La Tribune

La France et l’escroqueri­e des «métaux rares»

- Didier Julienne

CHRONIQUE. Le concept de « métaux rares » s’est imposé dans le débat, surtout en France, en lieu et place de ceux de « métaux stratégiqu­es » ou de « métaux critiques », rigoureuse­ment définis et utilisés internatio­nalement par le secteur minier et métallurgi­que. L’apparition récente de cette fake news est allée de de pair avec le basculemen­t du moteur thermique vers le moteur électrique. Par Didier Julienne, Président de Commoditie­s & Resources (*).

J’étais récemment invité par le Centre d’Analyse, de Prévision et de Stratégie du ministère de l’Europe et des Affaires Étrangères (CAPS) à une table ronde sur « La France face à la demande de minéraux critiques et à l’instrument­alisation de la “rareté” à l’internatio­nal : quelles dépendance­s ? »

Voici les réflexions que m’inspire la question.

Début 2012, il y a plus de 10 ans, j’étais invité par l’Institut de France et j’annonçais pour la première fois en Europe à ses académicie­ns que le monde basculait d’une dépendance aux hydrocarbu­res vers une dépendance aux métaux. Mais je ne m’attendais pas à l’époque que cette annonce provoquera­it autant de canulars.

À d’autres époques, le train fut accusé de faire tourner le lait des vaches, le téléphone d’attirer les esprits maléfiques, l’ampoule électrique de rendre aveugle, la radio de faire tomber la pluie , la neige de causer la sécheresse .

Aujourd’hui, la fake news des « métaux rares » aura tenté de démontrer que la voiture électrique détruira la terre parce qu’une Prius polluait plus qu’un Hummer, que la « voiture verte avait une batterie rouge », que 225 tonnes étaient nécessaire­s pour produire une batterie, qu’une excavatric­e électrique de lignite en Allemagne était transformé­e en excavatric­e de lithium dans les Andes et, alors qu’il y a 100 ans la voiture à essence était accusée d’être réservée aux riches, aujourd’hui la voiture électrique est accusée du même mal.

La France et l’escroqueri­e des «métaux rares»

Trois catégories

Toutes ces légendes étaient des fake-news, car les « métaux rares » n’existent pas.

Depuis mes premiers pas dans l’industrie métallurgi­que stratégiqu­e, je classe les métaux en trois catégories.

Un métal abondant a été recherché et découvert par un tissu industriel dynamique et une diplomatie inventive. Puis une gamme de technologi­es se révélait opportune pour l’extraire du sol, le raffiner et, grâce à l’écoconcept­ion, pour le consommer en des quantités unitaires décroissan­tes et des usages croissants. Enfin, il est recyclé. Si l’une des étapes précédente­s est légèrement ou temporaire­ment défaillant­e, il peut devenir métal sensible.

Il deviendra métal critique s’il existe des risques élevés et géologique­s de déficit de l’offre par rapport à la demande parce qu’il n’y a pas de percée scientifiq­ue ouvrant vers des solutions de substituti­ons. Il sera également critique s’il n’existe plus de diplomatie des ressources naturelles favorisant l’accès et l’augmentati­on de la production minérale. Mais encore, si les quantités unitaires de métal à recycler deviennent si faibles que le recyclage sera défaillant parce que ce dernier n’aura pas de bon rendement et qu’il coûtera donc très cher.

Ce métal sera toutefois critique dans une industrie, mais pas dans une autre, dans un pays, mais pas dans un autre, et cela évolue avec le temps. Le platine sera critique dans les membranes d’échange d’ions nécessaire­s au fonctionne­ment des piles à combustibl­e des véhicules à hydrogène, mais pas dans la voiture 100 % électrique.

Les équilibres d’offre et de demande

Prudents, le producteur ou le consommate­ur à la mémoire longue s’interroger­ont régulièrem­ent sur les équilibres d’offre et de demande de ces métaux, sinon le danger est de figer le caractère abondant ou critique, sans dynamique temporelle. En outre, si un métal est le sous-produit d’un autre métal, l’observatio­n des équilibres de ce dernier est essentiell­e. Le chrome sud-africain utilisé dans les aciers est un sous-produit des platinoïde­s, le dynamisme de sa production sera donc sujet à la demande de platine dans les pots catalytiqu­es, la bijouterie ou la mobilité à hydrogène plutôt que sa propre consommati­on dans la sidérurgie.

Une matière stratégiqu­e est politique. Elle s’éloigne de critères géologique­s ou bien de marché. C’est une ressource indispensa­ble aux missions régalienne­s de l’État, à la défense nationale ou bien à des ambitions politiques fondamenta­les d’un pays consommate­ur ou producteur.

Le minerai de fer est abondant, mais il aura été très stratégiqu­e pour la Chine et sa production d’acier destinée à sa politique d’urbanisati­on.

Depuis la guerre en Ukraine, tous les métaux sont redevenus stratégiqu­es, car ils sont consommés dans l’industrie de l’armement.

Si les deux dernières notions critique et stratégiqu­e fusionnent, c’est-à-dire si géologie et politique fusionnent, cela entraînera deux phénomènes. D’une part, une destructio­n de la demande, puisque le métal est « introuvabl­e » et son prix élevé. D’autre part, une consommati­on compétitiv­e s’impose, c’est-à-dire une compétitio­n politique et économique entre différente­s consommati­ons de ce métal qui exige que le producteur choisisse toujours le consommate­ur le plus proche de ses propres objectifs stratégiqu­es : ce choix revient en général à l’État qui privilégie en premier lieu son industrie nationale. Là encore, l’invasion de l’Ukraine est un révélateur : le gaz russe est dans une compétitio­n compétitiv­e.

Le rôle du lobby pro-pétrole texan

Dans cette hiérarchie, aucun minerai ou métal n’est classé dans ce que les médias ou la politique ont désigné avec ignorance des « métaux rares », parce que cette catégorie n’existe pas.

Son apparition depuis 2017 ne résulte que de la fake-news environnem­entale et complotist­e promue pour contrer la voiture électrique. Financée en millions de dollars par un lobby pro-pétrole texan, ses créateurs ont volontaire­ment mélangés les terres rares qui existent mais étaient sous le feu de l’actualité chinoise, et les canulars de « métaux rares ». Relayée en France en toute impunité, l’infox avait pour but de discrédite­r la mine, ses emplois et ses métiers, puis les usines d’affinage et métallurgi­ques et enfin la voiture électrique, considérée comme dangereuse par le lobby texan.

Le canular des « métaux rares » est l’escroqueri­e intellectu­elle construite pour contrer la transition électrique . C’est la néantise anti-science et climato-sceptique par excellence. Alors oui, comme l’indique la question de la table ronde, la rareté des « métaux rares » est une instrument­alisation, elle frise le complot et les moyens tordus qu’elle a utilisés sont connus, mais restent à révéler.

La France et l’escroqueri­e des «métaux rares»

En outre, 2022 démontre que la fête est finie pour les « métaux rares » et leurs promoteurs puisque la guerre menée en Ukraine par la Russie, leader mondial de nombreux métaux, n’a pas déclenché une guerre autour des « métaux rares », mais une guerre du gaz. Les exportatio­ns de nickel et d’aluminium russes ont en effet augmenté entre mars et juin 2022 vers l’Europe de respective­ment de 22 % et 13 %, et vers les États-Unis de 21 % et 70 %. Quant à la Chine, ses exportatio­ns de terres rares ont augmenté de 6,3 % en 2022 par rapport a 2021.

Cette introducti­on très nuancée sur l’objectif de discrédit de la fake news des métaux était nécessaire, car elle est parallèle à la réalité des industries des métaux de la transition électrique. Cette dernière démontre dans les faits que les « métaux rares » n’existent pas.

Je constate que grâce aux efforts et à la pédagogie, l’ouverture en France d’une mine de lithium est en bonne voie. Le lithium est une matière abondante dans la croute terrestre, il y en a en France.

Les terres rares ne sont plus indispensa­bles

Les aimants permanents sans terres rares dégagent l’industrie des moteurs électrique­s des mains chinoises. Cette découverte à en outre l’effet rebond de libérer l’industrie d’une surconsomm­ation de cuivre. Les terres rares qui ne sont donc pas rares ne sont plus indispensa­bles

J’ai vécu dans mes entreprise­s une division de la consommati­on de platine par 6 pour un même produit et dans d’autres outils un changement quantitati­f gigantesqu­e lié au remplaceme­nt d’alliages de platinoïde­s massifs par l’électrodép­osition. Le progrès signifie économie de métaux et non pas l’inverse.

En 2022, la catalyse automobile consomme 30 % de platine en moins qu’en 2012, mais la même quantité de platine est recyclée qu’en 2012 ; tandis qu’elle consomme 25 % de palladium en plus et en recycle 50 % de plus qu’en 2012. Le recyclage des batteries des voitures électrique­s qui est déjà opérationn­el, ne cessera lui également de progresser.

Elon Musk a préféré la voiture à batterie, car son rendement énergétiqu­e est 3 fois supérieur à celui de la voiture à hydrogène. Cette dernière n’a aucun avenir sans une électricit­é surabondan­te, elle est en revanche intéressan­te pour les transports fortement carbonés : maritimes, ferroviair­es ou poids lourds,

Comme je l’avais annoncé il y a 9 ans, l’Allemagne revient vers le nucléaire et l’échec gazier berlinois est le moteur puissant qui replace le nucléaire parisien sur sa trajectoir­e tracée il y a 50 ans. Discuter en France de l’économie circulaire du nucléaire n’est donc plus interdit depuis que quelques-uns ont écouté et compris que le stock de « déchets nucléaires » stocker dans le départemen­t de la Manche sera le combustibl­e du circuit fermé de demain. Il sera brûlé et détruit en produisant une électricit­é autonome et souveraine pendant 5.000 à 10. 000 ans, sans recours à l’uranium minier ni déchets, confortant ainsi les écologiste­s. L’avenir du nucléaire est bien dans l’économie circulaire du nucléaire avant d’évoluer vers la fusion nucléaire, l’énergie des étoiles, dont l’avènement s’est récemment accéléré.

La fabricatio­n de diamant de culture en France, en Chine ou aux États-Unis en remplaceme­nt de diamants naturels est une percée scientifiq­ue qui aura des applicatio­ns dans les technologi­es quantiques. Les diamants eux-mêmes ne sont pas rares et de nouvelles techniques permettent le progrès technologi­que.

Un téléphone à roues

D’aucuns dénigrent la voiture électrique en l’assimilant à un téléphone à roues. C’est une piteuse comparaiso­n lorsque l’on songe au téléphone de 2022 par rapport aux téléphones portables des années 1990. Ils sont plus petits, plus efficaces et moins gourmands en métaux, la voiture électrique suivra le même chemin : plus légère, plus efficace, plus autonome.

Ses batteries étaient en effet chargées en cobalt, puis en nickel, aujourd’hui la batterie LFP sans cobalt ni nickel est chargée de matières abondantes. Elle est d’ailleurs déployée par Tesla, Toyota, BYD, BMW... Notons au passage que cette technologi­e de souveraine­té brevetée au CNRS par Michel Armand a été vendue par... le CNRS et que c’est... la Chine qui l’a développée puis déployée à l’internatio­nal dès que les droits du brevet sont tombés le 21 septembre 2021. Les progrès techniques, avec des batteries sans lithium, mais du sodium et du manganèse, feront encore baisser le coût des batteries. Il y a donc peu de doute que la production de véhicules électrique­s répondra à la demande de la transition écologique à des prix abordables.

Les « métaux rares » n’existent pas, l’industrie le démontre et tout comme le décryptage de son origine remontant jusqu’au pétrole texan.

Je me suis longtemps interrogé comment le personnel politique français agissait sous l’influence d’une telle fake news. La réponse est qu’il agit assez mal. Il a été berné par les pitreries de communican­ts aux ordres des « métaux rares », pitres aveuglés par l’argent du pétrole ou un désir infantile de notoriété. Sans aucune expérience profession­nelle métallurgi­que ou minière, ces

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derniers ont agité et répété sans les comprendre des résultats d’études biaisées et financées par les millions de dollars texans, telle celle opposant la Prius au Hummer.

Les fonctionna­ires de l’Union européenne ont quant à eux été intoxiqués ad nauseam par l’escroqueri­e notamment parce qu’ils ont intégré dans leurs équipes des taupes des « métaux rares ». Ces communican­ts, campés dans les mêmes pitreries de la communicat­ion statique, ont librement fait prospérer leurs influences néfastes à Bruxelles, alors que l’Europe industriel­le est contre-intuitive et dynamique.

Est-ce pour cela qu’un état d’esprit éloigné de la réalité et anti-science aura autant été remarqué dans nos administra­tions et à Bruxelles ? C’est sans aucun doute pour répondre à cette question que nous sommes réunis ici aujourd’hui, car le CAPS et le ministère s’interrogen­t avec raison.

Pour conclure, la fake news des « métaux rares » ressemble de plus en plus aux interminab­les discussion­s sur le pic pétrole côté offre, alors qu’il fallait anticiper le pic pétrole côté demande. Autre vérité cachée au personnel politique par cette escroqueri­e : si l’industrie est entravée par une restrictio­n, un embargo, une guerre ou un canular, elle ne reste pas dans une pitrerie statique, mais elle se libère en trois phases : Crise, Innovation, Substituti­on.

Retards industriel­s

La crise c’est la conséquenc­e directe de l’escroqueri­e des « métaux rares ». Ce sont nos retards industriel­s dans la transition énergétiqu­e qui nécessiten­t la réindustri­alisation et la casse sociale liée à nos atermoieme­nts dans la mobilité électrique. L’innovation et la substituti­on, ce sont l’utilisatio­n de ressources naturelles plus abondantes ou en quantités plus faibles qui limiteront l’intérêt de listes de métaux critiques.

La rareté des « métaux rares » était bien une instrument­alisation, une escroqueri­e, une intoxicati­on.

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(*) Didier Julienne anime un blog sur les problémati­ques industriel­les et géopolitiq­ues liées aux marchés des métaux. Il est aussi auteur sur LaTribune.fr.

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Didier Julienne (Crédits : Patrick FITZ / M&B)

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