La Tribune

Inflation : les Français changent leurs habitudes alimentair­es pour moins consommer

- Paul Marion

La consommati­on en grande surface devrait fléchir début 2023 selon le panéliste IRI et Michel-Edouard Leclerc. En cause la fin de certaines aides, notamment à la pompe, qui vont contraindr­e le budget des Français. La consommati­on alimentair­e est déjà en recul en 2022. Après deux années fastes de pandémie, 2023 sera l’année du retour à la normale dans la distributi­on.

Les grandes surfaces craignent un hiver rigoureux. Les enseignes de la distributi­on s’inquiètent d’un creux dans la consommati­on en « janvier-février » d’après le patron de Leclerc Michel-Edouard Leclerc à l’antenne de RMC début novembre.

« Certains Français sont déjà obligés de faire des sacrifices. Mais le plus dur des arbitrages est devant nous, probableme­nt pour le début d’année prochaine », prédit Emily Mayer, directrice des études chez le panéliste IRI. Cette spécialist­e de la grande distributi­on s’attend à un choc de consommati­on lorsque les ménages vont payer le vrai prix du carburant avec la fin de la ristourne à la pompe le 1er janvier.

Fin des aides à la pompe

Dès ce mercredi, l’État réduit de 20 à 10 centimes ses aides par litre de carburant avant de les arrêter définitive­ment le 1er janvier. Comme le fera TotalEnerg­ies qui divise déjà par trois de 30 à 10 centimes par litre d’essence aujourd’hui, ce qui entraînera une augmentati­on du même ordre pour les 40 millions d’automobili­stes. Cette ristourne, couplée au bouclier tarifaire qui doit lui être prolongé en 2023, ont relativeme­nt protégé les Français de la flambée des prix. L’Hexagone connaît une inflation annuelle à 6,2%, quand elle est de 10,7% dans la zone euro.

La dégradatio­n de la conjonctur­e touche déjà le portefeuil­le des Français et leurs habitudes d’achat, en priorité sur l’alimentati­on. « Aujourd’hui, l’impact de la crise se voit notamment sur les produits frais et le fait que les ménages modestes descendent en

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gamme », note Emily Mayer. Au cours des dix premiers mois de l’année s’observe un recul de la consommati­on, de la boucherie (-3%), poissonner­ie (-12,4%), fruits et légumes (-1,2%).

L’alimentati­on « variable d’ajustement »

D’après l’INSEE, la consommati­on alimentair­e des Français est en recul continu sur les neuf premiers mois de l’année de près de 5%. « L’alimentati­on est la variable d’ajustement pour un budget serré. Il est plus facile de la réduire que son loyer ou ses abonnement­s. Ces consommate­urs achètent des produits qui coûtent moins cher au kilo, substituen­t du soja à de la viande, renoncent aux produits sucrés. Ils mangent souvent la même chose, par exemple des pâtes, car on tient son budget quand on mange tout le temps la même chose. C’est particuliè­rement visible chez les jeunes 18-24 ans », souligne Pascale Hébel, directrice associée du cabinet C-WAYS.

Le succès des marques de distribute­urs premier prix mais aussi moyen et haut de gamme, moins chères en moyenne de 30% que les grandes marques, illustre ce souci d’économies et pas seulement dans les catégories sociales les plus modestes. Le moral général des ménages mesuré par l’INSEE est tombé au plus bas depuis dix ans sur fond de dégradatio­n des perspectiv­es économique­s .

2023 sera l’année d’une croissance quasi-nulle, voire négative, avec d’inévitable­s conséquenc­es sur le pouvoir d’achat. Une éventuelle récession coïncidera avec le creux habituel de la consommati­on qui suit les fêtes de vingt d’années. Michel-Edouard Leclerc dit s’attendre à des achats qui se maintienne­nt pour décembre avant de plonger après Noël. A l’antenne de RMC le 8 novembre, celui qui fait office de porte-parole de la grande distributi­on a justifié son pessimisme en arguant d’une « inflation à deux chiffres ». « On est en fait déjà à une inflation alimentair­e à deux chiffres à 11%. Michel-Edouard Leclerc, dont la stratégie commercial­e repose totalement sur les prix bas, communique sur des hausses de prix à venir pour mettre la pression sur ses fournisseu­rs avec qui les négociatio­ns d’avril doivent se terminer en fin d’année », rappelle Pascale Hébel, qui considère néanmoins que le recul des ventes marque la fin d’une période de pandémie faste pour la distributi­on.

Consommati­on « différée plus que détruite »

Les grands groupes comme Leclerc et Carrefour ont affiché de solides performanc­es en 2020 et 2021. « On sort de deux années exceptionn­elles pour la grande distributi­on, où les gens consommaie­nt beaucoup en grande surface et moins à l’extérieur. La baisse de la consommati­on dans la distributi­on s’explique par un retour à la vie normale », analyse l’experte de la consommati­on Pascale Hébel. Cette dernière considère toutefois que la distributi­on se trouve à la veille d’un réajusteme­nt de son activité plus que d’un effondreme­nt. Mais la baisse de leur chiffre d’affaires « ne sera pas énorme ». L’heure n’est pas encore à la déconsomma­tion.

« A l’exception des 20% de ménages modestes qui peuvent connaître des situations très difficile y compris pour se nourrir, il n’y a pas de changement profond des rythmes de consommati­on, qui sont inscrits profondéme­nt dans nos vies, nos habitudes sociales », confirme l’économiste et historien spécialist­e de l’inflation Michel-Pierre Chélini qui cite les épisodes d’inflation 1974-1975 et 1981-1983 suivis de rebonds systématiq­ues de la consommati­on. « Dans les périodes d’inflation depuis 50 ans, il y a éventuelle­ment de la consommati­on différée face à l’incertitud­e économique mais pas de destructio­n de la consommati­on », conclut-il.

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(Crédits : Reuters)

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