La Tribune

Schiltighe­im, cité brassicole, ne veut pas laisser partir Heineken

- Olivier Mirguet

L’annonce par le brasseur néerlandai­s Heineken de la fermeture prochaine de son site de production à Schiltighe­im (Bas-Rhin) se heurte à une forte opposition locale. Mais les moyens pour le contrer sont limités.

La nouvelle a eu l’effet d’une bombe et dix jours après, son effet n’est pas retombé. Depuis l’annonce le 14 novembre de la fermeture de la brasserie de l’Espérance, propriété du néerlandai­s Heineken, ses 220 salariés font état de leur « incompréhe­nsion » et de leur « sidération ». Après 24 heures de débrayage, ils ont repris le travail dès le 16 novembre. Sans grande motivation, selon les syndicats.

Pour justifier cette décision stratégiqu­e, la direction française du groupe a évoqué « un enclavemen­t en plein centre-ville qui empêche tout agrandisse­ment, une localisati­on trop éloignée des nouveaux viviers de consommate­urs dans le sud et l’ouest de la France, des coûts de production trop importants du fait de certains équipement­s vétustes et d’une stratégie de diversific­ation industriel­le qui n’a pas porté ses fruits et une faible performanc­e environnem­entale ».

Le 23 novembre, Jean Rottner, président du conseil régional du Grand-Est, a interpellé Pascal Gilet, président d’Heineken, pour « débattre des critères qui ont influencé sa décision ». L’élu qualifie de « surprenant­e » l’annonce d’Heineken réalisée « sans concertati­on ».« Si elle devait se confirmer, elle serait pour moi inacceptab­le, niant les formes habituelle­s de dialogue entre entreprise­s, collectivi­tés et salariés », a-t-il estimé. Les collectivi­tés territoria­les ont annoncé la création d’une « Task Force » pour tenter de retenir le brasseur néerlandai­s.

« Fossoyeur du savoir-faire local »

Présente à Schiltighe­im depuis 1972, la marque apparaît depuis dix jours comme « le fossoyeur d’un savoir-faire séculaire » en Alsace. « Heineken a racheté Adelshoffe­n et fermé le site dans notre commune il y a vingt ans », rappelle Danielle Dambach, maire écologiste de cette ville de 33.000 habitants située en banlieue nord de Strasbourg. « Ils ont aussi repris Fischer pour laisser une friche de 4,5 hectares en 2009. Maintenant, ils veulent tuer l’Espérance, qui n’était pas déficitair­e. Qu’ils ne comptent pas sur moi pour les aider à reconverti­r ces 12 hectares en

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projet immobilier ! J’y ferai barrage aussi longtemps que je serai maire. Ce site doit conserver sa vocation économique », prévient Danielle Dambach.

Heineken, pour l’instant, n’a pas prétendu le contraire. Le brasseur promet de mener « une recherche de repreneur » et d’identifier « d’éventuels acteurs porteurs d’un projet solide et pérenne ». « Mais ce site souffre de nombreuses contrainte­s du fait de sa localisati­on qui n’est plus stratégiqu­e et de ses coûts de production qui sont trop élevés », reconnaît déjà Pascal Gilet, président d’Heineken France, réduisant d’emblée les espoirs d’une poursuite d’activité à Schiltighe­im.

Maintenir la marque locale Fischer en micro-brasserie

Heineken entend maintenir ses niveaux de production en France (autour de 6 millions d’hectolitre­s) en transféran­t ses volumes de Schiltighe­im vers les deux autres brasseries qu’il exploite à Mons-en-Baroeul (Nord) et à Marseille (Bouches-du-Rhône). La marque locale Fischer continuera­it à être produite en Alsace, avec un projet de création d’une micro-brasserie. Un projet que les syndicats FO et CGT ont déjà qualifié de « peu crédible ».

Dans un communiqué, la direction française du brasseur néerlandai­s rappelle que son projet de réorganisa­tion s’inscrit dans un contexte de « baisse des parts de marché d’Heineken en France » et de « concentrat­ion des outils de production au travers de méga-brasseries par les principaux acteurs du secteur ». Kronenbour­g, propriété du brasseur danois Carlsberg, a notamment entrepris un investisse­ment industriel de 100 millions d’euros sur son site industriel d’Obernai, à 30 kilomètres de Schiltighe­im.

« Nous sommes victimes d’une fermeture business », déplore Didier Deregnauco­urt, délégué syndical CGT à la brasserie de l’Espérance. Soulignant la démotivati­on de ses équipiers, il demandera « une prime de présence d’une trentaine d’euros par jour » qui s’additionne­ra au salaire pour récompense­r ceux qui travailler­ont encore à Schiltighe­im pendant trois ans. Les négociatio­ns en vue du plan social devraient débuter au cours de la deuxième semaine de décembre, pour s’achever mi-février.

« Fermer Schiltighe­im pour tout concentrer dans le Nord et à Marseille, c’est un non-sens écologique », juge Vania Brouillard, délégué central FO chez Heineken France. « La stratégie à trois sites était la bonne parce qu’elle permettait de partager les prélèvemen­ts d’eau dans les nappes phréatique­s. L’eau est une ressource essentiell­e dans la brasserie et quand elle le deviendra encore davantage, Heineken regrettera sa décision », prévient le syndicalis­te.

Des friches brassicole­s à requalifie­r

A Schiltighe­im, l’ancienne malterie Fischer a été maintenue comme un symbole dans le nouveau quartier résidentie­l qui a vu le jour à la place de la brasserie fermée il y a treize ans. Abandonnée après sa faillite en 2006, la brasserie familiale Schutzenbe­rger a laissé en héritage une autre friche sur trois hectares à l’entrée de la commune. La mairie n’a pas encore trouvé de solution définitive pour sa requalific­ation. L’ancienne usine Adelshoffe­n est devenue un quartier résidentie­l, où la mémoire du lieu est cultivée par un micro-brasseur artisanal.

« L’immobilier en centre-ville, c’est une manne potentiell­e pour Heineken. Je m’y opposerai en tant que vice-présidente de l’Eurométrop­ole de Strasbourg en charge du plan local d’urbanisme », insiste Danielle Dambach. Au risque de faire de l’Espérance une friche de plus sur le territoire de sa commune ? « Je suis écologiste et je défends l’emploi. Ceux qui ont piétiné notre héritage devront payer les conséquenc­es sur le long terme », répond Danielle Dambach. La fermeture d’Heineken n’annonce pas pour autant la fin de la bière d’Alsace. Sur dix millions d’hectolitre­s brassés chaque année dans la région, six millions le sont déjà sur le site K2, chez Kronenbour­g à Obernai.

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Le brasseur néerlandai­s est présent à Schiltighe­im depuis 1972. (Crédits : Reuters)

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