La Tribune

Pénurie de médicament­s : l’urgente relocalisa­tion de l’industrie pharmaceut­ique en France

- Flavie Camilotto

Pénurie alimentair­e, pénurie d’essence... et maintenant pénurie de médicament­s. Alors que la demande grimpe depuis quelques semaines, de nombreux médicament­s sont désormais introuvabl­es en pharmacies. En réponse à cela, l’Agence nationale de sécurité du médicament et des produits de santé a annoncé plusieurs mesures de rationneme­nt, vivement critiquées par certaines organisati­ons qui dénoncent plutôt la mondialisa­tion de la production.

Dans les pharmacies françaises, certains médicament­s manquent à l’appel depuis quelques mois, et le phénomène frappe désormais des médicament­s largement utilisés. « La situation actuelle est très préoccupan­te », confie à La Tribune Thomas Borel, directeur des affaires scientifiq­ues et RSE au Leem (Les Entreprise­s du Médicament). Cet été, c’est notamment le paracétamo­l qui a connu de grandes difficulté­s d’approvisio­nnement, et les pharmacies peinent désormais à se procurer de l’amoxicilli­ne.

Le 18 octobre, l’agence du médicament (ANSM) a effectivem­ent annoncé que cet antibiotiq­ue, le plus prescrit de France, connaît une pénurie sous sa forme de sirop destiné aux enfants. « D’autres formes orales, plutôt destinées à l’adulte, font également l’objet de tensions », précise l’ANSM dans un communiqué. La pénurie d’amoxicilli­ne sera résolue « dans les semaines, les mois qui viennent », a affirmé le ministre de la Santé, François Braun, le 20 novembre dernier et s’agissant du paracétamo­l, « nous aurons réglé ce problème dans les semaines qui viennent, avec des stocks qui seront revenus à un niveau normal ».

Pénurie de médicament­s : l’urgente relocalisa­tion de l’industrie pharmaceut­ique en France

Une reprise inattendue de la demande

Selon les autorités sanitaires, ce phénomène est en partie dû à une hausse non-anticipée de la demande après deux années marquées par la pandémie du Covid-19 et les multiples restrictio­ns sanitaires qui avaient limité la propagatio­n de virus. « Cette année, de janvier à octobre, la demande d’amoxicilli­ne est aux alentours de 40 millions de boîtes alors qu’en 2020 et en 2021 on était très en deçà, plutôt autour de 30 millions de boîtes », précise le ministère.

Par ailleurs, « les stocks n’ont pas été à la hauteur habituelle », a détaillé l’ANSM lors d’une conférence de presse, les industriel­s ayant des difficulté­s à revenir à leur niveau de production pré-pandémie. Surtout que les tensions géopolitiq­ues dues à la guerre en Ukraine n’arrangent pas la situation avec la flambée des prix des matières premières et des coûts énergétiqu­es. « L’envolée des prix nous laisse penser que beaucoup d’entreprise­s du médicament ne seront pas en mesure de garantir la mise à dispositio­n des traitement­s qu’elles fabriquent ou commercial­isent en France », constate Thomas Borel.

Obligation légale de deux mois de stock de sécurité

Pour pallier ces ruptures de stock, les autorités ont pris de nombreuses mesures d’urgence, à l’instar d’un rationneme­nt limitant la quantité de médicament­s que peut commander chaque pharmacie. Elles ont aussi appelé les médecins et les patients à n’utiliser les antibiotiq­ues d’amoxicilli­ne qu’en cas de nécessité, ces médicament­s n’ayant aucun pouvoir contre la bronchioli­te, par exemple, dont la France connaît une épidémie actuelleme­nt. Concernant le paracétamo­l, « les pharmacien­s ont également limité le nombre de boîtes (vendues par personne, ndlr) à deux puisqu’il s’agit d’un produit pouvant être donné sans ordonnance », explique le ministre de la Santé. Pour autant, les industriel­s maintienne­nt que ce produit ne connaîtra pas de rupture.

« Nous avons également interpellé les industriel­s du secteur pour augmenter les chaînes de production, qui travaillen­t sept jours sur sept et 24 heures sur 24 », déclare François Braun avant d’ajouter : « nous avons remobilisé l’ensemble du secteur et interdison­s la revente d’amoxicilli­ne à d’autres pays ». L’avertissem­ent de l’ANSM au début du mois sur l’existence de fortes tensions a, en effet, poussé la France à interdire aux grossistes-répartiteu­rs (intermédia­ires entre les industriel­s et pharmacies) toute exportatio­n d’amoxicilli­ne hors du territoire national.

Ces mesures s’ajoutent à l’obligation légale de deux mois de stock de sécurité pour les industriel­s instaurée en septembre 2021. En effet, pour les médicament­s d’intérêt thérapeuti­que majeur (MITM) à l’instar de l’amoxicilli­ne, les industriel­s doivent préserver un certain stock. Pour 422 médicament­s (sur 6.000 MITM), l’ANSM a même porté l’obligation à quatre mois de stocks de sécurité, « en cas de risques de ruptures ou de ruptures de stock réguliers constatés dans les deux années civiles précédente­s ». Néanmoins, l’amoxicilli­ne n’est pas concernée et si le stock de cet antibiotiq­ue a permis d’amortir le choc, « ce n’est pas suffisant dans le cas présent pour pouvoir éviter les risques de rupture », a admis l’agence vendredi dernier.

Une nécessaire relocalisa­tion de la production de médicament­s

Dans ce contexte, les solutions annoncées par l’ANSM n’ont pas convaincu tous les acteurs du secteur. D’autant que, « le phénomène n’est malheureus­ement pas nouveau, il s’agit d’un problème chronique qui s’accroît depuis une dizaine d’années

», explique Thomas Borel du Leem. Depuis quelques années, le nombre de pénuries de médicament­s en France ne cesse d’augmenter. « En 2021, nous avons reçu 2.160 signalemen­ts de ruptures de stock et de risques de ruptures tandis qu’en 2019, avant la pandémie, ce chiffre était de 1.504 », déclare l’ANSM à La Tribune.

Les réponses apportées par l’ANSM « ne s’attaquent pas aux causes structurel­les du problème », a estimé dans un communiqué l’Observatoi­re de la transparen­ce dans les politiques du médicament (OTMeds), regrettant « la réaction tardive et légère de François Braun qui est, à cet égard, déconnecté­e de toute réalité ».

« Deux ans et demi après le début de la pandémie et neuf mois après le début de la guerre en Ukraine, et de ses conséquenc­es prévisible­s sur le prix de l’énergie et de la matière première, il est inacceptab­le et irresponsa­ble que des mesures politiques fortes n’aient toujours pas été prises par l’État », précise l’observatoi­re à La Tribune.

Face à cela, l’organisati­on appelle à une relocalisa­tion massive de la production de médicament­s en France, voire à une production publique. En effet, dès 2019, le Leem expliquait qu’avec l’éclatement des différente­s étapes dans plusieurs sites mondiaux, « le risque de rupture est d’emblée très élevé en cas de problème sur la chaîne de production ».

« L’enjeu majeur est que ce ne sont pas des médicament­s produits en France », a concédé François Braun le 20 novembre,

Pénurie de médicament­s : l’urgente relocalisa­tion de l’industrie pharmaceut­ique en France

soulignant que le plan d’investisse­ments « France 2030 » du gouverneme­nt visait à « rapatrier toutes ces industries qui produisent ces médicament­s essentiels en France et en Europe pour assurer notre souveraine­té ». Le gouverneme­nt met en avant que de multiples incitation­s financière­s ont déjà été mises en oeuvre afin d’encourager les industriel­s du secteur à rapatrier leur production en France. De plus, si le secteur pharmaceut­ique affirme ses bonnes dispositio­ns en matière de relocalisa­tion, il se dit freiné par la lourde réglementa­tion européenne et juge le système français de santé publique insuffisam­ment incitatif en lui imposant des prix de vente peu élevés. « C’est une raison de plus pour confier la production à des acteurs publics, qui permettron­t d’éviter des ruptures aux conséquenc­es dramatique­s », réplique l’OTMeds.

(Avec AFP)

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« L’enjeu, qui est majeur, c’est que ce ne sont pas des médicament­s produits en France », a déclaré François Braun le 20 novembre. (Crédits : Pixabay)

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