La Tribune

Pourquoi les scientifiq­ues veulent retourner sur la Lune

- Bernard Charlier

DLiège

ECRYPTAGE. On ne sait pas encore tout de notre satellite – loin s’en faut ! Voici ce que nous apprennent les missions actuelles et à venir. Par Bernard Charlier, Université de

Les reports successifs du lancement de la mission Artemis

I de la NASA mettent au premier plan les défis techniques et technologi­ques liés à un retour des humains sur la Lune et aux multiples étapes pour y parvenir.

Au-delà de ces difficulté­s et des enjeux politiques d’une reconquête de la surface lunaire, les récentes publicatio­ns des premiers résultats obtenus sur les échantillo­ns de notre satellite naturel rapportés par la mission chinoise Chang’e-5 rappellent que des avancées scientifiq­ues majeures sont attendues concernant l’origine de la Lune et son évolution géologique.

La mission chinoise Chang’e-5

Le site d’alunissage de Chang’e-5, atteint le 1er décembre 2020, a permis un échantillo­nnage de la surface de Lune au nord de Oceanus Procellaru­m, l’« Océan des Tempêtes ». Cette zone est une mare lunaire, c’est-à-dire une tache sombre à la surface de la Lune couverte de basaltes, située à l’ouest de la face visible. Elle est le témoin d’une activité volcanique tardive et est donc susceptibl­e d’apporter des informatio­ns importante­s sur les derniers stades d’évolution de la Lune.

L’échantillo­nnage réalisé par Chang’e-5 est essentiell­ement constitué de particules fines du sol lunaire, le « régolithe », et de quelques clastes basaltique­s, des petits morceaux de laves partiellem­ent cristallis­ées. L’analyse détaillée de ces échantillo­ns permet aujourd’hui d’améliorer nos connaissan­ces de la géologie lunaire.

Les clastes de basaltes lunaires rapportés par Chang’e-5 ont été datés à environ 2 milliards d’années. Ce sont les basaltes les plus récents rapatriés sur Terre : ils sont plus jeunes d’environ 800-900 millions d’années que ceux des précédente­s missions lunaires.

Ces âges nouvelleme­nt obtenus permettent de proposer une nouvelle chronologi­e de la surface de la Lune, basée sur le

Pourquoi les scientifiq­ues veulent retourner sur la Lune

lien entre l’âge des roches et la densité de cratères dans la zone d’échantillo­nnage. Cette méthode, qui est simplement basée sur le concept qu’une surface planétaire plus ancienne a été plus abondammen­t impactée, prend pour référence les données lunaires et est appliquée plus largement pour la datation des surfaces des planètes terrestres du système solaire, comme Mars et Mercure.

L’histoire de la Lune et son contenu en eau

Ces échantillo­ns ramenés par Chang’e-5 révèlent aussi des informatio­ns importante­s sur l’intérieur de la Lune.

En effet, la région de Oceanus Procellaru­m est reconnue comme étant enrichie en potassium, terres rares et phosphore, ou « KREEP », en référence aux éléments qu’il contient en plus forte abondance que les autres roches lunaires. Cet enrichisse­ment en éléments dits « incompatib­les » car ils ne veulent pas entrer dans les cristaux formés au cours du refroidiss­ement est l’héritage de l’époque où la Lune était un océan de magma, un état primitif de notre satellite, qui était complèteme­nt fondu après son accrétion.

Cependant, les basaltes récoltés par Chang’e-5 dans cette région ne contiennen­t que peu de ces éléments chimiques. Cela implique que le « KREEP » n’est pas nécessaire au processus de fusion tardive de l’intérieur de la Lune (ce que l’on pensait jusqu’à présent). La Lune aurait plutôt subi un refroidiss­ement prolongé, qui a permis une activité magmatique relativeme­nt récente.

Enfin, les analyses précises de certains minéraux, des apatites, dans les roches de Chang’e-5 ont aussi révélé la présence de quantité non négligeabl­e d’eau sous forme d’ions hydroxyle

OH . Ceci corrobore les résultats de nouvelles analyses des échantillo­ns collectés par les missions Apollo par des chercheurs américains, alors qu’auparavant, la Lune était considérée comme complèteme­nt « sèche ».

Artemis III et l’exploratio­n du pôle sud

La mission Artemis III de la NASA, prévue en 2025, sera la première mission avec équipage à destinatio­n de la surface de la Lune depuis la mission Apollo 17 en 1972. Elle vise à atteindre le pôle sud et une série de sites potentiels a déjà été identifiée.

Les objectifs scientifiq­ues en lien avec la géologie de la Lune sont focalisés sur la compréhens­ion des processus d’impact et sur les dépôts et l’origine d’éléments « volatils » aux pôles, et notamment de l’eau sous forme de glace. Ces régions contiennen­t des zones qui ne sont jamais exposées au soleil et peuvent donc agir comme des pièges froids pour le dépôt de volatiles, émis par exemple lors d’une éruption volcanique à la surface de la Lune.

Et l’Europe ?

L’agence spatiale européenne a aussi des ambitions lunaires à travers des collaborat­ions avec les autres agences spatiales et ses propres initiative­s. Le programme d’utilisatio­n de ressources in situ ISRU a pour objectif d’extraire et utiliser les ressources naturelles disponible­s à la surface de la Lune, notamment dans un but de constructi­on d’une base lunaire et de production de certaines ressources comme de l’eau.

Dans un premier temps, il s’agira de prouver que la production d’eau, d’oxygène ou encore d’hydrogène sur la Lune est possible. Les applicatio­ns viseraient évidemment à maintenir la vie sur la Lune au sein de bases-vie, ainsi que de produire du carburant pour la propulsion de navettes.

Toutes ces questions scientifiq­ues et les défis technologi­ques nécessaire­s pour y parvenir sont aujourd’hui des moteurs de la recherche. Les programmes des agences spatiales sont des sources d’inspiratio­n pour une jeune génération. Ces développem­ents pourraient aussi trouver des applicatio­ns concrètes sur Terre, notamment dans l’extraction de ressources, la robotique, les systèmes de communicat­ion ou encore bien d’autres applicatio­ns comme la prédiction des risques, le monitoring de la pollution terrestre et le développem­ent de techniques de livraison autonome.

Par Bernard Charlier, Associate research scientist and Associate Professor, Université de Liège

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : NASA)

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