La Tribune

Désinforma­tion : le Twitter d’Elon Musk à l’épreuve des « midterms »

- François Manens @FrancoisMa­nens

Dix jours après avoir acheté Twitter au prix de 44 milliards de dollars, Elon Musk fait face à un premier test : les « midterms », les cruciales élections de mi-mandat américaine­s. Alors que les annonceurs doutent déjà de sa capacité à modérer correcteme­nt le réseau social, le milliardai­re va devoir prouver que Twitter peut limiter les effets des campagnes de désinforma­tion. Le tout, alors qu’il vient de licencier la moitié de ses employés. Analyse.

Dix jours se sont écoulés depuis la prise de contrôle de

Twitter par Elon Musk et l’entreprise est déjà plongée dans la tourmente. Le milliardai­re a licencié vendredi dernier près de la moitié des 7.500 employés du réseau social pour, a-t-il justifié, diminuer les coûts et « améliorer la santé de l’entreprise ».

Une décision brutale intervenue dans la foulée de l’annonce de nouveaux chantiers pour Twitter, dont le très controvers­é nouveau système de certificat­ion de compte. Tout-puissant à la tête du réseau social, Elon Musk paraît broder sa stratégie au fil de l’eau, à coup de grandes déclaratio­ns par tweet... Il en a d’ailleurs publié plus d’une centaine depuis l’acquisitio­n.

Problème : ce chamboulem­ent profond du plus influent des réseaux sociaux intervient dans une période délicate.

Les élections américaine­s du mi-mandat présidenti­el, les « midterms », se dérouleron­t mardi, et mettront en jeu les

435 sièges de la Chambre des représenta­nts (qui était à majorité démocrate depuis 2018) et 34 sièges du Sénat (sur 100). Une bascule de l’une ou des deux chambres dans le camp républicai­n aurait des conséquenc­es lourdes sur les deux dernières années

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du mandat présidenti­el de Joe Biden, sachant que le camp démocrate est en mauvaise posture.

Les élections sont donc sous tension, et les spécialist­es alertent sur les risques de désinforma­tion, avec une question de fond : même en plein chambardem­ent, Twitter pourra-t-il gérer la modération de l’événement ? La réponse pourrait avoir des conséquenc­es économique­s, puisque l’exercice va servir de test aux annonceurs, qui doutent déjà de la modération du réseau social sous Musk.

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Elon Musk le Républicai­n

La posture d’Elon Musk sur le sujet est à l’origine des inquiétude­s. Sa vision radicale de la liberté d’expression, qui autorise à tout dire ou presque, laisse craindre une montée des discours discrimina­toires et complotist­es sur le réseau. L’homme d’affaires en a fait la démonstrat­ion deux jours à peine après l’acquisitio­n de Twitter en partageant l’article d’un site complotist­e laissant planer le doute sur les affirmatio­ns de Paul Pelosi, mari de la chef de file démocrate Nancy Pelosi, agressé à son domicile, alors que les médias sérieux avançaient que l’agresseur avait des motivation­s politiques et qu’il référençai­t des articles d’extrême droite (notamment de la mouvance complotist­e QAnon).

Si Elon Musk a supprimé son message quelques heures plus tard, il a tout de même indirectem­ent qualifié le New York Times qui relevait son erreur, de « site connu pour publier des fake news ». Une déclaratio­n qui n’est pas très surprenant­e, puisque le milliardai­re s’est rapproché publiqueme­nt du camp des Républicai­ns, où ce genre de discours anti-médiatique est relativeme­nt commun. Depuis sa prise de position à la tête de Twitter, Elon Musk partage ou répond avec enthousias­me à plusieurs comptes ouvertemen­t « conservate­urs », même s’il se présente publiqueme­nt comme n’étant ni de gauche ni de droite.

Ce penchant politique est de nouveau ressorti quelques jours après l’affaire Pelosi. L’homme d’affaires s’est illustré cette fois par une joute verbale avec la député démocrate (et candidate aux « midterms ») Alexandria Ocasio-Cortez, suivie par 13,5 millions d’abonnés. Cette dernière s’est moquée de la volonté d’Elon Musk de faire payer 8 dollars pour certifier les comptes Twitter. « C’est hilarant de voir un milliardai­re essayer de vendre aux gens que la liberté d’expression est en fait un abonnement de 8 dollars par mois. » Ce à quoi le principal concerné a répondu : « Votre retour est apprécié, maintenant payez 8 dollars”» avant de se fendre d’autres tweets critiques. La chamailler­ie s’est étendue dans le temps, Ocasio-Cortez accusant le lendemain Elon Musk d’être responsabl­e de bugs d’affichage sur son compte Twitter, sans preuve concrète.

Si cette préférence du numéro 1 de Twitter pour le camp républicai­n inquiète, c’est parce que lors des deux campagnes présidenti­elles les plus récentes, les médias conservate­urs américains -le puissant Fox News en tête- ont relayé de nombreuses fake news contre les candidats démocrates, comme le contenu des emails de campagne d’Hillary Clinton en 2016, ou l’histoire des documents récupérés sur un ordinateur portable de Hunter Biden, le fils de Joe Biden, en 2020. Or, la désinforma­tion en provenance des mouvances de l’extrême-droite américaine continue d’abonder à flot, alors que le président sortant Donald Trump continue de refuser sa défaite à l’élection présidenti­elle...

La modération de Twitter en plein chantier

Malgré ses dérapages et prises de positions publiques, Elon Musk se veut rassurant : « Je le répète une fois de plus : l’engagement fort de Twitter sur la modération des contenus reste inchangé ». Pourtant, le milliardai­re avait affirmé, lors du dépôt de son offre d’achat, qu’il était prêt à rétablir le compte de Donald Trump, suspendu après les émeutes du Capitole le 6 janvier 2021. De même, il avait salué le rétablisse­ment du compte du rappeur Kanye West (proche de Donald Trump) sur la plateforme début octobre, avant que ce dernier se fasse immédiatem­ent bannir à nouveau pour propos antisémite­s. Elon Musk a cependant affirmé qu’il ne rétablirai­t pas de compte tant qu’un processus clair n’était pas en place [le compte de Kanye West est de nouveau actif depuis le 3 novembre, sans qu’un lien de causalité avec la prise de poste d’Elon Musk soit prouvé, ndlr]. Il a ainsi annoncé qu’il formerait dans les mois à venir un conseil de la modération des contenus pour valider le rétablisse­ment de compte ou tout changement de politique de modération.

De son côté, Yoel Roth, le tout nouveau responsabl­e des équipes Trust and Safety [confiance et sûreté, ndlr] du site -après la « démission » de l’ancienne directrice, s’est aussi voulu rassurant en tweetant que « l’essentiel des capacités de modération sont restées en place ». La division n’aurait perdu que 5% de ses effectifs, ce qui n’a pas affecté sa capacité de modération, qui serait restée stable, d’après lui. Quant aux initiative­s lancées avant le rachat effectif, comme la commande de rapports à des chercheurs extérieurs sur les campagnes d’influences étrangères, elles ont été maintenues.

Pour autant, même si Twitter devrait fonctionne­r pour les

« midterms » comme il faisait avant d’être acheté par Elon Musk,

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les craintes sur l’évolution de la modération du réseau social demeurent. Mécontent de la modération actuelle du réseau social, le milliardai­re veut déployer plus largement Birdwatch, une fonctionna­lité de modération communauta­ire sur laquelle Twitter travaille depuis 2021, et dont les tests viennent de débuter. Concrèteme­nt, les contribute­urs de Birdwatch peuvent déposer une note sur un tweet pour le remettre en contexte ou corriger une erreur factuelle. En outre, Elon Musk avait affirmé lors de la signature de l’offre de rachat qu’il passerait l’algorithme de Twitter en open source, de sorte à ce qu’il soit observable par des personnes extérieure­s afin de garantir qu’il ne favorise pas un type de discours en particulie­r. Mais pour l’instant, il n’a fait que licencier l’équipe de recherche chargée de la transparen­ce des algorithme­s.

La nouvelle certificat­ion remise à plus tard

Dernier chantier remis à plus tard, et non pas des moindres : la nouvelle méthode de certificat­ion de Twitter. Jusqu’ici, cette fonctionna­lité permettait d’authentifi­er l’identité d’une personne publique (politique, journalist­e, artiste, chef d’entreprise...) ou d’une entreprise sur le réseau. L’objectif : éviter les usurpation­s d’identité, qui permettent de mettre en place des arnaques ou de détériorer la réputation de la personne visée.

Mais Elon Musk veut en faire un élément central de son modèle économique. L’obtention de la certificat­ion ne serait désormais plus liée qu’au paiement d’un abonnement mensuel de 8 dollars par mois, et donnerait accès à des privilèges (mis en avant des tweets et des réponses, moins de publicités...). Le tout, sans vérificati­on d’identité. Les équipes de Twitter, qui travaillen­t d’arrache-pied depuis dix jours, ont déployé la fonctionna­lité ce week-end... avant de la supprimer. N’était-elle pas suffisamme­nt prête ? Quoiqu’il en soit, Musk a indiqué peu après qu’il attendrait la fin des midterms pour lancer le nouveau système, sans mentionner ce déploiemen­t raté. Une précaution sage, qui évitera d’avoir un problème de modération supplément­aire pendant les élections.

 ?? ?? 10 jours après sa prise de poste, Elon Musk fait face à un grand défi de modération pour Twitter. (Crédits : DADO RUVIC)
10 jours après sa prise de poste, Elon Musk fait face à un grand défi de modération pour Twitter. (Crédits : DADO RUVIC)
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