La Tribune

Innovation santé : la France se donne-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions ?

- Florence Pinaud @florencepi­naud

Deux ans après le début de la crise sanitaire qui avait mis en exergue les nombreuses faiblesses de notre industrie du médicament et de notre système de santé, la France se donne-t-elle vraiment les moyens de revenir au premier plan ? De quoi cet écosystème a-t-il besoin pour financer l’innovation pharmaceut­ique ? Comment corriger ce qui nous a amené là ? Pour en savoir plus, suivez ce mardi sur latribune.fr notre Forum Santé Innovation organisé à Lyon.

En octobre, le projet de loi de financemen­t de la sécurité sociale PLFSS 2023 a réussi un tour de force : réunir contre lui tous les laboratoir­es pharmaceut­iques présents en France. Avec le plan Innovation santé France 2030 annoncé en juin 2021 par Emmanuel Macron, la politique du pays semblait pourtant prendre un virage à 180 degrés. La volonté d’attirer les investisse­ments en affirmant que la France redevenait un terreau fertile pour inventer et fabriquer des médicament­s innovants aura tenu un an avant que l’administra­tion de la Santé ne revienne imposer ses coupes budgétaire­s. Après cette douche froide, le Gouverneme­nt a rectifié le tir en retouchant ou abandonnan­t les articles les plus controvers­és. Mais cette année comme les autres, les prix des médicament­s doivent baisser de 800 millions d’euros malgré l’inflation qui fait fondre les marges. Surtout avec la clause de sauvegarde que les labos considèren­t comme une taxation de 2,4 milliards d’euros en 2023 sur l’industrie pharmaceut­ique. Et si certains grands laboratoir­es s’en tirent toujours très bien avec des bénéfices record, d’autres se demandent s’ils vont continuer à produire des gélules à prix français. La France va-t-elle enfin rompre avec son manque d’attractivi­té pharmaceut­ique.

Innovation santé : la France se donne-t-elle vraiment les moyens de ses ambitions ?

Manque d’attractivi­té chronique

Depuis vingt ans, notre politique du médicament décourage les investisse­ments des Big Pharma. De la découverte d’un nouveau traitement à sa mise sur le marché, notre pays est loin derrière les performanc­es de nos voisins européens. Avec de multiples autorités et des procédures complexes, un nouveau traitement met trois fois plus de temps qu’en Allemagne pour arriver sur le marché ! Et quand il y parvient c’est avec un prix moins élevé que chez la plupart de nos voisins d’Europe du Nord. Du coup, les labos exfiltrent la production vers des pays low-cost pour conserver leurs marges.

Si la France a été pionnière sur le marché du médicament, elle aligne aujourd’hui cinq handicaps : une recherche à la traîne, peu de croissance pour les labos, des négociatio­ns de prix au rabais, une réglementa­tion complexe et des délais d’accès au marché à rallonge. Les deux années de crise sanitaire l’ont bien montré, l’ensemble de ces défauts aboutit à l’absence d’un seul vaccin anti-covid formulé chez nous et des anticorps contre le coronaviru­s qui n’ont rien de français.

Prise de conscience et plan innovation

Devant cette désindustr­ialisation rampante et notre difficulté d’accès aux innovation­s santé, il fallait agir au plus vite. C’est pourquoi en juin 2021, le Conseil stratégiqu­e des industries de santé (CSIS) avait listé une série de mesures reprises par Emmanuel Macron dans le plan Innovation Santé 2030. Le programme : restaurer l’attractivi­té et la compétitiv­ité de notre pays pour faire de la France la première nation européenne innovante et souveraine en santé, à horizon 2030. Une ambition nécessitan­t de revoir sérieuseme­nt l’écosystème de recherche et de développem­ent. Mais une ambition qui peut encore paraître réaliste alors que le pays, malgré ses handicaps, reste à la quatrième place européenne derrière la Suisse, l’Allemagne et l’Italie. Avec ses 7,5 milliards d’€ d’investisse­ments annoncés, le plan de juin 2021 a relancé une dynamique. Parmi les investisse­ments prévus : les clusters, des crédits R&D et une Agence de l’innovation en Santé propres à améliorer sérieuseme­nt notre attractivi­té.

Lire ici l’interview d’Olivier Laureau, président de Servier

Un retour d’inspiratio­n

Directeur général du syndicat des entreprise­s du médicament, le Leem, Philippe Lamoureux s’en était réjoui à l’époque. « Le gouverneme­nt a partagé le constat du CSIS, la politique du médicament est arrivée au bout d’un système. Nos mécanismes de régulation comme notre manque de financemen­t empêchent la France d’atteindre ses objectifs. ». Dès son annonce, le plan a renforcé la confiance des laboratoir­es. Pierre Fabre a relocalisé une partie de sa production dans le Sud-Ouest, Servier a ouvert une nouvelle unité de production en Normandie, IPSEN a relocalisé la production d’un médicament et le groupe français de biotechnol­ogies LFB construit une nouvelle usine dans le Pasde-Calais, sans oublier le site de production de vaccin de nouvelle génération annoncé par Sanofi dans la région lyonnaise, ni les investisse­ments de labos étrangers tels que Merck ou Lilly. Une vague de dynamisme « médicament­s » qu’on n’avait pas vu en France depuis longtemps.

Mais des délais d’applicatio­n trop lents

Mais même avec ces bonnes intentions, la France semble avoir du mal à concrétise­r les annonces pour sortir de la politique d’affichage. Certes, des premières mesures ont été prises comme le justifie de nombreux décrets d’applicatio­n du plan Innovation sont toujours en attente. « En outre, la réforme de l’accès direct au marché pour les médicament­s innovants n’est pas encore effective : elle est attendue pour la fin de l’année », explique Didier Véron, président du G5 Santé qui regroupe les dirigeants des huit principale­s entreprise­s de santé françaises. Autre avantage qui se fait attendre, la prime au « made in

France ». « Le prix des médicament­s devrait tenir compte de l’implantati­on des sites de production afin de favoriser les traitement­s fabriqués localement, précise Didier Véron. Mais on attend toujours la mise en oeuvre de la mesure, le comité (CEPS) qui fixe le prix des produits de santé devrait finaliser sa doctrine sur ce sujet avant la fin de l’année. »

Fin octobre, le comité de pilotage ministérie­l France 2030 « santé » a présenté l’avancement du plan innovation santé. Comme indiqué, l’accès direct au marché pour les médicament­s innovants est prévu avant la fin de l’année. La première vague de l’appel à projet biocluster­s a été clôturée et les lauréats devraient être annoncés prochainem­ent avant une seconde vague. Dans ce bilan, 230 millions d’euros sont annoncés sur différents programmes de recherche, notamment autour des biothérapi­es. Enfin, l’agence de l’innovation en santé a été formelleme­nt lancée. Elle pilotera la mise en oeuvre du volet santé France 2030 en lien avec les ministères et opérateurs concernés. Elle coordonner­a les travaux sur la prospectiv­e en santé et “proposera des simplifica­tions des processus existants pour les accélérer en identifian­t les cas d’usages prioritair­es”. À sa tête, la Dr Lise Alter vient d’être nommée.

Autre mesure prometteus­e mais inscrite au PLFSS 2023 : un nouveau modèle de financemen­t pour les médicament­s de

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thérapies innovantes ne nécessitan­t qu’une administra­tion. Ces traitement­s souvent issus de la thérapie génique affichent des prix faramineux difficiles à supporter par l’Assurances maladie. Le dernier record en date : 3 millions de dollars l’injection pour le Skysona de la biotech américaine Bluebird contre une maladie génétique rare. Pour ces traitement­s censés guérir totalement le patient, la prise en charge étalera les paiements au labo et un contrat de performanc­e impliquera une suspension des règlements en cas d’absence d’efficacité.

Vers une nouvelle politique du médicament

Pour Cédric Moreau, associé chez Sofinova Partners, les recettes Innovation santé sont connues : « Des procédures uniques et des prix 3 à 4 fois plus élevés que chez nous, comme le pratiquent les États-Unis. En Europe, nous ne sommes pas encore assez centralisé­s, l’Agence européenne du médicament n’a pas harmonisé tous les process. » Sur ce terreau, les meilleures idées de nos jeunes talents biotech ont bien du mal à grandir puis à se transforme­r en licornes, seuls certains champions de l’e-santé parviennen­t à émerger à l’internatio­nal, les règles d’autorisati­on plus récentes se montrant mieux adaptées. Selon le cofondateu­r et directeur général de Truffle Capital, le terrain s’améliore lentement. « Les investisse­ments sont plus nombreux mais la surface d’Euronext est 10 à 15 fois moins grande que celle du Nasdaq. À quoi sert d’être une “start-up nation” si on n’est pas capable de retenir et de développer nos jeunes pousses innovantes ? » De plus, Philippe Pouletty souligne le retard de notre recherche académique. « Si on veut la stimuler, faisons de l’Agence nationale de la recherche le vecteur majeur du financemen­t des projets. Cela permettra de multiplier son budget par quatre pour atteindre 5 milliards d’euros. Et elle pourra concentrer ces crédits sur les laboratoir­es qui préparent de vraies innovation­s, comme aux États-Unis. Tant que notre recherche académique restera gouvernée par l’administra­tion, elle demeurera diluée et peu efficace. »

Un retard de recherche qui semble aussi lié à un manque de culture scientifiq­ue chez les nouvelles génération­s. Difficile de rêver d’une carrière en mode biotechnol­ogie. « L’innovation part des jeunes talents qui se développen­t dans les collèges et les lycées avant que notre système soutienne leurs inventions révolution­naires, estime Fabrice André, directeur de la recherche de Gustave Roussy. Il y a une question culturelle dans notre époque et dans notre pays, avec un véritable manque d’appétence pour les sciences. L’Allemagne, les Pays-Bas et la Grande Bretagne ont renoué avec une culture de l’innovation dans leur système éducatif, mais pas la France. Heureuseme­nt, nos laboratoir­es récupèrent des jeunes talents venus d’Amérique du Sud, d’Europe de l’Est et d’Italie ». Financemen­t et goût du risque, culture des sciences et de l’ingénierie, simplifica­tion des procédures administra­tives à rallonge et fin du saupoudrag­e systématiq­ue, le programme Innovation santé France 2030 a bien des défis à relever.

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Pour en savoir plus

Suivez ce mardi 8 novembre 2022 sur latribune.fr notre Forum Santé Innovation organisé à Lyon.

Le programme ici. https://forum-sante-innovation.fr/

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