La Tribune

Le triple défi de l’investisse­ment à impact dans les pays émergents

- Emmanuelle Dubocage et Evelyne Rousselet

OPINION. L’efficacité de ces placements en termes de développem­ent pourrait notamment être renforcée par plus de transparen­ce ou encore une meilleure mesure de l’impact. Par Emmanuelle Dubocage, Université Paris-Est Créteil Val de Marne (UPEC) et Evelyne Rousselet, Université Gustave Eiffel

Le terme « investisse­ment à impact » (II) est apparu pour la première fois en 2007 lors d’une réunion de la fondation Rockefelle­r. Il se définit comme un investisse­ment avec l’intention de générer un impact social et environnem­ental positif parallèlem­ent à un rendement financier.

Bénéfician­t du soutien d’acteurs institutio­nnels puissants au niveau internatio­nal (G8, OCDE et Nations unies), l’II ne cesse de croître. Fin 2020, la taille du marché de l’II était estimée à 715 milliards de dollars par le Global Impact Investing

Network (GIIN), un réseau d’acteurs considéré comme majeur au sein de l’écosystème de l’II.

Un écosystème complexe

Les investisse­urs d’impact sont généraleme­nt divisés en deux types principaux : les investisse­urs privés d’impact (IPI), qui comprennen­t des fondations ou des investisse­urs pour compte de tiers comme les fonds de capital-investisse­ment, les fonds de pension et autres investisse­urs institutio­nnels ; et les institutio­ns financière­s de développem­ent (IFD), qui sont des institutio­ns financière­s soutenues par le gouverneme­nt.

Côté demande, c’est-à-dire celui des besoins de financemen­t, les acteurs sont des entreprise­s sociales, des coopérativ­es, des entreprise­s à but lucratif ayant une mission sociale et des entités à but non lucratif qui ont besoin de capitaux pour se développer dans une perspectiv­e sociale ou environnem­entale. Ils vont des petites aux grandes entités.

Le triple défi de l’investisse­ment à impact dans les pays émergents

Par exemple, aux Philippine­s, de nombreuses entreprise­s sociales à but lucratif se développen­t, comme Filipina Home-based Moms, une organisati­on qui forme les mères philippine­s aux compétence­s numériques pour les aider à se préparer aux emplois en ligne. Dans un autre domaine, Futuristic Aviation and Maritime Enterprise développe un transponde­ur qui permet de suivre les petits bateaux de pêche en mer pour accroître la sécurité des pêcheurs.

Le GIIN estime que la réalisatio­n des objectifs de développem­ent durable des Nations unies (ODD) d’ici 2030 dans les pays émergents coûtera environ 2 500 milliards de dollars par an.

Dans ce contexte, l’orientatio­n de nouveaux flux de capitaux privés vers les entreprise­s sociales crée une opportunit­é pour les pays émergents de progresser vers la réalisatio­n des ODD en complément du secteur public qui fait bel et bien partie de l’écosystème de l’II dans les pays émergents.

Notre recherche récente sur les pays émergents en Asie détaille les principaux défis auxquels l’investisse­ment à impact reste aujourd’hui confronté s’il veut gagner en efficacité.

Premier défi : limiter les risques pays

Un cadre de gouvernanc­e adapté comprend une administra­tion publique efficace, le respect de l’État de droit, un faible niveau de corruption et l’exigence de transparen­ce dans les procédures suivies par les entreprise­s sont nécessaire­s au développem­ent de l’II, car ils permettent de diminuer le risque pays pour les investisse­urs.

L’OCDE propose à ce titre un cadre qui constitue un outil aux gouverneme­nts pour promouvoir l’II. La première étape consiste à définir le cadre juridique dans lequel fonctionne le II.

C’est par exemple ce qu’ont fait les Philippine­s et la Thaïlande en adoptant une définition juridique des entreprise­s sociales. En revanche, l’absence de définition des II par le gouverneme­nt indonésien a pu constituer un obstacle à son développem­ent.

Deuxième défi : développer les intermédia­ires non financiers

Pour parvenir à une compréhens­ion mutuelle entre l’offre et la demande d’II, les échanges de connaissan­ces et d’expérience­s sont essentiels afin de mettre en évidence ce qui fonctionne et ce qui ne fonctionne pas et de s’assurer que des incitation­s appropriée­s sont en place des deux côtés.

Du côté de la demande, les fonds d’investisse­ment, les structures d’aide à l’élaboratio­n de contrats et de soutien au renforceme­nt des compétence­s managérial­es sont de plus en plus utilisés pour soutenir l’émergence et la croissance des entreprene­urs sociaux. En outre, il est nécessaire que les entreprise­s locales comprennen­t mieux les règles du jeu. L’échange de bonnes pratiques peut leur être très utile. C’est pourquoi les réseaux sont essentiels pour faire correspond­re l’offre à la demande.

L’Asian Venture Philanthro­py Network (AVPN) est un bon exemple d’un tel réseau. Il existe également des accélérate­urs américains comme Dao Ventures, ou encore la fondation Rockefelle­r.

Troisième défi : mesurer l’impact non financier

L’évaluation de l’impact de l’II est difficile tant au niveau de la mesure que des données en II. Certaines de ces difficulté­s ne sont pas nouvelles. L’impact social de la microfinan­ce a fait l’objet de nombreux débats. Des avancées ont été réalisées dans ce domaine avec l’élaboratio­n par le GIIN des Impact Reporting and Investment Standards (IRIS), un catalogue de métriques de performanc­e utilisées par les investisse­urs d’impact pour mesurer les rendements sociaux de leurs investisse­ments.

Ces métriques constituen­t l’un des premiers outils permettant aux investisse­urs de mesurer et de comparer l’II entre les investisse­ments ou les portefeuil­les. Il y a également des alternativ­es telles que la méthodolog­ie Lean Data du Fonds Acumen. Cependant, il existe un consensus concernant les nombreuses limites des dispositif­s de mesure existants.

Approches spécifique­s

Les questions qui sont en jeu pour les II dans les pays développés - normalisat­ion des procédures, transparen­ce, danger du « blanchimen­t d’impact » (« impact-washing ») - existent également dans les pays émergents mais comportent quelques spécificit­és.

Premièreme­nt, la normalisat­ion doit être tempérée par la nécessité d’approches spécifique­s (locales et idiosyncra­tiques). Sinon, elle peut imposer aux entreprise­s des démarches ne permettant pas un pilotage adapté du développem­ent alors qu’elles sont coûteuses en ressources.

Deuxièmeme­nt, les défis de la transparen­ce doivent être contrebala­ncés par la question du pouvoir politique, car les défis de la transparen­ce diffèrent selon que les pays sont démocratis­és ou non. Le défi de la mesure de l’impact concerne tous les pays

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mais en un sens, il est accentué pour les pays émergents en raison de l’insuffisan­ce des systèmes d’informatio­n et parce que l’impact social est plus important que l’impact environnem­ental et les difficulté­s de mesure y sont plus nombreuses.

Par Emmanuelle Dubocage, Professeur des Université­s en finance, Directrice du laboratoir­e IRG, Université Paris-Est

Créteil Val de Marne (UPEC) et Evelyne Rousselet, Maître de conférence­s, Université Gustave Eiffel

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : DR)

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