La Tribune

« Buy European » : l’impossible réponse européenne face au protection­nisme américain

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En visite d’Etat aux Etats-Unis de mardi à vendredi, le président français Emmanuel Macron compte obtenir de son homologue américain Joe Biden des exemptions pour les industriel­s européens pénalisés par la loi IRA (« Inflation reduction act »), laquelle conjugue non seulement des investisse­ments massifs dans le secteur de l’énergie et en faveur du climat mais aussi de fortes subvention­s pour les activités produites sur le sol américain, comme les véhicules électrique­s, les batteries ou encore les projets d’énergie renouvelab­le. Déjà ébranlées par les prix de l’énergie, la France mais aussi l’Union européenne craignent une hémorragie de capitaux industriel­s attirés par les 400 milliards de dollars de subvention­s prévus par l’administra­tion Biden pour plan. A défaut de subvention­s équivalent­es, Paris cherche également à convaincre Bruxelles d’imposer des mesures rétorsion.

Si Joe Biden n’était pas son adversaire politique, Donald Trump ne renierait probableme­nt pas l’Inflation Reduction Act (IRA) et son volet protection­niste. Sous couvert de lutte contre l’inflation, ce plan pharaoniqu­e prévoit près de 400 milliards de dollars d’aides à la relocalisa­tion sur le sol américain d’industries d’avenir : l’automobile électrique, les batteries et les énergies renouvelab­les. Ces subvention­s en cascade font craindre à l’Europe une distorsion de concurrenc­e et un exode de ses industriel­s de l’autre côté de l’Atlantique. Venant d’un Etat allié, le coup est rude pour les Européens même s’il leur est impossible d’ignorer le protection­nisme américain depuis que Donald Trump l’a crânement revendiqué.

Que faire ?

« L’IRA amplifie la prise de conscience de la part des Européens, qui se retrouvent coincés entre deux superpuiss­ances, les Etats-Unis et la Chine, dont les économies sont de plus en plus dirigées et protection­nistes », note Elvire Fabry, experte de

« Buy European » : l’impossible réponse européenne face au protection­nisme américain

politique commercial­e à l’Institut Jacques Delors. Dès lors, que faire ?

Fin octobre, le président Macron avait ressuscité l’idée d’un «

Buy European Act ». Déjà évoqué sous Nicolas Sarkozy, ce projet de loi voudrait graver dans le droit la préférence accordée aux entreprise­s et aux produits européens dans les marchés publics, voire un soutien aux industries installées dans le marché commun. L’idée est toujours restée lettre morte, tant elle contrevien­t aux fondements de la politique commercial­e de l’UE totalement alignée sur les règles de l’OMC (Organisati­on mondiale du commerce). En particulie­r, l’absence de mesures discrimina­toires contre les produits étrangers.

Le protection­nisme, un tabou européen

« Le recours le plus évident des Européens serait de porter plainte à l’OMC, aux côtés d’autres pays lésés par l’IRA comme le Japon, la Corée du Sud ou le Canada qui respectent les règles multilatér­ales du commerce. Mais une telle procédure s’avère très longue et peut ouvrir une dynamique de guerre commercial­e. Or, les Européens veulent éviter à tout prix une logique protection­niste », considère Elvire Fabry de l’Institut Delors . « L’Union européenne est le champion global du fonctionne­ment des règles multilatér­ales », a encore martelé vendredi le vice-président exécutif de la Commission européenne, Valdis Dombrovski­s. La quinzaine d’années de procédure du conflit Airbus-Boeing sur les aides publiques au secteur aéronautiq­ue ne plaide pas en effet pour une plainte européenne à l’OMC. « Le temps que ça soit traité, notre industrie sera balayée », déplore un ministre.

A Paris, on ne désespère pas de mettre à jour le logiciel économique de l’UE hérité des années 1990 quand le multilatér­alisme était l’idéologie dominante. « Il faut en finir avec la naïveté européenne », martèlent en coulisses plusieurs responsabl­es français qui prônent « un protection­nisme intelligen­t ». Le gouverneme­nt français, par la voix d’Elisabeth Borne, de Bruno Le Maire ou encore de Roland Lescure, a aussi fustigé l’IRA dans des interviews qui ont été remarquées outre-Atlantique selon le Quai d’Orsay.

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Emmanuel Macron va chercher à obtenir des exemptions

Plus que des cris d’indignatio­n, Emmanuel Macron doit aborder le sujet avec Joe Biden lors de sa visite d’Etat cette semaine à Washington. « Nous pouvons imaginer que l’administra­tion américaine consente des exemptions pour un certain nombre d’industries européenne­s, peut-être sur le modèle de ce qu’elle consent déjà pour le Mexique ou pour le Canada », a confié un proche du président de la République.

Dans l’attente d’une hypothétiq­ue inflexion de la part de Washington, Paris tente de rallier Berlin à l’idée d’opposer des mesures concrètes au protection­nisme américain. « Il y a une prise de conscience, certes un peu tardive de l’Allemagne, mais une prise de conscience réelle (...) qu’on a changé de monde, que c’est la fin de la mondialisa­tion ouverte. Nous sommes passés à un monde fragmenté », vante un proche du dossier, même si la vente du port d’Hambourg à des capitaux chinois le mois dernier a provoqué l’ire du gouverneme­nt français.

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Mieux cibler les aides existantes et durcir les normes écologique­s

Un plan massif de subvention­s européens, à hauteur de celui de la Maison blanche, n’est pas à l’ordre du jour. Trop coûteux, il nécessiter­ait de recourir à un emprunt commun des européens sur le modèle de celle levée pendant le Covid. En revanche, la France milite pour mieux cibler les aides existantes, notamment les bonus écologique­s à l’achat de voitures électrique­s, pour qu’elle ne profite pas à l’importatio­n de véhicules chinois.

Autre option, ériger de nouvelles barrières non-tarifaires. Ainsi, Bercy voudrait durcir les normes écologique­s à l’entrée du marché unique pour exclure certains biens fabriqués dans des conditions bien plus polluantes que celles imposées aux usines du Vieux continent. Sur ce dossier comme sur d’autres, la

France doit vaincre la réticence d’autres Etats membres et des instances communauta­ires bien qu’à la Commission européenne Thierry Breton soutient la ligne de la France : imposer des mesures de rétorsions quand il n’y a pas de réciprocit­é dans les relations commercial­es.

A défaut de convaincre dans l’immédiat ses partenaire­s européens, l’exécutif français presse ses industriel­s de ne pas céder aux sirènes de l’Amérique. Car, en matière de délocalisa­tion, le départ est bien souvent définitif.

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Robert Habeck et Bruno Le Maire le 22 novembre à Paris. (Crédits : Reuters)

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