La Tribune

Influence : la France entre enfin en guerre

- Michel Cabirol @MCABIROL

Emmanuel Macron souhaite la mise en place d’une stratégie nationale d’influence pour mieux protéger le pays contre les attaques hybrides, et notamment les attaques informatio­nnelles.

Au moment où la France va honorer le soldat inconnu le 11 novembre, Emmanuel Macron a souhaité mercredi plus d’un siècle plus tard la mise en place d’une stratégie nationale d’influence pour mieux protéger le pays contre les attaques hybrides, notamment les attaques informatio­nnelles, qui pourraient être tout aussi dévastatri­ces qu’un champ de bataille à l’ancienne. La période actuelle avec ses nombreuses crises internatio­nales « marque un saut sans précédent dans l’univers hybride, qui est certes aussi vieux que la guerre, mais dont certaines puissances ont su intégrer et décupler les pratiques néfastes à l’ère digitale », a averti mercredi le Chef de l’État lors de son discours de Toulon, où il a présenté la Revue nationale stratégiqu­e.

« Aussi, l’influence sera-t-elle désormais une fonction stratégiqu­e dotée de moyens substantie­ls et coordonnée au plan interminis­tériel, avec, pour sa déclinaiso­n internatio­nale, un rôle central du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères », a promis Emmanuel Macron.

Dans toutes ses dimensions - diplomatiq­ue, militaire, économique, culturelle, sportive, linguistiq­ue, informatio­nnelle -, l’influence est un domaine de contestati­on, qui impose désormais une réponse beaucoup mieux coordonnée de la part de la France. Cette stratégie d’influence s’inscrit d’abord dans un temps long. Par exemple, il faut reprendre de façon plus stratégiqu­e et systématiq­ue la formation de militaires étrangers et des élites étrangères, l’animation de réseaux, la contributi­on à

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la recherche universita­ire, l’aide au développem­ent économique, etc... comme le suggère la Revue nationale stratégiqu­e. Ce qui est juste une question de bon sens. Cette stratégie induit également la connaissan­ce des leviers d’influence déployés par nos partenaire­s, compétiteu­rs et adversaire­s.

Le Quai d’Orsay au centre du dispositif

La France doit capitalise­r, explique-t-on à l’Élysée, sur ses nombreux atouts (civils et militaires mais aussi économique­s) comme son statut au Conseil de sécurité de l’ONU, ses élongation­s territoria­les (Outre-mer), la langue française qui est parlée par 300 millions de personnes, etc... Cette nouvelle fonction stratégiqu­e se place naturellem­ent dans une logique de coordinati­on interminis­térielle très forte sous l’impulsion du Quai d’Orsay grâce à son déploiemen­t à l’internatio­nal. Mais, au-delà d’un nécessaire travail d’organisati­on, ce dernier est-il prêt à revêtir les habits d’une diplomatie de combat et à repenser cette fonction ? « Il nous faut donc assumer plus directemen­t le rapport de forces dans ce champ pour défendre l’intérêt national », écrivent les auteurs de la Revue nationale stratégiqu­e (RNS). Cela permettra notamment de faire comprendre et accepter l’engagement de la France sur la scène internatio­nale.

Le Quai d’Orsay a créé une sous-direction de l’influence, qui va animer le réseau des ambassades dans cet esprit. « On voit qu’il y a une convergenc­e de l’adaptation du fonctionne­ment des ministères et vraiment une prise à bras-le-corps de cette fonction qui n’est pas neuve mais qu’on adapte dans un contexte qui devient de plus en plus agressif et de plus en plus désinhibé », précise-t-on à l’Élysée. « Mais il y a un certain nombre d’actions qui relèvent de l’échelon central », fait-on également observer. Comme par exemple le déploiemen­t du groupe aéronaval dans une région.

Une vraie guerre en coulisse

La prise de conscience de cette guerre informatio­nnelle n’est pas nouvelle - elle avait déjà été identifiée dans la Revue stratégiqu­e de 2017 -, mais cette thématique influence a pris du galon pour devenir une fonction aujourd’hui stratégiqu­e. « Cette nouvelle fonction constitue un élément clé de notre capacité à promouvoir les intérêts de la France et à contrer les actions de nos compétiteu­rs sur tout le spectre de l’hybridité », explique la RNS. L’arme alimentair­e et l’arme migratoire ont été par exemple utilisées. La pandémie de COVID-19 puis la guerre en Ukraine ont mis en évidence l’importance de l’alimentati­on comme levier d’influence et de contrainte de la part de certains régimes.

Cette volonté d’ériger l’influence en fonction stratégiqu­e est donc clairement la prise en compte des menaces hybrides que la France subit dans le champ informatio­nnel. D’autant plus que les autorités politiques et militaires constatent une accélérati­on et un durcisseme­nt de la compétitio­n et de la contestati­on dans tous les champs. Créé en juillet 2021, Viginum, le service technique et opérationn­el de l’État vise à lutter contre les ingérences numériques étrangères. « On est déjà dans un paysage où on s’arme pour pouvoir réagir. Effectivem­ent, on adapte notre organisati­on pour pouvoir être plus proactifs. L’influence, c’est du rayonnemen­t. Le rayonnemen­t n’est pas offensif. Pourtant, nous développon­s une dimension proactive de notre fonction stratégiqu­e d’influence », explique-t-on à l’Élysée.

Ainsi, de plus en plus les démocratie­s, dont la France - on l’a constaté notamment en Afrique où les forces armées étaient présentes -, sont contestées et fragilisée­s dans les batailles de l’influence. Cette stratégie est utilisée par des puissances complèteme­nt désinhibée­s dans ce domaine. C’est bien évidemment le cas de la Russie et la Chine, cités dans la RNS, mais aussi des Etats-Unis (manipulati­on de l’informatio­n pour lancer une nouvelle guerre d’Irak en 2003, lois extraterri­toriales notamment). Les ingérences étrangères peuvent se manifester de différente­s façons : lawfare, chantage sur les matières premières, manipulati­ons de l’informatio­n... La RNS recommande de s’appuyer « sur la puissance normative de l’Union européenne, qui doit être exploitée comme levier d’influence dans un environnem­ent plus compétitif, afin de se prémunir face aux menaces hybrides et autres formes d’ingérences étrangères ».

Par ailleurs, « les opérations russes et chinoises dans ce domaine cherchent à fragiliser nos propres systèmes politiques et notre cohésion nationale, tout en alimentant voire en suscitant des effets d’alignement en notre défaveur, comme l’atteste la guerre en Ukraine », constatent les auteurs de la RNS. Et de préciser dans le cas de la Chine que « la nature politique de l’APL (Armée populaire de libération, ndlr) et l’intégratio­n civilo-militaire déployée dans les champs technologi­que, économique mais aussi informatio­nnel autorisent un périmètre d’actions hybrides inédit ».

La France attaquée en Afrique

Très clairement, la France a subi de nombreuses attaques informatio­nnelles en Afrique, notamment au Mali et au Burkina Faso. L’armée française a mis du temps à se mettre en carré pour les

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contrer. Aujourd’hui, elle est beaucoup mieux armée. Ainsi, dans l’affaire de Gossi, qui est devenu aujourd’hui un cas d’école : les mercenaire­s de Wagner ont voulu imputer aux soldats français des charniers proches d’un camp que la France avait restitué au Mali. « Nous avons pu exposer extrêmemen­t rapidement cette manipulati­on d’informatio­ns. Donc, on était organisé pour le faire », rappelle-t-on à l’Élysée.

Emmanuel Macron souhaite une prise en compte de cette situation partout où les armées peuvent être amenées à se déployer. « Les formes traditionn­elles sur lesquelles cette fonction (prévention des conflits dans des zones où la France se éploie, ndlr) se déclinait, avec des présences de nos forces à l’étranger, parfois vécues comme des contestati­ons de souveraine­té par certains ou utilisées par des puissances ennemies dans le champ de la lutte informatio­nnelle, nous devons les réinventer radicaleme­nt dans l’espace et dans le temps », a clairement expliqué le Chef de l’État. L’armée va devoir « profondéme­nt changer de méthode », a-t-il insisté. A la France de se montrer innovante et sioux.

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« Aussi, l’influence sera-t-elle désormais une fonction stratégiqu­e dotée de moyens substantie­ls et coordonnée au plan interminis­tériel, avec, pour sa déclinaiso­n internatio­nale, un rôle central du ministère de l’Europe et des Affaires étrangères », a promis Emmanuel Macron. (Crédits : DR)
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