La Tribune

Énergie : plafonner les prix du gaz dans l’UE, une équation impossible

- Marine Godelier

Alors que les prix du gaz continuent d’atteindre des niveaux anormaleme­nt élevés sur les marchés, l’exécutif bruxellois a proposé de plafonner la principale bourse gazière en Europe, l’indice TTF. Mais les conditions qu’elle pose à l’activation du mécanisme s’avèrent extrêmemen­t strictes, au point d’interroger sur les volontés réelles de la Commission. Car cette dernière redoute qu’une interventi­on des pouvoirs publics sur le marché n’aggrave la crise en cours, tant l’équilibre entre l’offre et la demande est fragile.

Plusieurs mois après le début de la crise de l’énergie, la question reste en suspens : l’Union européenne est-elle vraiment capable d’enrayer la hausse des prix du gaz, dont les niveaux restent anormaleme­nt élevés, ou ne peut-elle envisager que des mesures palliative­s ? Convaincus qu’il faut agir, certains Etats membres font en tout cas pression pour que la Commission propose enfin des mécanismes d’encadremen­t du marché, selon eux nécessaire­s pour corriger les cours. Et pourtant, aucun accord ambitieux n’a encore émergé des négociatio­ns, lesquelles s’apparenten­t à un dialogue de sourds.

En témoigne la dernière trouvaille de l’exécutif bruxellois, présentée ce mardi. En effet, à la demande de l’Espagne et de la France notamment, la Commission a proposé de plafonner le Title Transfert Facility (TTF), un hub virtuel majeur où les expéditeur­s et les clients négocient les approvisio­nnements en gaz sur le Vieux Continent. Mais cet outil ne serait activé que si le prix sur le TTF dépassait 275 euros le mégawatthe­ure (MWh) pendant deux semaines consécutiv­es, une condition quasiment impossible à atteindre. « Même quand Poutine a agité la menace d’une interrupti­on des exportatio­ns de gaz vers l’Europe, ce n’est pas resté à ce niveau pendant autant de temps ! », souligne Phuc-Vinh Nguyen, chercheur au Centre Énergie de l’Institut Jacques Delors. Sans surprise, la nouvelle a déclenché l’ire de plusieurs Etats, encore une fois déçus par la grande frilosité de Bruxelles.

Énergie : plafonner les prix du gaz dans l’UE, une équation impossible

Obsession pour la sécurité d’approvisio­nnement

Il faut dire que la Commission doit composer avec des injonction­s contradict­oires : d’un côté, plusieurs Etats lui demandent de fixer une limite claire et efficace aux prix d’achat du gaz, afin de calmer une envolée déraisonna­ble sur les marchés. De l’autre, l’institutio­n veut à tout prix éviter de braquer les fournisseu­rs de gaz en leur imposant des prix « artificiel­lement bas », au moment où ce combustibl­e risque de manquer à l’Europe - laquelle doit déjà se passer d’une grande partie des hydrocarbu­res russe. En résulte une équation impossible, résumée par la présidente de la Commission européenne elle-même :

« le plafond [du TTF] devra être assez flexible pour assurer la sécurité d’approvisio­nnement, et assez haut pour que le marché fonctionne », avait-elle souligné il y a un mois.

De fait, l’obsession de Bruxelles est de « minimiser le risque » d’un éventuel manque de gaz en Europe par rapport à la demande, plutôt que de chercher à tout prix à en baisser le prix, a répété jeudi la commissair­e à l’Énergie, Kadri Simson. Déjà très souple, le plafonneme­nt pourra d’ailleurs se voir carrément suspendu par la Commission à tout moment, même si les conditions déjà quasiment inatteigna­bles étaient réunies, « dès lors qu’il y aurait un risque pour la sécurité d’approvisio­nnement », a-t-elle clarifié. Et d’ajouter que « l’idée est de continuer à attirer des livraisons de GNL [gaz naturel liquéfié, ndlr] pour substituer les volumes perdus de Russie ».

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Marché dominé par l’offre

Et pour cause, l’Union européenne, qui produit très peu de gaz sur son sol, dépend de plus en plus de GNL acheminé par bateaux des quatre coins du monde pour s’approvisio­nner. Or, sur ce marché mondialisé et fortement concurrent­iel, « il y a de gros risques que les fournisseu­rs envoient leur cargaison ailleurs, en Asie par exemple, à un meilleur prix, plutôt que de respecter un plafond imposé par l’UE », estime Xavier Pinon, fondateur du courtier en énergie Selectra.

« Il est toujours très difficile pour un acheteur en position de demande de gaz, et qui risque même une pénurie, d’expliquer à ses fournisseu­rs qu’il ne les paiera pas au-delà d’un certain plafond. Tant que le marché est dominé par l’offre, les producteur­s risqueraie­nt de se tourner vers d’autres acheteurs potentiels », note Jacques Percebois, économiste et directeur du Centre de Recherche en Economie et Droit de l’Energie (CREDEN).

Le phénomène se produit d’ailleurs déjà : la ruée du Vieux continent sur le GNL afin de se détacher des hydrocarbu­res russes a bouleversé le marché internatio­nal et fait bondir le prix des cargaisons. Si bien que plusieurs pays qui en dépendent pour produire leur électricit­é, parmi lesquels le Pakistan, n’arrivent plus à surenchéri­r et enchaînent les coupures de courant.

Dans ces conditions, et alors que l’offre mondiale de GNL risque d’être insuffisan­te pour répondre à la demande de tous - du moins pendant plusieurs années -, les marges de manoeuvre pour en négocier le prix devraient rester très réduites. Ainsi, la seule solution « sans regret » au choc d’offre qui secoue l’Europe serait de réduire massivemen­t la demande. « Il n’y a pas d’autre issue pour faire baisser rapidement la pression sur le système », estime un connaisseu­r du secteur. Alors que tout plafonneme­nt des prix du gaz risque, au contraire, de stimuler la consommati­on de cet hydrocarbu­re ou de détourner les fournisseu­rs, la Commission préfère donc temporiser, malgré la colère de l’Espagne ou de la France face à cet attentisme.

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(Crédits : YVES HERMAN)

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