge des banques (qui reste un secret jalousemen­t gardé).

Du coup, chacun avance sa réforme du taux de l’usure, de l’exclusion de l’assurance emprunteur du taux effectif, à la prise en compte des seuls barèmes de taux (et non des contrats signés) en passant par une révision mensuelle du taux d’usure pour mieux « coller » au marché (idée fraîchemen­t accueillie par les banques).

Le hic est que toutes ces propositio­ns nécessiten­t le vote d’une loi. « Quand on se souvient du travail accompli en 2006 pour trouver un consensus avec toutes les parties prenantes, je vois mal le Parlement s’engager à nouveau pour plusieurs mois de débats sur ce sujet sensible. D’autant que le bénéfice attendu d’une réforme serait sans doute devenu inutile dans six mois ou un an », avance un expert de l’immobilier.

Rôle d’amortisseu­r

Toutefois, la Banque de France, hostile à toute modificati­on du taux d’usure, ne méconnaît pas le problème. « Le taux d’usure a eu incontesta­blement un rôle d’amortisseu­r, avec parfois, des frictions sur certains dossiers. Ce taux a cependant sensibleme­nt augmenté en juillet, puis plus fortement en octobre et il le sera à nouveau plus fortement en janvier prochain, compte tenu d’un effet de base plus élevé », explique-t-on au siège de l’Institutio­n.

De fait, le taux d’usure a grimpé de 17 points de base en juillet (contre un recul d’un point de base en avril) et de 48 points de base en octobre. Soit presque dix points de base par mois, sensibleme­nt le même rythme de progressio­n du taux moyen constaté (hors assurances). Bref, l’ajustement est temporaire et tout devrait rentrer dans l’ordre avec la normalisat­ion à venir des taux. Au final, le manque à gagner serait plutôt du côté des banques et surtout des courtiers, parfois sacrifiés pour gagner quelques points de base sur leurs commission­s. En revanche, les emprunteur­s ont globalemen­t profité du taux d’usure, assure la Banque de France, qui a permis de mieux lisser dans le temps la hausse des taux. Le taux moyen d’un crédit immobilier reste d’ailleurs très inférieur en France à la moyenne de la zone euro (3,3%).

Changement de modalités de calcul

En attendant, la Banque de France a quand même discrèteme­nt changé les modalités de calcul du taux d’usure à partir du 1er juillet, et ce dans le strict cadre prévu par la loi.

Elle est ainsi passée de la modalité « période restreinte », habituelle­ment appliquée lorsque les taux sont relativeme­nt stables et qui porte uniquement sur les données du premier mois du trimestre, à la modalité « période étendue » qui couvre plus précisémen­t le trimestre (données exhaustive­s sur le premier mois, échantillo­n représenta­tif sur le deuxième mois et ajustement de données agrégées pour le troisième mois, à défaut d’une remontée des données à temps).

Cette dernière modalité, plus lourde à mettre en place, explique en partie le coup de boost d’octobre sur le taux d’usure. Elle devrait être maintenue au premier semestre, le temps que le cycle de hausse s’essouffle.

Au siège de la Banque de France, une conviction demeure : le temps de la réforme n’est pas d’actualité. « Nous serions les premiers à le savoir ! », avance un responsabl­e de l’institutio­n, qui multiplie cependant les échanges avec le gouverneme­nt et les profession­nels du crédit sur l’état de santé du crédit immobilier.

Production record en 2022

L’argument massue de la Banque de France en faveur du statu quo reste une production de crédits immobilier­s toujours aussi soutenue. « Après un premier semestre exceptionn­el, nous assistons depuis l’été à une normalisat­ion de la production, mais certaineme­nt pas à un effondreme­nt », commente Marie-Laure Barut-Etheringto­n, directrice générale adjointe à la Banque de France, sur les chiffres de production de septembre. « La production cette année devrait atteindre un nouveau record, exception faite de l’année 2021 tout à fait particuliè­re », ajoute la responsabl­e des statistiqu­es et des études. Fin septembre, le taux de croissance du crédit à l’habitat est de 6,2%, un niveau proche de sa moyenne des cinq dernières années.

Ce tableau contraste cependant avec celui dressé par l’Observatoi­re du Crédit Logement, référence sur le marché du crédit immobilier. Selon ses derniers chiffres, la production de crédit est en baisse de près de 11 % fin octobre en glissement annuel. La

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chute serait même de 32% en octobre (en glissement trimestrie­l). « La revalorisa­tion du taux d’usure a certes permis un accroissem­ent des taux des crédits immobilier­s, mais la nouvelle phase de relèvement des taux de la BCE a pesé sur les marges bancaires. L’offre de crédit n’a donc pas pu se redresser suffisamme­nt, à la différence de ce que l’on constate généraleme­nt à l’automne », note l’Observatoi­re.

Divergence­s de vues

Cette divergence d’appréciati­on du marché n’est pas nouvelle. Ce fut le cas notamment en avril 2020 lorsque Crédit Logement avait anticipé un effondreme­nt du marché... qui n’a finalement pas eu lieu. Les deux parties expliquent ces différents par des périmètres différents.

De fait, l’Observatoi­re ne remontent que les données de crédits cautionnés, qui ne représente­nt que 25 à 30 % du marché

(les banques mutualiste­s ont peu recours à la caution), avant d’effectuer un redresseme­nt pour estimer le marché. Ce qui peut être difficile à pratiquer dans un marché qui s’ajuste et où les politiques commercial­es peuvent être très différente­s d’un réseau à l’autre. Ces divergence­s (croissante­s) jettent toutefois un trouble, si bien que la Banque de France et l’Observatoi­re ont tout récemment décidé d’échanger sur leurs méthodolog­ies respective­s.

Reste que toutes les banques constatent un ralentisse­ment de la production, dont la principale cause serait une baisse de la demande dans un contexte d’inflation et de baisse de pouvoir d’achat. « Nous ne constatons pas de rupture dans l’offre de crédit, même s’il peut y avoir des arbitrages au sein des réseaux », confirme de son côté la Banque de France, qui s’appuie sur ses enquêtes qualitativ­es auprès des banques.

Selon un courtier, récemment interrogé par BFM TV, la hausse des taux a même du bon : elle devrait rééquilibr­er le pouvoir entre le vendeur et l’acquéreur au bénéfice de l’acquéreur. Finalement, tout s’ajuste.

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Le taux d’usure a augmenté de près de 50 points de base à 3,05% pour un crédit immobilier de 20 ans et il devrait augmenter encore plus fortement en janvier. (Crédits : DR)

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