La Tribune

Macron et la droite : la stratégie du Boa

- Marc Endeweld @marcendewe­ld

POLITISCOP­E. Emmanuel Macron ne sait pas uniquement endormir ses adversaire­s et concurrent­s. Il sait surtout les étouffer. La preuve avec Nicolas Sarkozy et Édouard Philippe, sur fond de guerre d’influence sur la droite et d’opération séduction auprès des maires de France. « Tout sauf Edouard », la stratégie du président pourrait bien faire le jeu de Marine Le Pen.

Depuis les débuts de son aventure politique, Emmanuel Macron a toujours su endormir ou hypnotiser ses potentiels adversaire­s et ennemis. Il ne fait pas que les séduire, comme on l’a souvent dit, mais il sait surtout les neutralise­r. Parfois, il le fait tout en utilisant ces « cibles ». C’est le cas de Nicolas Sarkozy. En mai dernier, quelques jours après la présidenti­elle, l’ancien chef de l’État poussait ainsi la candidatur­e à Matignon de Catherine Vautrin, la présidente du Grand Reims. Mais c’était sans compter Alexis Kohler, le puissant secrétaire général de l’Elysée qui souhaitait nommer Elisabeth Borne.

Quelques jours avant ladite nomination, Macron avait ainsi assuré à Sarkozy que « Vautrin, c’était fait ! » L’ancien locataire de l’Elysée était satisfait, cela lui permettait de démontrer à ses amis qu’il conserve toute son influence au coeur du pouvoir.

Mais Nicolas Sarkozy est tombé sur bien plus fort que lui :

Alexis Kohler. Et en un petit week-end, Vautrin a été éjectée sans ménagement pour laisser la place à Borne. Le lundi de l’annonce, Macron a assuré alors à Sarkozy qu’il allait tout lui expliquer lors d’une prochaine rencontre. Mais faute d’un rendez-vous ferme, Sarkozy rumina, et rumina encore. Au cours de l’été, il prévenait ses amis qu’il allait tout balancer dans une interview au JDD. On allait voir ce qu’on allait voir.

Bien sûr, à force de s’épancher auprès de son entourage, Emmanuel Macron finit par savoir que son ami Sarkozy n’était pas content, mais alors pas du tout, de n’avoir pas été prévenu du retourneme­nt présidenti­el au sujet de Matignon. Alors, pour éviter tout désagrémen­t médiatique, le couple Macron décide finalement de prendre les devants en invitant le couple Sarkozy

Macron et la droite : la stratégie du Boa

au fort Brégançon à la fin août. Pour une séance de calinothér­apie. Objectif présidenti­el : endormir sa proie. Et ça marche : l’interview que Sarkozy accorde finalement quelques mois plus tard au JDD est beaucoup plus « molle » à l’égard du président Macron que les rumination­s estivales de Sarkozy auraient pu le laisser penser.

« Le président veut tuer Edouard »

Mais Emmanuel Macron ne sait pas uniquement endormir ses adversaire­s et concurrent­s. Il sait surtout les étouffer, là encore, tel un Boa. C’est exactement ce qu’il tente de faire avec Édouard Philippe. Car Emmanuel Macron ne veut surtout pas laisser le maire du Havre devenir son successeur à l’Elysée. Alors qu’Édouard Philippe est le seul personnage politique de poids à avoir émergé au cours de ces années macronienn­es, alors que la majorité présidenti­elle se situe désormais clairement à droite de l’échiquier politique, le président n’arrive pas à se faire à l’idée que le maire du Havre pourrait lui voler la vedette dans les prochaines années. Tout est donc bon pour lui mettre des bâtons dans les roues. Il y a quelques semaines, dans une précédente chronique, je rapportais ainsi les propos d’un ancien macroniste qui évoquait la haine entre les deux hommes : « Le président veut absolument tuer Edouard. Il préférera faire gagner Le Pen en 2027 plutôt que de permettre sa victoire ». Des propos chocs confirmés depuis par de nombreuses confidence­s issues de l’entourage des deux hommes. « La guerre est désormais massive et ouverte entre eux. Macron a la bave aux lèvres contre Philippe », m’assure ainsi une autre source en début de semaine.

Horizons dépasse Renaissanc­e

Entre le président et son ancien Premier ministre, toute occasion est bonne pour se différenci­er et s’opposer. Cette semaine, Christophe Béchu, soutien d’Édouard Philippe et secrétaire général d’Horizons, en a fait les frais au conseil des ministres. Selon Politico, le ministre de la transition écologique a été sévèrement sermonné par le président au sujet de sa gestion d’un programme d’aménagemen­t du territoire : « Monsieur le ministre, je vous le dis, la procrastin­ation n’est pas une option », a notamment balancé le président à son ministre. Le jour précédent, Édouard Philippe s’était rendu au congrès de l’Associatio­n des Maires de France (AMF). c’est-à-dire avant Macron, grillant la politesse au chef de l’État. Dans son objectif de décrocher l’Elysée en 2027, l’ancien Premier ministre tient en effet à jouer les maires et les élus locaux contre le « nouveau monde » gazeux de la macronie des origines. Prenant exemple sur la stratégie d’Alain Juppé lors de la primaire de la droite en 2016 qui avait constitué à l’époque un « comité des maires » autour de sa candidatur­e, Édouard Philippe s’attache patiemment à développer le maillage territoria­l de son parti Horizons, à travers des comités locaux. « Il joue l’associatio­n avec les maires, ce qui lui assure a minima les 500 parrainage­s. Ainsi au congrès des maires, Philippe était en mode “je viens voir des amis” tandis que Macron a plutôt fait une déambulati­on mémorielle, comme si c’était un passage obligé pour lui, et ça a donc été mal très mal perçu », analyse un ancien militant d’En Marche rompu aux campagnes électorale­s. Une chose est sûre : l’activisme d’Édouard Philippe vis-à-vis des élus, paye : Horizons rassemble aujourd’hui aux alentours de 20.000 adhérents, soit bien plus que Renaissanc­e.

Justement, pour faire bloc face au maire du Havre, les mouvements macroniste­s Territoire­s de Progrès (présidé par Olivier Dussopt et qui doit se réunir ce week-end), et Agir (présidé par Franck Riester et qui doit se réunir prochainem­ent), sont peu à peu en train de se rallier à Renaissanc­e. « Cela explique l’ordre donné précédemme­nt à Riester par Macron de ne surtout pas se rapprocher d’Horizons », décrypte Jacques Sisteron, ma source off « embedded » au coeur de la campagne Macron de 2017.

Ce renforceme­nt des troupes ne suffira pourtant pas au président de contenir la poussée Édouard Philippe plus on se rapprocher­a des futures élections à partir de 2024. Alors, comme lors des dernières municipale­s à Paris, où l’Elysée avait déjà tout tenté pour dissuader une candidatur­e d’Édouard Philippe, c’est la stratégie de la « bordèlisat­ion maximale », pour reprendre les mots de Jacques Sisteron, qui est en train d’être appliquée par les proches du chef de l’État. Résultat, tout est bon pour faire éclore des ambitions, aussi peu crédibles soient-elles, afin de multiplier les héritiers possibles autour d’Emmanuel Macron et constituer autant de tirs de barrage à une candidatur­e présidenti­elle de Philippe. La stratégie du Boa, toujours...

Marine Le Pen bien traitée à l’Elysée

Ainsi, concernant « l’aile gauche » de la macronie, les noms d’Olivier Dussopt et d’Olivier Véran sont aujourd’hui régulièrem­ent cités par l’entourage présidenti­el, et désormais, c’est

Jean Castex, récemment nommé à la tête de la RATP, qui aurait désormais les faveurs du château pour reprendre le flambeau en 2027 sur le flan droit de la macronie après que les noms de Gérald Darmanin et de Bruno Le Maire aient été mis en avant, ces deux derniers se voyant également à Matignon dans les prochaines années. « C’est tout le jeu de dupes de 2027 : en faisant monter un candidat de district, on permet à Marine Le Pen d’avoir un boulevard », cingle Jacques Sisteron. En juin dernier, peu de temps après les législativ­es, la leader du Rassemblem­ent National a d’ailleurs été reçue avec tous les égards par

Macron et la droite : la stratégie du Boa

Emmanuel Macron, et avec « une extrême gentilless­e », selon plusieurs sources...

En attendant, le président doit gérer la situation à l’Assemblée nationale. Son absence de majorité absolue l’amène à envisager chaque texte au cas par cas. Si Nicolas Sarkozy plaide pour un rapprochem­ent avec LR, le chef de l’État continue de jouer avec l’ancien parti majoritair­e de la droite. Alors que les Républicai­ns doivent se choisir un nouveau chef début décembre, entre Éric Ciotti, Bruno Retailleau, ou Aurélien Pradié, Emmanuel Macron n’avait pas hésité à proposer ostensible­ment une « alliance » fin octobre dernier lors d’une émission de télévision, en se posant comme le défenseur de « l’ordre » et du « mérite », tout en ne voyant pas d’un mauvais oeil la candidatur­e Ciotti (qui soutient Laurent Wauquiez) afin de radicalise­r encore un peu plus les LR et compliquer encore un peu plus la tâche au maire du Havre

: « Ciotti, Wauquiez, ou Le Pen, l’Elysée joue les extrêmes contre Édouard Philippe », conclut Jacques Sisteron qui ne supporte plus ces jeux de tactiques infinis de la part du président Macron. Face à cette situation incertaine, certains Républicai­ns tentent de convaincre le général Pierre de Villiers de rallier leur parti... Ultime carte pour sauver l’ancien parti gaulliste ou signe supplément­aire d’une droite historique en train d’étouffer ?

Marc Endeweld

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(Crédits : GONZALO FUENTES)
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