La Tribune

Le patron de la CFE-CGC condamne les réformes du chômage et des retraites

- Jean-Philippe Dejean, à Bordeaux @PierreChem­inade

De passage à Bordeaux la semaine dernière, François Hommeril, président confédéral de la CFE-CGC, a rappelé pourquoi il est important de relancer un vrai dialogue entre le monde du travail et le gouverneme­nt. Il a condamné avec fermeté une réforme de l’assurance chômage non seulement inutile mais “honteuse” et stigmatisé un gouverneme­nt qui s’intéresse de très près aux 163 milliards d’euros de réserves nettes des caisses de retraite, tout en préparant une réforme qui, elle non plus, ne s’impose pas.

Depuis sa première élection en 2016, François Hommeril, président de la CFE-CGC (Confédérat­ion française de l’encadremen­t-Confédérat­ion générale des cadres) réélu en 2019, n’a pas changé une note à son phrasé de tribun taillé pour les grands auditoires. Un style qui continue à trancher avec l’image convenue des cadres, technicien­s et agents de maîtrise représenté­s par sa confédérat­ion. En tournée nationale dans les directions régionales de la CFE-CGC, François Hommeril était de passage à Bordeaux ce jeudi 17 novembre où il a rencontré la presse, après son meeting du mercredi 16 au soir, juste avant de sauter dans un train pour Mâcon.

éologue passé par la case chimie au sein de grands groupes miniers internatio­naux, comme Rio Tinto, Alcan ou Péchiney, François Hommeril n’est pas original que par sa façon de prendre la parole. S’il ne déambule pas dans les couloirs le visage couvert de poussière de minerai de cuivre, ce diplômé de l’ENSG (Ecole nationale supérieure de géologie) de Nancy et de l’Institut national polytechni­que de Lorraine, a un profil qui tranche avec un secteur tertiaire où la CFE-CGC est fortement implantée, à commencer par BNP Paribas ou la Société Générale où la centrale domine les débats syndicaux.

« Sachez que nous sommes aussi le syndicat numéro un chez Renault ! », ne manque pas de souligner le président confédéral, histoire de corriger toute méprise et de rappeler

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que le tatouage CGT qui a longtemps collé à la peau de l’ex-Régie Renault n’est plus qu’un lointain souvenir.

Une ambiance de crise qui sape le moral des futurs salariés ?

Les temps ont bien changé et depuis les présidents Sarkozy et Hollande le paritarism­e n’est plus vraiment ce qu’il était. Pas encore le souvenir d’une autre époque mais, comme les faits ne cessent de le démontrer, une pratique déjà très affaiblie par le travail de sape au long cours mené par les différents gouverneme­nts depuis une quinzaine d’années. Et c’est bien pour la restaurati­on de ce dialogue entre représenta­nts du monde du travail et du gouverneme­nt de la République que plaide tout d’abord le manifeste « Restaurer la confiance » de la CFE-CGC. Une publicatio­n annuelle qui est d’abord un outil interne.

« Ce document militant est remis à jour tous les cinq ans et soumis à l’appréciati­on des candidats à l’élection présidenti­elle, pour qu’ils nous répondent. C’est aussi un document complet où les unions régionales de la confédérat­ion doivent pouvoir piocher. Parce que nous devons nous adapter à cette ambiance de crise permanente, qui frappe de tous les côtés avec les questions environnem­entales, climatique­s, l’inflation et maintenant la guerre. Des crises qui minent le moral des gens vis-à-vis de l’évolution de la société. Alors qu’il est vital de pouvoir continuer à se projeter dans l’avenir pour garantir l’implicatio­n profession­nelle. Notre vision d’aujourd’hui c’est que, si l’on considère les positions du gouverneme­nt et du patronat, la société française est en voie de décroissan­ce. Parce que les espaces d’évolution, les perspectiv­es d’avenir des salariés se sont refermées », recadre le président de la CFE-CGC.

Tuer la financiari­sation pour accéder au développem­ent durable

Cette absence d’horizon, le leader syndical l’explique par une politique de rémunérati­on insuffisan­te de la part des entreprise­s, qui va de pair avec une pression accrue des directions pour que les salariés « aient moins de moyens mais en fassent plus ». Situation dans laquelle le président de la CFE-CGC voit une dangereuse impasse.

« Nous considéron­s que l’économie a déraillé et qu’il faut remettre le train sur les rails, c’est-à-dire développer tout ce qui concourt à produire. Or, actuelleme­nt, tout ce qui est fait ne sert qu’un objectif : maximiser les profits. Ce n’est plus acceptable. C’est cette financiari­sation de l’économie, qu’il faut arrêter. Les grands actionnair­es ne veulent pas développer les entreprise­s. Tout ce qu’ils veulent c’est une rémunérati­on optimale ! Les outils existent pour la valorisati­on du capital humain via la comptabili­té extra-financière. Il faut les mettre en oeuvre parce qu’on ne pourra pas s’atteler au développem­ent durable dans les entreprise­s ni à la lutte pour la préservati­on du climat sans avoir réglé ce sujet », déroule en substance François Hommeril.

Un Medef court-circuité par les groupes internatio­naux

Le patron de la CFE-CGC souligne aussi l’importance de la protection sociale, qui doit correspond­re aux besoins et qui ne peut pas être définie sous l’angle d’un financemen­t qui n’est, selon lui, pas problémati­que. Plus pessimiste, il estime que les négociatio­ns syndicales avec le Medef ne donnent plus rien parce que le mouvement patronal est lui-même court-circuité auprès du gouverneme­nt par les grands groupes internatio­naux, qui font la pluie et le beau temps dans les ministères. Une situation rendue possible « parce que le paritarism­e a été tué par le gouverneme­nt », attaque François Hommeril, convaincu que les normes sociales françaises se font progressiv­ement détruire par l’adoption dans l’Hexagone de références internatio­nales dans ce domaine.

Il voit dans cette mise en échec du dialogue social le moteur du recul de la participat­ion des salariés aux élections profession­nelles.

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« Bien sûr nous essayons de rajeunir notre effectif d’adhérents »

François Hommeril retient quand même un rayon de soleil dans ce paysage crépuscula­ire : les bons résultats de la CFE-CGC lors des élections de représenta­tivité.

« La CFE-CGC a enregistré la plus forte progressio­n lors de ces scrutins depuis 2008 et l’instaurati­on des mesures d’audience pour établir la représenta­tivité syndicale. Nous sommes ainsi la quatrième organisati­on syndicale représenta­tive (derrière la CFDT, la CGT, CGT-FO -Ndr). Ces scrutins ont lieu tous les quatre ans et la CFE-CGC a progressé de près de +15 % lors des élections de 2021. Nous comptons 150.000 adhérents, avec une croissance annuelle de cet ensemble de +2 à +3 % depuis une dizaine d’années. Nous avons un taux de rotation assez important, avec les départs à la retraite. Bien sûr nous essayons de rajeunir notre effectif d’adhérents. Mais tant que l’acte d’adhérer à un syndicat sera considéré comme une agression par

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les directions d’entreprise­s, ça restera difficile. Ce qui explique que les adhésions à la CFE-CGC se fassent en deuxième partie de carrière », décrypte le président confédéral.

Une réforme de l’assurance chômage jugée ”honteuse”

Concernant la réforme de l’assurance chômage, présentée ces jours-ci par le gouverneme­nt, Jean-François Foucart, en charge de l’emploi, de la formation et de l’égalité profession­nelle à la CFE-CGC attaque sa légitimité et dénonce en particulie­r la volonté du gouverneme­nt d’en finir avec la filière sénior, qui permet à ces derniers de pouvoir bénéficier jusqu’à 36 mois de couverture.

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« Aucune des mesures de réduction des durées d’indemnisat­ion envisagées ne réduira le nombre des emplois en tension. Parce que la tension actuelle n’a rien d’extraordin­aire, elle est même plutôt moyenne et découle pour l’essentiel du délai existant entre licencieme­nts et recrutemen­ts », avance JeanFranço­is Foucart.

Un terrain sur lequel François Hommeril abonde à son tour.

« Avec la réforme du chômage, le gouverneme­nt veut inciter les demandeurs d’emploi au retour à l’emploi. C’est la grande honte de cette réforme. Parce qu’il y a six millions de chômeurs et que la moitié d’entre eux ne touche rien. Et ceux qui ont droit à quelque chose ne perçoivent que 900 euros par mois en moyenne ! », s’insurge le leader syndical.

Les 163 milliards d’euros de réserves des caisses de retraite qui font envie

En ce qui concerne la réforme des retraites, le patron de la CFE-CGC confirme que son syndicat veut qu’un débat soit organisé. « Cette réforme n’est pas justifiée », tranche François Hommeril avant de préciser que les réserves brutes de financemen­t de la retraite par répartitio­n se montent actuelleme­nt en France à 180 milliards d’euros, soit 163 milliards d’euros net, une fois épongé notamment le déficit de 43 milliards d’euros de la CNAV (Caisse nationale d’assurance vieillesse

-Ndr). Emmanuel Macron n’a pas caché qu’il comptait utiliser une partie de ce pactole pour financer certaines réformes. Ce qui change effectivem­ent la géométrie du discours sur la capacité du régime par répartitio­n à se financer à plus long terme, dont on peut comprendre qu’elle n’est plus vraiment au centre réel des préoccupat­ions.

« Ces réserves ça brille pour le gouverneme­nt, qui n’arrive pas à se financer. Il veut les ponctionne­r, prendre l’argent là où il est. Nous, nous disons pourquoi pas. Mais si le gouverneme­nt, comme il l’a laissé déjà entendre, veut prélever huit à dix milliards d’euros par an sur ces réserves, il faudra que tout le monde mette la main à la poche...Et il faudra arrêter d’alléger la vie des entreprise­s comme cela est le cas depuis la suppressio­n de la CVAE (Cotisation sur la valeur ajoutée des entreprise­s -Ndr). Sans parler du CICE (Crédit d’impôt pour la compétitiv­ité et l’emploi -Ndr) qui a coûté 160 milliards d’euros en coût cumulé à la collectivi­té nationale pour arriver à la création de 100.000 emplois. Ce n’est pas moi qui le dit, c’est France Stratégie. Ce qui fait de ces emplois les plus chers du monde ! », assène le président confédéral.

Cerise sur le gâteau d’une situation qu’il juge, à partir des projets de réforme de l’assurance chômage et des retraites, idéologiqu­ement très chargée du côté du gouverneme­nt, le versement record de 57 milliards d’euros de dividendes aux actionnair­es en 2021 et le rachat pour plus de 10 milliards d’euros d’actions par des entreprise­s cotées en bourse.

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 ?? ?? François Hommeril président de la CFE-CGC à Bordeaux le 16 novembre. (Crédits : CFE-CGC)
François Hommeril président de la CFE-CGC à Bordeaux le 16 novembre. (Crédits : CFE-CGC)

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