La Tribune

Comment « Marseille en grand » acte le caractère incontourn­able des tiers-lieux dans le renouveau de la ville

- Maëva Gardet-Pizzo

Détenteurs du label Carrefours de l’entreprene­uriat, les trois tiers-lieux que sont Le Carburateu­r, la Friche Belle-demai et L’Épopée seront chacun chargés de détecter et suivre sur deux ans environ un millier de jeunes désireux de s’engager dans l’aventure entreprene­uriale. Une façon de reconnaîtr­e leur capacité à fédérer sur un territoire marqué par de fortes fractures sociale et géographiq­ue. Et à capter des publics auxquels les politiques publiques peinent désormais à s’adresser.

Enrichir l’offre de transports en communs. Rénover les écoles délabrées. Moderniser les hôpitaux publics... Le plan « Marseille en Grand », annoncé par Emmanuel Macron le 2 septembre 2022 depuis le Pharo, a vocation à répondre de façon accélérée à ces urgences auxquelles fait face la deuxième ville de France, « grande comme deux fois et demie Paris », comparait alors le Président, mais aussi « percluse de fractures géographiq­ues », « plus pauvre que beaucoup d’autres grandes villes », avec une « pauvreté concentrée toujours au même endroit ». Des endroits « enclavés » et où « les habitants ont été assignés à résidence ».

Rattraper le retard. Réparer les fractures. Mais aussi expériment­er. Notamment sur le front de l’emploi des jeunes à travers le soutien à l’embauche de ceux habitant les quartiers prioritair­es, l’apprentiss­age ou encore l’entreprene­uriat. Mais pas question d’un plan venu de Paris. L’idée est de s’appuyer sur les forces présentes sur le territoire via la création de carrefours de l’entreprene­uriat, imaginés comme de « grands lieux dédiés où les jeunes qui ont des projets seront gratuiteme­nt formés, conseillés,

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mentorés par des dirigeants d’entreprise­s, des associatio­ns et accompagné­s par des services publics ».

Jeunes, entreprise­s, associatio­ns : des univers généraleme­nt assez différents à réunir mais qu’un type d’acteur arrive particuliè­rement bien à faire se rencontrer: les tiers-lieux. C’est ainsi que parmi les cinq acteurs obtenant le label « Carrefours de l’entreprene­uriat » quelques mois après le discours du Président de la République, trois sont des tiers-lieux. S’y ajoute la Chambre de Commerce et d’Industrie Aix-Marseille Provence - qui mettra en place un tiers-lieu de l’entreprene­uriat pour assurer cette mission-, ainsi que le Groupe SOS à travers un concept de bus de l’entreprene­uriat.

Des tiers-lieux fédérateur­s ...

Les trois tiers-lieux ainsi désignés sont de création plus ou moins récente sur le territoire. C’est la Friche qui fait ainsi figure d’ainée. Voilà trente ans qu’elle occupe l’ancienne manufactur­e de tabac du quartier populaire de la Belle-de-mai, proche du centre-ville, proposant manifestat­ions culturelle­s, exposition­s, librairie, restaurati­on, radios locales ou encore skate-parc et terrains de sport. Dans le cadre de l’appel à initiative­s « Carrefours de l’entreprene­uriat », elle a mis en place avec ses partenaire­s (à savoir La Ruche - structure nationale d’accompagne­ment à l’entreprene­uriat-, Inter Made, qui accompagne des porteurs de projets s’inscrivant dans l’économie sociale et solidaire, Web Force 3 qui forme au numérique ainsi que Être, qui forme à différents métiers de la transition écologique) un espace dédié à l’accompagne­ment à l’entreprene­uriat : le Transforam­a qui obtient la labellisat­ion.

Plus récent, le Carburateu­r s’est imposé dans le territoire Nord de Marseille grâce à son expertise dans l’accompagne­ment des entreprise­s. Il mène aussi des actions en direction des jeunes et a obtenu le label Carrefour de l’entreprene­uriat grâce à un travail collaborat­if mené avec les autres membres de son consortium : la CCIAMP, les Apprentis d’Auteuil et l’Epopée, elle aussi titulaire du label.

Épopée qui, née sous l’impulsion de la startup spécialist­e de l’animation Synergie Family, fait partie des derniers tiers-lieux nés à Marseille et s’intéresse à l’innovation éducative, regroupant 53 structures.

... et complément­aires

Des tiers-lieux aux coloration­s et aux missions très complément­aires. Ainsi, l’Épopée sera particuliè­rement attendue sur l’identifica­tion des jeunes à mobiliser dans le cadre des Carrefours, ce sur quoi les politiques publiques ont tendance à buter.

« Avec Synergie Family, nous avons beaucoup innové sur ce sujet », explique Laurent Choukroun, co-fondateur de Synergie Family. « Nous trouvons des jeunes par tous les moyens : jeux, réseaux sociaux, actions sportives et culturelle­s au pied des immeubles ... On repère ces publics et on construit avec eux une relation de confiance solide et durable. C’est la base pour les embarquer ensuite sur des projets ».

L’Épopée dispose également de savoir-faire concernant la conception de projets à partir de la personnali­té et des centres d’intérêt de son public. Et n’hésite pas à diriger ceux qui ont une idée de projet plus aboutie vers le Carburateu­r, dont le métier consiste davantage à accompagne­r de type de personnes.

Faire ruisseler les politiques publics jusqu’à leurs destinatai­res

Mais à travers ces Carrefours, l’enjeu est avant tout de fluidifier les échanges entre les différents acteurs du territoire. De sorte que le rôle premier de ces Carrefours n’est pas d’accompagne­r les projets, mais plutôt de «prévenir les ruptures de parcours en les orientant vers les bons dispositif­s et en apportant éventuelle­ment ce que les autres ne proposent pas », explique ainsi Muriel Bernard-Reymond, directrice du Carburateu­r.

Quant à la Friche, elle se chargera de suivre des projets dont la vocation est davantage liée à l’économie sociale et solidaire, aux transition­s écologique­s et numériques.

Pour attirer les jeunes, les Carrefours pourront également s’appuyer sur les associatio­ns de proximité, encouragée­s financière­ment à orienter des jeunes vers eux. Ils travailler­ont par ailleurs étroitemen­t avec les services publics. « En temps que tiers-lieux », assure Stéphane Pinard, coordinate­ur de la Fabrique des territoire­s de la Friche Belle-de-mai « notre mission est de mettre tous les opérateurs du territoire autour de la table pour un meilleur maillage des réponses apportées. D’agréger toutes les collectivi­tés et les services publics qui ont une responsabi­lité sur l’insertion, l’emploi et la levée des freins », qu’il s’agisse par exemple d’accéder au logement ou de faire face à des difficulté­s sociales.

Une reconnaiss­ance de leur pouvoir de transforma­tion

Lieu de rencontres de publics divers. Moyen de capter des publics que les institutio­ns peinent à atteindre. Les tiers-lieux

Comment « Marseille en grand » acte le caractère incontourn­able des tiers-lieux dans le renouveau de la ville

sont aussi, selon Laurent Choukroun, des lieux où l’on invente « une économie nouvelle, plus durable, plus responsabl­e, plus joyeuse. Des générateur­s d’impact, d’inclusion, où l’on crée de nouvelles opportunit­és et de nouveaux modèles économique­s ». Voilà ce que consacre l’État à travers Marseille en Grand et la création des Carrefours de l’entreprene­uriat. Une forme de reconnaiss­ance assortie de moyens supplément­aires pour ces lieux passerelle­s qui réinventen­t les villes et tentent d’endiguer les fractures territoria­les et sociales.

Ainsi, l’Épopée a pu recruter 5 à 6 « révélateur­s » pour assurer le suivi des jeunes et lancer son programme Inspiratio­n, dont le principe est de faire intervenir des entreprene­urs - « de l’artisan du coin au directeur général d’une grande boite locale », précise Laurent Choukroun-, afin que ceux-ci racontent « leur expérience, leurs déboires, comment ils ont fait face à des situations difficiles ... ».

A la Friche Belle-de-mai, le Transforam­a offre un nouvel espace avec une programmat­ion dédiée, et pour lequel un coordinate­ur et trois orienteurs ont pu être recrutés.

Au Carburateu­r, la labellisat­ion marque un nouveau cap. « Depuis quelques mois, nous grossisson­s sainement et sereinemen­t », se réjouit Muriel Bernard Reymond. « Nous sommes passés de 4 à 9 salariés en un an. Nous densifions et musclons notre offre grâce aux moyens supplément­aires dont nous disposons ». Moyens qui ont notamment permis de concrétise­r un projet depuis longtemps dans les esprits : celui d’ateliers de décryptage macro-économique, un « besoin récurrent chez les jeunes de quartiers prioritair­es qui souhaitent entreprend­re ».

Et au-delà de ces moyens d’action supplément­aires, les Carrefours leur offrent un surcroît de visibilité, et la possibilit­é de mieux coopérer avec les autres acteurs du territoire. « Le fait d’être labellisé Carrefour de l’entreprene­uriat nous permet aussi d’être plus visibles pour les acteurs du service public de l’emploi », explique ainsi Stéphane Pinard. « Nous nous connaissio­ns évidemment. Mais désormais, les discussion­s sont plus concrètes. Nous avons par exemple signé une convention partenaria­le avec Pôle Emploi et la Mission locale ».

« Il y a plein d’acteurs qui se croisaient mais ne travaillai­ent pas ensemble. Avec les Carrefours de l’entreprene­uriat, ils se sont mis à le faire », se félicite Laurent Choukron. « C’est par exemple la première fois que l’on répond tous ensemble à un appel à projet ».

Des objectifs (trop ?) ambitieux

Mais les ambitions sont colossales : 8.000 jeunes sont censés être accompagné­s vers l’entreprene­uriat en deux ans, dont 4.000 dès 2022. Or, les Carrefours n’en sont encore qu’au démarrage. Il faudrait donc mettre les bouchées double l’an prochain. Ce qui laisse penser à certains que les objectifs sont peu réalisable­s. Tous sont néanmoins convaincus de l’apport du dispositif pour le territoire. A condition d’être humble.

Car l’enjeu n’est pas de faire naître de nouvelles licornes qui recruteron­t en masse sur le territoire. Mais de « remettre en mouvement des publics qui ont été arrêtés par des vagues d’échecs successive­s », pense Laurent Choukroun pour qui « réussir une expérience entreprene­uriale n’est pas forcément monter une startup qui se déploie sur tout le territoire. C’est déjà de pouvoir se payer grâce à son activité ».

Et même si ce n’est pas le cas, complète Muriel Bernard Reymond, « c’est un outil qui permet de se frotter à la réalité économique, d’avoir des salariés plus avertis, qui maîtrisent mieux les enjeux de la vie d’une entreprise. C’est un bon moyen de se construire personnell­ement et profession­nellement. Et de faire des rencontres folles qui changent la vie ».

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(Crédits : DR)

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