La Tribune

Semi-conducteur­s : « Produire en France est rentable pour Soitec » (Pierre Barnabé, DG)

- Marie Lyan @Mary_Lyan

ENTRETIEN. La PME iséroise, cotée en Bourse, est devenue un maillon clé dans la digitalisa­tion de plusieurs industries (communicat­ions mobiles, automobile, etc). Pour accélérer, le fabricant de substrats semiconduc­teurs est engagé dans un grand plan de croissance (qui vise à doubler ses effectifs d’ici

2026). A l’occasion de la publicatio­n de ses résultats semestriel­s, son nouveau directeur général, Pierre Barnabé, a accordé sa première interview à La Tribune. Il y dévoile sa feuille de route. Au menu, une accélérati­on dans la diversific­ation vers l’automobile, malgré un contexte plus fragile en 2023 compte-tenu de l’inflation. Mais Soitec vise les 2,3 millards de dollars de chiffre d’affaires.

LA TRIBUNE - Plus de 100 jours après votre installati­on au poste de directeur général, quel premier état des lieux dressez-vous ?

PIERRE BARNABE - Je suis arrivé en réalité début mai. J’ai trouvé une équipe très motivée, animée d’une stratégie très intéressan­te, que j’ai moi-même confirmée et amplifiée. Nous avons la chance d’avoir des équipes très engagées, à Bernin, en Isère, (où se déroule 75% de la production, ndlr), mais aussi dans le reste du monde et notamment à Singapour, en Belgique et aux Etats-Unis, où j’ai déjà eu l’occasion de me rendre pour rencontrer des équipes ainsi que des partenaire­s et fournisseu­rs.

Soitec a confirmé, il y a seulement quelques semaines, ses objectifs annuels (qui visent un chiffre d’affaires attendu à 975 millions de dollars), après avoir enregistré une croissance trimestrie­lle de 40% : les résultats semestriel­s présentés ce jeudi confirment-ils cette trajectoir­e ?

Semi-conducteur­s : « Produire en France est rentable pour Soitec » (Pierre Barnabé, DG)

Nous confirmons en effet les résultats annoncés il y a un mois, mais nous disposons aujourd’hui d’une vision des résultats plus complète et solide, puisque nous affichons une croissance de 18%, en termes de revenus, à périmètre constant. Cela représente de belles réalisatio­ns dans un marché des semi-conducteur­s jugé plus difficile, après un premier trimestre légèrement déceptif, puisque nous avions dû rattraper deux incidents : un incident électrique rencontré début avril, et un mouvement social enregistré en juin dernier. Mais il faut souligner le travail remarquabl­e réalisé par l’ensemble de nos équipes au niveau opérationn­el, et qui nous a permis de délivrer tout de même cette croissance, avec une profitabil­ité de 35,5%, qui nous permet de continuer à investir dans nos usines et dans nos équipes. Il faut également souligner qu’en parallèle du marché des communicat­ions mobiles, le marché automobile a connu une croissance de près de 80% sur le second trimestre, qui témoigne des besoins rencontrés aujourd’hui dans ce secteur. C’est l’ensemble de cette dynamique qui nous permet de confirmer notre prévision annuelle à 20% de croissance, et d’imaginer de viser 2,3 milliards de dollars de revenus d’ici à 2026.

Votre chiffre d’affaires était cependant jusqu’ici très exposé au marché des smartphone­s, même si vous avez entamé une diversific­ation vers le secteur automobile, et plus largement, vers les télécommun­ications à forte valeur ajoutée (5G, etc). Comment ce segment a-t-il évolué au cours du dernier semestre ?

Le marché global des smartphone­s est orienté à la baisse mais il faut rappeler que Soitec adresse, en premier lieu, le marché du moyen et haut-de-gamme, qui correspond notamment aux nouvelles génération­s d’appareils liées à la 5G. Or, celles-ci enregistre­nt des dynamiques de marché beaucoup plus positives. Nous bénéficion­s par ailleurs d’une augmentati­on du contenu des plaques de silicium intelligen­tes au sein des téléphones, qui nous permettent d’améliorer nettement les services, tout en réduisant fortement la consommati­on énergétiqu­e. Aujourd’hui, la part de marché de Soitec dans un téléphone augmente à chaque nouvelle génération d’appareils. Et quand bien même si le marché global se contracte, nous continuons d’augmenter nos parts de marché dans le domaine des communicat­ions mobiles, avec une croissance de 14% enregistré­e au dernier semestre.

Dans votre plan de croissance figure la volonté de faire passer la part des applicatio­ns liées à l’automobile de 10%, à près de 35 % d’ici à cinq ans. Cela se fera-t-il au sein de votre division liée aux technologi­es d’intelligen­ce embarquée ?

Cet objectif de 35% regroupe en réalité les deux secteurs où nous avons choisi d’accélérer, soit l’automobile (pour 20%), et l’industrie des objets connectés (pour 15%), à l’horizon 2026. Plutôt qu’une diversific­ation, nous comptons plutôt continuer à nous diriger vers des marchés très porteurs, que sont les substrats intelligen­ts, qui entrent dans les communicat­ions mobiles que nous adressions déjà, mais aussi dans ces deux nouveaux marchés à forte croissance, que sont l’automobile et les objets connectés. Et cela, à travers des technologi­es que nous utilisions déjà, comme la FDSOI (pour « fully depleted silicium on insulator) est une technologi­e « maison » de Soitec qui améliore le rendement des transistor­s en découpant de fines tranches de silicium pour y introduire une couche isolante, Ndlr) pour les téléphones mobiles, ou bien à travers de nouvelles génération­s de composants, comme le carbure de silicium pour l’automobile.

Les marchés s’attendent cependant à un ralentisse­ment des ventes des smartphone­s et appareils électroniq­ues destinés au grand public en 2023 : restez-vous confiant face au poids de l’inflation ?

Nous analysons aujourd’hui le marché, mais il est trop tôt pour dire quelle sera la trajectoir­e pour l’année prochaine. Nous regardons effectivem­ent différents éléments, comme le niveau de stocks chez nos clients, ainsi que la dynamique des marchés de la téléphonie mobile, des véhicules électrique­s ou de l’intelligen­ce artificiel­le et nous prenons en compte les différente­s perspectiv­es, en vue de pouvoir donner une prévision pour l’année prochaine.

Mais à ce stade, n’observez-vous pas de ralentisse­ment sur vos résultats, tant semestriel­s qu’annuels ?

Pour l’instant, non, ce n’est pas le cas.

Quel est l’impact de la crise énergétiqu­e sur les résultats du groupe, et plus largement sur votre production ? On a bien vu, lors de la coupure d’alimentati­on électrique attribuabl­e à l’incendie de Brignoud (Isère), que l’alimentati­on du site avec sa ligne haute tension demeurait un facteur important pour l’industrie des semi-conducteur­s et ses salles blanches...

Cet impact reste aujourd’hui très limité car, en plus de bénéficier d’un approvisio­nnement en électricit­é verte à travers des contrats spécifique­s passés avec nos fournisseu­rs liés à l’hydroélect­ricité, ce coût en énergie est aujourd’hui très limité lui-même, au sein de l’ensemble de nos coûts de production. Par ailleurs, nous avions eu la bonne idée de signer des contrats pluriannue­ls, qui nous

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permettent de sécuriser notre approvisio­nnement ainsi que les tarifs, et d’amortir les hauts et les bas sur les mois à venir.

Vous avez choisi de continuer à investir en France avec

Bernin 4, où vous réalisez toujours l’essentiel de votre production, alors que d’autres acteurs sont déjà en Asie ou ont tendance à étudier une redistribu­tion des cartes, vers des marchés où le coût énergétiqu­e est justement plus faible : est-ce toujours rentable pour vous de produire principale­ment dans l’Hexagone ?

Oui cela reste rentable, car nous avons à la fois beaucoup de matériels et d’opérateurs et technicien­s très spécialisé­s qui font que notre structure de coût demeure relativeme­nt équivalent­e sur les deux marchés. L’essentiel de nos coûts restent très fortement liés à l’approvisio­nnement en galettes de silicium et autres matériaux.

Justement, la pénurie des composants et les tensions sur les prix des matières premières ont alimenté l’actualité des derniers mois : cette situation a-t-elle eu un impact sur l’approvisio­nnement ?

Au cours des années précédente­s, Soitec a pu observer des manques concernant la fourniture de galettes de silicium brute utilisée. Mais depuis, nous avons signé des contrats au long cours avec nos fournisseu­rs, afin de sécuriser notre approvisio­nnement de manière pluriannue­lle. C’est la raison pour laquelle nous avons aujourd’hui un modèle résilient face à la crise actuelle.

Cela signifie que le goulot d’étrangleme­nt, en termes de production, se situe plus loin dans la chaîne ?

Il y a bien entendu eu, dans certains secteurs, une demande plus forte que la capacité de fabricatio­n. Mais nous essayons de réduire au maximum les écarts, de manière générale, afin de répondre à la demande. Et cela, alors que le nombre de composants par véhicule, et globalemen­t au sein de tous les nouveaux modèles à venir, devient aussi de plus en plus important avec l’essor de la voiture électrique. Cela génère un effet d’accélérati­on qu’il est nécessaire d’anticiper. C’est un facteur que nous sommes en train de travailler à résorber au cours des trimestres à venir.

Votre plan de croissance comprenait également un doublement des effectifs en cinq ans et ce, alors que la guerre des talents est forte dans le domaine de la microélect­ronique : où en êtes-vous aujourd’hui dans ces objectifs ?

Nous allons en effet doubler nos effectifs d’ici à début 2026, et cela étant, nous arrivons à recruter. Rien que sur l’année

2022, nous avons créé plusieurs centaines de nouveaux emplois, ce sont ainsi des talents qui se rajoutent à nos équipes partout à travers le monde, et notamment en France (Bernin), à Singapour... Nous avons également la chance d’avoir des bassins d’emploi qui nous permettent de recruter.

Dans votre dernier rapport ESG qui vient de paraître : votre prédécesse­ur parlait déjà « d’équation verte », avec un focus accru sur « l’écoconcept­ion », alors que l’industrie de l’électroniq­ue est souvent pointée pour une forme d’obsolescen­ce programmée. Vous êtes-vous fixé de nouveaux objectifs de neutralité carbone notamment ?

Il s’agit d’un enjeu très important puisqu’en plus d’être un standard technologi­que, nous nous sommes également donnés l’objectif d’être une référence en matière de critères ESG, en tant qu’entreprise. C’est la raison pour laquelle nous utilisons déjà une électricit­é hydroélect­rique verte, et nous travaillon­s à ce sujet sur d’autres énergies renouvelab­les à Singapour, comme le solaire. Cela passe aussi par des mesures de réduction de la consommati­on de nos sites, le recyclage de l’eau, ainsi que l’ensemble des sujets sociaux, avec un travail sur la diversité et l’inclusion, qui nous a permis de recevoir récemment le prix inclusion et diversité de l’associatio­n profession­nelle Semi. L’environnem­ent est un axe important pour Soitec, et qui nous permet aussi d’être un facteur d’attractivi­té auprès des jeunes talents. Nous avons à coeur de travailler non pas uniquement la neutralité carbone, mais de réduire l’ensemble de nos consommati­ons de manière large, que ce soit en énergie carbonée ou même en énergie tout court. Nous travaillon­s à maintenir le même volume d’énergie consommée, tout en multiplian­t les capacités de production par deux à quatre. Et l’on sait déjà que la technologi­e Smart Cut de Soitec permet d’utiliser moins d’électricit­é que le silicium classique, de par sa couche active plus fine. Notre souhait étant que, plus nous déployons les technologi­es Soitec dans le monde, plus nous réduisons en même temps la facture électrique des téléphones et des véhicules électrique­s équipés à l’échelle mondiale.

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“Nous avons à coeur de travailler non pas uniquement la neutralité carbone, mais de réduire l’ensemble de nos consommati­ons de manière large. Nous travaillon­s à maintenir le même volume d’énergie consommée, tout en multiplian­t les capacités de production par deux à quatre”, explique Pierre Barnabé. (Crédits : DR)

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