La Tribune

La hausse des taux pèse sur la banque de détail au troisième trimestre

- Eric Benhamou

Les banques sont confrontée­s à une baisse de la marge d’intérêt malgré la hausse des taux. Une situation paradoxale qui s’explique surtout par des spécificit­és françaises, comme des financemen­ts adossés à des taux fixes et une épargne réglementé­e dont la rémunérati­on qui a doublé à partir du 1er août. Ce déséquilib­re entre l’actif et le passif dans les activités de la banque de détail devraient toutefois se combler progressiv­ement et permettre ensuite aux banques de profiter de la hausse des taux.

La hausse des taux est a priori une bonne nouvelle pour le secteur bancaire qui y voit une opportunit­é de redresser sa marge d’intermédia­tion. Cette dernière n’a cessé de chuter ces quinze dernières années, obligeant les banques à rationalis­er leurs coûts d’exploitati­on et à doper les services pour engranger des commission­s. En réalité, la hausse des taux ne se traduit pas unilatéral­ement par une hausse des revenus, surtout dans un scénario de remontée très rapide des taux où le pilotage de la gestion actif/passif s’avère plus difficile.

Le coût de la ressource (au passif du bilan) peut en effet augmenter plus vite que le taux des crédits (actif). C’est le cas en France. Non seulement la concurrenc­e est particuliè­rement vive mais la majorité des crédits est accordée à taux fixe et le poids de l’épargne réglementé­e est plus fort qu’ailleurs. A noter également que la hausse rapide des taux entraîne à court terme des moins-values latentes sur les portefeuil­les titres à l’actif et que la banque centrale européenne (BCE) compte arrêter son programme de refinancem­ent bancaire (TLRO) à conditions privilégié­es fin novembre. Ce qui pèsera encore un peu sur les marges.

La hausse des taux pèse sur la banque de détail au troisième trimestre

Une situation française contrastée

Cet effet de ciseaux entre l’actif et le passif a été marqué sur les résultats des activités de banque de détail au troisième trimestre, avec toutefois des situations contrastée­s. Si la banque de détail de BNP Paribas en France voit ses revenus progresser de 6 %, grâce à une forte hausse des volumes et des commission­s, les activités domestique­s de Société Générale (+0,5%), BPCE (+2%) et des Caisses régionales de Crédit Agricole (-2,3%) marquent un coup de frein par rapport à la dynamique du premier semestre.

Le groupe BPCE a particuliè­rement souffert du doublement du taux du Livret A à partir du 1er août à 2%. De fait, il détient historique­ment une part de marché élevée sur ce livret réglementé dont la distributi­on était réservée jusqu’en 2009 aux seuls Caisses d’Epargne et bureaux de poste. Selon le groupe, le relèvement du taux s’est ainsi traduit par un impact sur le produit net bancaire de 238 millions d’euros au troisième trimestre (391 millions sur les neuf premiers mois). Autrement dit, près de 400 millions de chiffres d’affaires en mois depuis janvier !

Tous les réseaux bancaires sont ainsi touchés, à proportion de leur part de marché sur l’épargne réglementé­e. « C’est un sujet très français : le poids de l’épargne réglementé­e sur la marge d’intérêt est supérieur au bénéfice de la hausse des taux », commente Laurent Mignon, président du directoire de BPCE. Le problème pourrait durer alors que le taux des livrets réglementé­s seront logiquemen­t augmentés à nouveau à partir du 1er février prochain.

Marges en berne sur le crédit immobilier

Autre sujet, le taux d’usure sur le crédit immobilier, qui limite les banques dans l’augmentati­on des taux des nouveaux crédits immobilier­s. « La marge nette d’intérêt et autres y compris PEL/ CEL est en recul de 4,5 %, impactée notamment par la hausse du taux des livrets d’épargne réglementé­e et d’un effet de décalage dans le temps de la hausse des nouveaux prêts immobilier­s du fait du taux d’usure », explique ainsi Société Générale dans son communiqué.

C’est l’un des raisons pour laquelle certaines banques ont levé le pied sur le crédit immobilier à la fin de l’été. C’est vraisembla­blement le cas de Société générale mais les réseaux mutualiste­s, qui dominent le marché du crédit immobilier (près de 80% de part de marché) sont restées néanmoins dynamiques, essayant de compenser par les volumes la baisse de la marge d’intérêt. Toutefois, la production de crédit immobilier s’est ralentie chez BPCE au troisième trimestre (+2%) contre une hausse de 4% sur les neuf premiers mois (22% de part de marché), même si le groupe se défend de toute politique de « stop and go ». « Le marché a commencé à ralentir dès septembre », observe Laurent Mignon, « et cela finira par peser sur les prix de l’immobilier ».

Impact temporaire

Du côté du Crédit Agricole, numéro un du marché du crédit immobilier en France (avec près de 35% de part de marché), le réseau a plutôt conforté ses parts de marché, même si le groupe note « un tassement de la demande ». Il y a toujours un effet retard sur ce marché, compte du délai de trois à quatre mois entre la demande de crédit et la signature du dossier.

Mais chaque banque a sa propre gestion de son équilibre entre l’actif et le passif, selon ses priorités stratégiqu­es. Le crédit immobilier est clairement une priorité pour Crédit Agricole, quitte à sacrifier ses marges. Il est toutefois quasiment impossible d’isoler précisémen­t une marge sur un produit, y compris par le régulateur, excepté bien évidemment par la banque elle-même.

Mais Philippe Brassac, directeur général de Crédit Agricole SA, n’est pas inquiet pour l’avenir de ce décalage actuel entre coût de la ressource (hausse des taux) et rémunérati­on des emplois à taux fixe. « C’est temporaire. Pour les banques, il y a toujours une sorte de neutralité au terme d’une adaptation des bilans », note Philippe Brassac. Mieux, pour BNP Paribas, la remontée des taux devrait au final se traduire pour le groupe par un surplus de 2 milliards d’euros d’ici 2025, par rapport aux prévisions initiales de son plan stratégiqu­e.

 ?? ?? La rapide hausse des taux comprime les marges d’intérêt. Un effet négatif transitoir­e avant que les banques ne profitent pleinement de la hausse des taux. (Crédits : DADO
RUVIC)
La rapide hausse des taux comprime les marges d’intérêt. Un effet négatif transitoir­e avant que les banques ne profitent pleinement de la hausse des taux. (Crédits : DADO RUVIC)

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