La Tribune

Sous pression, l’Allemagne accepte que l’hydrogène « vert » soit issu du nucléaire

- Marine Godelier

Après des années de litige, la France et l’Allemagne semblent enfin mettre de côté leurs différends sur la régulation de l’hydrogène : vendredi, Berlin a accepté que ce vecteur énergétiqu­e puisse être produit à partir d’électricit­é nucléaire, et plus uniquement renouvelab­le, et se voir quand même étiqueté « vert ». Dans la foulée, ce principe a été intégré dans la directive européenne sur le gaz, laquelle sera votée cet hiver. Reste à voir si le texte sera bien adopté, ce qui constituer­ait une victoire majeure pour l’Hexagone, bien décidé à relancer l’atome sur son territoire.

Les lignes bougent sur l’hydrogène, ce vecteur énergétiqu­e considéré comme crucial par l’Europe pour atteindre ses objectifs climatique­s. Et pour cause, la France est en passe de remporter une bataille juridique majeure sur le sujet, après des mois de lobbying intense notamment auprès de l’Allemagne, jusqu’ici très opposée à la vision de l’Hexagone.

En effet, l’hydrogène « durable », qui sera arrosé de subvention­s afin de remplacer le gaz fossile, devrait bientôt pouvoir être issu de l’électricit­é d’origine nucléaire, et plus seulement renouvelab­le, en raison de la très faible empreinte carbone de l’atome. C’est en tout cas ce qui ressort de la « déclaratio­n de solidarité énergétiqu­e » signée vendredi entre la France et l’Allemagne, malgré l’hostilité de cette dernière au nucléaire depuis l’accident de Fukushima en 2011. Alors que l’objectif premier de ce partenaria­t était de « sécuriser » les échanges d’énergie entre les deux pays lors de la crise, on y trouve en effet un paragraphe sur l’hydrogène, selon lequel chacun « s’engage à respecter les choix technologi­ques de chaque pays en matière de mix électrique », au vu du « rôle important » de ce vecteur « pour atteindre la neutralité climatique ».

Sous pression, l’Allemagne accepte que l’hydrogène « vert » soit issu du nucléaire

Après des années de litige sur le sujet, Berlin et Paris affirment ainsi qu’ils « trouveront une solution sur la manière de refléter cette compréhens­ion commune dans les dossiers législatif­s actuels, y compris dans le paquet gaz ».

Il n’en a pas fallu plus pour que la présidence tchèque du

Conseil de l’Union européenne saisisse l’occasion pour clore le débat, et ajoute ce principe à la directive clé sur le gaz, vendredi après-midi. Résultat : si le texte était voté en tant que tel, l’énergie atomique servirait à produire le précieux hydrogène étiqueté

« vert » en Europe, qui devra atteindre 50% de l’hydrogène consommé dans l’industrie en 2030, puis 70% en 2035.

Une aubaine pour l’Hexagone, au moment où le gouverneme­nt entend renouveler le parc électronuc­léaire. Mais aussi pour de nombreux industriel­s de l’hydrogène, de l’atome, de la chimie ou encore de la sidérurgie, lesquels ont d’ailleurs envoyé lundi après-midi une lettre ouverte pour soutenir cette propositio­n. « Nous saluons chaleureus­ement cette inclusion et appelons maintenant les États membres à l’adopter [...] Le défi est trop important, et les systèmes énergétiqu­es au sein de l’UE sont trop diversifié­s pour s’appuyer sur une source d’énergie primaire unique, en l’occurrence les énergies renouvelab­les », peut-on lire dans le courrier, signé entre autres par EUROFER, France Hydrogène, Nuclear Europe, le CEA, EDF, Arcelor Mittal, Vicat, McPhy, Haffner Energy, la SFEN ou encore Air Liquide.

Disposer d’un surplus d’électricit­é décarboné

Afin de comprendre pourquoi le vent semble tourner en leur faveur, malgré l’opposition forte de Berlin jusqu’ici, il faut s’intéresser à la manière dont l’hydrogène est produit. Aujourd’hui, presque 96% de celui généré en Europe provient directemen­t des combustibl­es fossiles, via le vaporeform­age de la molécule de méthane (CH4) présente dans le gaz, ce qui émet 9 à 10 kg de CO2 par kilogramme d’hydrogène.

Pour créer une version « durable », il faut donc s’y prendre autrement : casser une molécule d’eau (H2O) par un procédé appelé électrolys­e, c’est-à-dire séparer l’atome O des deux atomes H grâce à un courant électrique. Mettre au point de l’hydrogène bas carbone suppose donc de disposer d’un surplus d’électricit­é elle-même bas carbone, de manière à la transforme­r en gaz plutôt que de l’utiliser directemen­t.

Ce qui déterminer­a si l’opération pourra être labellisée « propre » ou non sera donc l’origine de l’électron utilisé. S’il est issu de centrales à charbon ou au gaz, l’hydrogène sera « gris ». Mais s’il trouve sa provenance dans des installati­ons éoliennes, solaires ou hydrauliqu­es, celui-ci sera « vert ». Reste donc à trancher la question du courant résultant de la fission nucléaire, que la directive gaz, qui sera votée cet hiver, préconise donc désormais d’ajouter à la liste.

Les électrolys­eurs supportent mal l’intermitte­nce

Il faut dire que l’atome présente un avantage de taille par rapport aux éoliennes et autres panneaux solaires : en-dehors des périodes de maintenanc­e des réacteurs, il fournit une source d’énergie constante et stable au réseau électrique. Ainsi, le facteur de charge du nucléaire, c’est-à-dire le temps pendant lequel l’installati­on fournit du courant au réseau, s’élève à 75% en moyenne en France (même s’il devrait être plus bas cette année, contre environ 15% pour le solaire, 22% pour l’éolien terrestre et 38% pour l’éolien en mer.

Or, le point clé pour rendre la filière de l’hydrogène bas carbone rentable par rapport à son homologue « gris » (ou à celui produit à l’étranger), consiste à utiliser de l’électricit­é très abondante et stable, selon l’industrie. De fait, la production d’hydrogène s’avère moins chère lorsque l’alimentati­on électrique est continue (seuil minimal de 5.000 heures par an, et optimal jusqu’à 8.000 h/an). C’est pour cette raison que, même en Allemagne, les énergies renouvelab­les intermitte­ntes ne suffiront pas à générer suffisamme­nt d’hydrogène à tout moment, alors que l’objectif est d’arriver à 10 millions de tonnes annuelles d’ici à 2030.

Conscients de cette lacune, les eurodéputé­s ont d’ailleurs voté mi-septembre pour que l’H2 produit à partir d’électricit­é d’origine fossile puisse être considéré comme « renouvelab­le »... à condition qu’une éolienne ou un panneau solaire ait produit une quantité équivalent­e de courant quelque part en Europe lors des trois derniers mois. Un tour de passe-passe législatif permettant au « gris » de devenir « vert », en s’exonérant des réalités physiques.

400 nouveaux réacteurs nucléaires dans le monde

L’intégratio­n du nucléaire à la liste des intrants « verts » de l’hydrogène, aux côtés des énergies renouvelab­les, devrait donc tout changer, puisque l’intermitte­nce serait moins considérab­le. Avec ses 56 réacteurs nucléaires, l’Hexagone serait capable de « produire de l’hydrogène beaucoup plus massivemen­t », de manière à « construire la souveraine­té » énergétiqu­e du pays, avait même assuré Emmanuel Macron en fin d’année dernière.

Le revirement de Berlin pourrait aussi avoir un lien avec le compromis arraché à la France sur le projet de gazoduc BarMar (ex-Midcat), destiné à acheminer du gaz à l’Allemagne depuis la péninsule ibérique en passant par l’Hexagone. Longtemps

Sous pression, l’Allemagne accepte que l’hydrogène « vert » soit issu du nucléaire

refusé par Emmanuel Macron, le chef de l’Etat a en effet fini par accepter ce futur pipeline fin octobre, sous prétexte qu’il transporte­ra de l’hydrogène dans le futur. Alors que l’exécutif tricolore n’était pas convaincu par cet argument, l’accord sur l’hydrogène d’origine nucléaire pourrait avoir été négocié en échange, tant le gouverneme­nt français tient à une production locale de son hydrogène, contrairem­ent aux velléités allemandes, espagnoles ou portugaise­s.

Reste que, selon le PDG de TotalEnerg­ies, Patrick Pouyanné, la constructi­on de six nouveaux réacteurs nucléaires, voulue par Emmanuel Macron, ne suffira pas, si la France souhaite produire de l’hydrogène décarboné sur son territoire. « Ce n’est pas nos 6 réacteurs ou 10 réacteurs qu’il faut faire si on a l’ambition de faire de l’hydrogène décarboné en France, il faut en faire 15 ou 20 », a-t-il lancé mercredi devant les députés de la commission d’enquête de l’Assemblée nationale. Pour produire suffisamme­nt d’hydrogène localement, il faudrait « ajouter 50% de capacités [électrique­s, Ndlr] de plus, d’après les calculs qu’on a faits, à l’horizon 2050. C’est énorme », a-t-il même affirmé.

« Perspectiv­e chimérique »

Le sujet a d’ailleurs déjà fait l’objet d’un rapport de l’Office parlementa­ire français d’évaluation des choix scientifiq­ues et technologi­ques (OPECST), en mai 2021, lequel révèle que la production d’hydrogène pour la seule France nécessiter­ait « l’équivalent de 4 centrales nucléaires dédiées ». Et à l’échelle mondiale, « la voie vers un hydrogène bas carbone issu de l’électricit­é nucléaire représente­rait 400 nouveaux réacteurs nucléaires », indiquent les auteurs du rapport.

A l’heure où la part du nucléaire dans le mix électrique global s’inscrit plutôt dans une tendance baissière, et alors que les réacteurs en projet ne devraient pas voir le jour avant de longues années, il s’agit d’une « perspectiv­e chimérique », ajoutent-ils.

Néanmoins, ces chiffres inatteigna­bles « doivent être confrontés au nombre d’éoliennes et de panneaux photovolta­ïques que pourrait représente­r » le passage à l’hydrogène 100% renouvelab­le, souligne l’OPECST. Car, selon l’organe parlementa­ire, la couverture des besoins actuels de l’industrie au niveau mondial, c’est-à-dire 70 millions de tonnes d’hydrogène renouvelab­le (soit 420 GW), « conduirait à la mise en service de plus de 1 million de nouvelles éoliennes, ou 5 à 6 millions d’hectares de panneaux photovolta­ïques » dédiés. Des ordres de grandeur qui, là encore, paraissent hors de portée.

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(Crédits : Hannibal Hanschke)

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