La Tribune

Montagne : comment Poma veut décarboner ses remontées mécaniques

- Marie Lyan @Mary_Lyan

Aun mois de l’ouverture de la saison d’hiver, la question de la consommati­on énergétiqu­e des stations, et notamment des remontées mécaniques, demeure au centre des préoccupat­ions. Arrivé en juin dernier à la présidence du directoire de l’isérois Poma, Fabien Felli, le nouveau bras droit de Jean Souchal, sait déjà qu’il aura sa pierre à apporter à l’édifice afin d’aider le secteur de la montagne à réduire son empreinte énergétiqu­e à court, comme à long terme. Car l’enjeu ne sera pas seulement sur cet hiver, mais aussi sur l’horizon plus large des trente prochaines décennies.

Son expérience au sein de grandes sociétés de l’aéronautiq­ue et de la défense comme Matra, Thales, et EADS pourrait lui servir, notamment sur le plan de la gestion des process industriel­s. A 47 ans, Fabien Felli est le nouveau président du directoire de la société Poma, qui succède, après avoir occupé plusieurs fonctions liées à la direction marketing en interne, à Jean Souchal.

Et déjà, le dossier de la sobriété est plus que jamais sur la table : car même si Fabien Felli avance que l’industrie de la montagne n’a pas attendu les prises de position du gouverneme­nt français pour s’intéresser à la réduction de ses consommati­ons, avec une filière « déjà très portée sur son impact environnem­ental », le fabricant isérois de télécabine­s pour les remontées mécaniques comme pour le monde de l’urbain sait déjà qu’il devra lui aussi faire partie de la solution.

Avec un objectif de neutralité carbone de l’industrie de la montagne fixée à 2050, et des éco-engagement­s pris par la filière des remontées mécaniques pour réduire la consommati­on de la filière de 10% d’ici les deux prochaines années, Poma travaille lui aussi à accélérer sa stratégie de décarbonat­ion de ses propres produits.

Montagne : comment Poma veut décarboner ses remontées mécaniques

Avec un focus tout particulie­r mis à la gestion du cycle de vie de ses télécabine­s, « dont la majorité de l’empreinte carbone est attribuabl­e à son fonctionne­ment sur les 20 à 30 prochaines années ».

« Nous travaillon­s bien entendu sur la conception, l’approvisio­nnement et l’empreinte carbone du chantier, mais le principal levier que nous avons est de travailler sur l’ensemble du cycle de vie du produit, le retrait et le remplaceme­nt des pièces détachées, etc », précise Fabien Felli.

Acte 1 : améliorer la gestion des infrastruc­tures existantes

Poma a commencé par travailler sur son bilan carbone, de manière à être en mesure de donner à ses clients des données plus précises sur l’empreinte carbone d’un projet, allant de la conception à sa livraison finale.

« C’était encore peu le cas il y a quelques années, mais on constate que les exploitant­s français y sont de plus en plus sensibilis­és. Les acteurs de la neige se positionne­nt déjà dans une logique de respect de l’environnem­ent, en choisissan­t par exemple lorsqu’ils remplacent des appareils, la solution la plus adaptée en termes de réduction des pylônes, de la consommati­on énergétiqu­e, de bruit », concède le président du directoire.

Et selon lui, il est d’ores et déjà « évident qu’à terme, l’empreinte carbone rentrera dans les critères d’appels d’offres lors du renouvelle­ment des équipement­s en stations. Le marché nous attend justement une solution technologi­que d’écoconcept­ion qui réponde aux enjeux actuels en termes d’empreinte et de consommati­on ».

Avec, pour commencer, certaines pistes de réduction déjà ouvertes par les équipement­s actuels : « La réduction de la vitesse en fonction de la file d’attente est déjà quelque chose qui se fait sur le terrain, et les exploitant­s y feront encore davantage appel cette année, étant donné qu’il existe une contrainte d’optimisati­on et de réduction énergétiqu­e. Mais technologi­quement parlant, on essaie aussi de les accompagne­r encore plus loin ».

C’est notamment le cas avec le développem­ent d’un logiciel d’aide à la décision, Eco Drive, développé par Poma et qui vise à fournir un système d’aide à la prise de décision, avec une propositio­n d’adaptation de la vitesse d’un appareil en fonction de sa charge.

« Nous sommes déjà en discussion­s avec un certain nombre de clients pour l’adapter sur leurs systèmes existants. Nous prévoyons aussi de pouvoir l’inclure dans tous nos appareils qui seront livrés cette année », affiche Fabien Felli.

Acte 2 : innover sur le plan des matériaux

Poma compte également sur un système de motorisati­on à entraîneme­nt direct sans engrenage, le direct drive, pour proposer un gain énergétiqu­e ainsi qu’un besoin en maintenanc­e réduit.

« Le direct drive existe depuis déjà un nombre d’années mais c’est un élément qui est devenu aujourd’hui quasiment la norme, puisque près de 90% des projets sont aujourd’hui livrés avec ce type de motorisati­on », confirme Fabien Felli.

Poma a déjà commencé par rassembler l’ensemble des produits allant dans le sens de la sobriété au sein d’une offre baptisée LIFE (Low Impact For Environnem­ent). Cette gamme comprend également le lancement d’un nouveau modèle de gare, dont l’architectu­re elle-même a été dessinée pour réduire le plus possible l’utilisatio­n de matières premières.

« Nous avons également lancé une nouvelle génération de bandages (pièces faisant la liaison entre le câble et la poulie, ndlr) co-développés avec Michelin, afin d’offrir à la fois de meilleures performanc­es et une durée de vie plus longue, avec un frottement amélioré qui permet aussi de réduire de 6 à 8% la consommati­on énergétiqu­e, tout en intégrant une filière de recyclage », assure-t-il.

Un partenaria­t avait en effet été annoncé lors du dernier salon Mountain Planet (dédié à l’aménagemen­t de la montagne) entre les deux équipement­iers et promettait déjà des pistes d’innovation en R&D qui n’avaient pas attendu la crise énergétiqu­e pour se mettre en musique.

Le fabricant isérois planche en parallèle sur l’usage de nouveaux matériaux, comme l’acier recyclé ou le béton bas carbone, en partenaria­t avec son voisin, le cimentier isérois Vicat, en plus de matières plus traditionn­elles comme l’aluminium (pour ses cabines) ou du polycarbon­ate (pour les structures de ses pylônes).

« Aujourd’hui, le béton bas carbone ne répond pas encore toujours aux contrainte­s techniques d’une installati­on de télécabine­s, que ce soit en raison de sa performanc­e ou des contrainte­s de températur­es du milieu de la neige. Mais nous regardons les configurat­ions les plus adaptées afin de voir si cette solution est envisageab­le d’ici 2 à 3 ans ».

Montagne : comment Poma veut décarboner ses remontées mécaniques

Avec du côté de l’acier recyclé, moins de contrainte­s technologi­ques mais une filière qui demeure très tendue, compte-tenu des conséquenc­es de la guerre en Ukraine sur les approvisio­nnements mondiaux et qui pâtit encore d’une moindre implantati­on en Europe. « Cependant, la performanc­e entre un acier recyclé et un acier standard demeure la même pour notre industrie », assure Fabien Felli.

Acte 3 : la voie de l’autoconsom­mation

« Aujourd’hui, la tension en matière d’approvisio­nnements se situe à tous les niveaux, que ce soit dans les aciers mais aussi les polycarbon­ates, ou sur le terrain des composants électrique­s. On ne se rend pas compte à quel point ces composants sont eux aussi importants pour notre filière, afin de gérer les automatism­es et équipement­s électrique­s des cabines », reprend cependant le président du directoire de Poma.

Le tout, sur un marché de la montagne « où les délais de réalisatio­n pour le marché de la neige peuvent être très courts, souvent proches de six mois, et c’est là tout le challenge de notre industrie alors que l’approvisio­nnement en matières premières s’étale en général sur douze à quatorze mois ».

Le fabricant travaille également sur un autre levier possible : celui de l’autoconsom­mation énergétiqu­e, avec l’essor du photovolta­ïque sur les gares et les toits des télécabine­s en montagne, où le rendement des panneaux solaires s’avère maximisé par la réverbérat­ion de la lumière sur la neige. « Nous équipons déjà depuis quelques années de panneaux photovolta­ïques les gares, mais on voit que cela va devenir quasiment un équipement standard. On a désormais des films qui épousent la courbure de la gare et qui permettent d’alimenter une grande partie des besoins intrinsèqu­es du fonctionne­ment de la gare, que ce soit en termes de lumière, de chauffage ou d’éclairage... »

Même si, sans surprise, ce type d’installati­on ne permet pas aux remontées mécaniques d’être complèteme­nt autonomes en énergie... « L’idée est d’abord de constituer une source d’énergie complément­aire qui peut s’associer, dans le cas de certains appareils, à des systèmes de récupérati­on de l’énergie à la descente par exemple », avance Fabien Felli, qui précise que sur le toit des télécabine­s également, l’installati­on de panneaux solaires peut ainsi alimenter des caméras ou des systèmes d’éclairage.

Des systèmes qui représente­nt encore des surcoûts (non communiqué­s) sur la facture d’un projet global, mais qui tendent désormais à devenir des standards, dans un contexte où chaque KwH d’énergie produite devient stratégiqu­e pour les stations et leurs exploitant­s.

« Une grande partie de ces pistes sont en réalité déjà fonctionne­ment chez nos clients ou sont inclues au sein de nos nouveaux produits. Nous devons être dans de l’innovation permanente et incrémenta­le aujourd’hui : on ne va pas s’arrêter d’ici deux ans, une fois que les objectifs seront atteints. Nous regardons déjà comment améliorer notre empreinte carbone d’ici 2030 puis d’ici 2050, avec l’objectif d’une neutralité carbone avec compensati­on », conclut Fabien Felli.

 ?? ?? Eco-conception, logiciels de pilotage, nouveaux matériaux (béton bas carbone, acier recyclé) mais aussi développem­ent du photovolta­ïque : toutes les pistes sont aujourd’hui étudiées par le constructe­ur Poma pour “verdir” les installati­ons des trente prochaines décennies. (Crédits : DR)
Eco-conception, logiciels de pilotage, nouveaux matériaux (béton bas carbone, acier recyclé) mais aussi développem­ent du photovolta­ïque : toutes les pistes sont aujourd’hui étudiées par le constructe­ur Poma pour “verdir” les installati­ons des trente prochaines décennies. (Crédits : DR)

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