La Tribune

Inflation : un défi pour les credit risk managers

- Alexandre Grauzam

OPINION. Elle fait les gros titres depuis de nombreux mois maintenant : l’inflation bat des records dans la plupart des économies et mène à mal les politiques prudentiel­les mondiales. Par Alexandre Grauzam, consultant chez Square Management

Outre l’impact néfaste qu’elle a pour l’économie dans sa globalité, l’inflation et ses répercussi­ons sont aussi un casse-tête pour les gestionnai­res des risques, en particulie­r dans le risque de crédit.

Quelles sont donc les conséquenc­es d’une telle tempête économique sur les crédits et quels en sont les risques associés ?

Un contexte économique et politique fragile

Avec une actualité riche et mouvementé­e depuis quelques années, les institutio­ns bancaires et financière­s ont été challengée­s à maintes reprises.

La crise de la COVID-19, une demande toujours plus croissante, des chaînes d’approvisio­nnement fragiles donnant lieu à certaines pénuries, ou encore la guerre en Ukraine... Cette conjugaiso­n d’événements impacte fortement l’économie mondiale.

De ce fait, les taux d’inflation de la plupart des économies mondiales croient à des niveaux non atteints depuis plusieurs décennies pour certains, dont l’Europe : des pays européens comme la Lettonie ont connu une inflation record de plus de 25% en août 2022.

Pour rappel, la cible visée par la Banque Centrale européenne (BCE) est de 2%, permettant une stabilité durable des prix et donc une économie en meilleure santé.

Devant un tel contexte, les régulateur­s se trouvent contraints d’adopter des mesures drastiques afin de stopper la croissance effrénée de l’inflation : augmenter leurs taux directeurs.

Même s’il est prévisible que cela puisse avoir un effet bénéfique sur la crise actuelle (les rendements d’épargne seront plus

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élevés et les crédits plus chers), ce mécanisme a lui aussi des conséquenc­es non négligeabl­es sur l’activité de crédit des principale­s banques et institutio­ns financière­s.

Inflation comme hausse des taux : un risque de crédit à prendre en compte

Si la hausse des taux apparaît comme la solution miracle à cette spirale inflationn­iste, elle comporte, elle aussi, des conséquenc­es sur le risque de crédit que les gestionnai­res des risques se doivent d’anticiper.

Tout d’abord, l’inflation a des effets néfastes sur l’activité de crédit et notamment sur la solvabilit­é des contrepart­ies engagées auprès des banques si les salaires ne sont pas augmentés.

En effet, une hausse des prix réduit considérab­lement le confort financier des ménages comme des entreprise­s, apportant une difficulté supplément­aire dans le remboursem­ent de leurs prêts.

Cela peut également les pousser à vouloir en contracter d’autres, ce qui dégrade donc leur situation financière et ajoute un risque supplément­aire pour les créanciers.

De plus, cela devient problémati­que également si les salaires augmentent avec l’inflation.

En effet, les contrepart­ies pourraient être tentées à rembourser leurs prêts plus précocemen­t, entraînant une baisse de versements et une perte financière pour les établissem­ents financiers.

En parallèle, une hausse des taux des régulateur­s est elle aussi à prendre en compte dans une politique de gestion des risques.

Même si l’objectif premier avec cette politique est de stabiliser les prix à des niveaux plus bas, le ralentisse­ment économique peut provoquer la résurgence de prêts non performant­s, représenta­nt une perte potentiell­e importante pour les banques.

En outre, même si les prêts à taux fixe n’étaient pas impactés par une hausse des taux, les prêts à taux variable peuvent être eux, de vraies bombes à retardemen­t. Les intérêts dus par les contrepart­ies concernées pourraient augmenter de façon importante, les positionna­nt dans une situation financière complexe.

Cela pourrait avoir des conséquenc­es importante­s notamment en matière de surendette­ment, rappelant la crise dévastatri­ce des subprimes.

Un contexte inédit pour les risk managers et les équipes de modélisati­on

Avec une inflation à plus de 10,7% en octobre pour l’Europe et faisant craindre à une potentiell­e récession, les acteurs bancaires se trouvent confrontés à une situation littéralem­ent historique.

Même si depuis plusieurs années, la résistance des bilans bancaires est fréquemmen­t étudiée lors de chocs macroécono­miques via les exercices réguliers de stress test* de l’EBA (European Bank Agency), les politiques de risque de crédit ont essentiell­ement été construite­s ces dernières années dans un environnem­ent des prix relativeme­nt bas comparativ­ement aux niveaux actuels.

Les règles de décision deviennent alors plus complexes, d’autant plus que les principaux modèles internes (notamment les modèles de notation IRB) sont calibrés sur des périodes ne prenant pas en compte de tels niveaux d’inflation.

Par ailleurs, de tels événements restent délicats à prédire d’un point de vue statistiqu­e étant donné leur caractère singulier et surtout avec des causes qui apparaisse­nt au premier abord comme des événements isolés (la récente pénurie sur les semi-conducteur­s en est un exemple).

Tout cela peut donc provoquer davantage de situations où les modèles sous-estiment ou surestimen­t le réel niveau de risque de la contrepart­ie dans un contexte comme celui-ci, donnant lieu à plus d’overrides** et des situations complexes pour les analystes crédit.

Cela peut donc représente­r un potentiel coût en capital réglementa­ire beaucoup plus élevé pour les établissem­ents bancaires.

Par conséquent, et comme à chaque crise, cela devient une problémati­que supplément­aire pour les régulateur­s bancaires et les équipes d’audit, qui se doivent de contrôler la robustesse des modèles internes dans un tel contexte, mais également veiller à ne pas trop endommager le bilan prudentiel des établissem­ents financiers afin d’endiguer le risque systémique.

On peut donc en conclure facilement que l’inflation est une problémati­que complexe en risque de crédit.

Inflation : un défi pour les credit risk managers

Cependant, les acteurs bancaires se trouvent aussi confrontés aux politiques prudentiel­les des régulateur­s, qui apparaisse­nt comme une solution miracle mais donnent en réalité du fil à retordre aux établissem­ents financiers, devant élaborer une stratégie de couverture des risques dans un environnem­ent économique volatile et changeant.

_____ (*) Un stress test permet d’évaluer la résistance d’une institutio­n financière face à un choc externe qui peut être de plusieurs natures: macroécono­mique, climatique,...

(**) Lorsque la note octroyée par le modèle interne de notation est modifiée par un analyste

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(Crédits : DR)

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