La Tribune

G20, sommet de la rivalité sinoaméric­aine ?

- Emmanuel Véron

OPINION. Si le récent G20 de Bali a été l’occasion de la première rencontre entre Xi Jinping et Joe Biden, il a aussi vu l’affirmatio­n de plusieurs autres acteurs. Par Emmanuel Véron, Institut national des langues et civilisati­ons orientales (Inalco)

Réuni à Bali les 14-16 novembre derniers, le sommet du G20 s’est déroulé sous le double signe de la guerre en Ukraine et du face-à-face sino-américain.

Tenu en l’absence de Vladimir Poutine, officielle­ment pour une question d’agenda trop chargé, mais en présence de Xi Jinping, peu après le XX Congrès du Parti communiste chinois où il a encore renforcé son emprise sur son pays, et de Joe Biden, quelques jours après des midterms moins négatives que prévu pour le Parti démocrate, ce sommet très attendu aura été un concentré des dynamiques internatio­nales en cours sur la planète.

Le G20, un sommet des puissants

Le G20, cénacle où les États les plus puissants du système internatio­nal se retrouvent annuelleme­nt, est souvent décrit comme une rencontre « en vain », tant le multilatér­alisme est aujourd’hui en difficulté.

Pour autant, ce moment est l’occasion pour les dirigeants d’organiser des réunions bilatérale­s importante­s tout en participan­t pleinement au cadre multilatér­al et d’affirmer leurs positions sur les grandes questions internatio­nales (sécurité, changement climatique, migrations, économie et finance ou encore développem­ent).

Ce forum internatio­nal regroupe dix-neuf États et l’Union européenne. Les chefs d’État et de gouverneme­nt, mais aussi les présidents des banques centrales et les ministres des Finances en composent l’agenda.

Il semble important de rappeler ce que représente le G20. Les pays membres pèsent 80 à 85 % du PIB mondial, 75 % du commerce internatio­nal et 60 % de la population de la planète. La

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majeure partie des problémati­ques internatio­nales y sont donc abordées, et des décisions majeures peuvent y être prises.

L’édition de 2022 aura toutefois été dominée, plus que jamais, par le tête-à-tête entre les deux plus grandes puissances actuelles, la guerre en Ukraine et le ralentisse­ment économique mondial.

Rencontre Xi-Biden : un G2 à l’intérieur du G20 ?

En amont du sommet, Joe Biden et Xi Jinping se sont rencontrés pendant trois heures.

Ce déplacemen­t a été la deuxième visite hors de Chine de Xi Jinping depuis le début de l’épidémie de Covid-19, après sa participat­ion au sommet de l’OCS en septembre (Ouzbékista­n) et la visite d’État au Kazakhstan qu’il a effectuée dans la foulée.

Au lendemain du 20e Congrès du PCC, qui a entériné dans la durée le pouvoir de Xi en Chine, malgré des difficulté­s tous azimuts (ralentisse­ment économique fort, chômage, dettes, vieillisse­ment, etc.), le sommet a été l’occasion pour Pékin d’affirmer l’étendue de son influence dans son environnem­ent régional et d’y disputer le leadership américain - et cela, d’autant plus qu’il a eu lieu en Asie.

L’entrevue Biden-Xi aura probableme­nt été le principal enjeu internatio­nal de ce sommet. Jamais encore Joe Biden n’avait rencontré Xi Jinping depuis son accession à la présidence des États-Unis début 2021. Les deux hommes ont affiché une forme de décontract­ion, malgré les tensions, et assuré avoir abordé toutes les grandes questions structuran­t les relations internatio­nales et la relation bilatérale : péninsule coréenne et sécurité, Taïwan, Xinjiang, droits de l’homme, questions commercial­es et technologi­ques ou encore la cybersécur­ité.

Voilà déjà des années que certains observateu­rs évoquent un monde régi par un « G2 », les États-Unis et la Chine sa partageant en quelque sorte le contrôle des affaires internatio­nales. La réalité, plus nuancée, montre que si ces deux acteurs se trouvent bien au coeur des équilibres du monde, on constate également une affirmatio­n des émergents d’une part et l’impact majeur des réalités géoéconomi­ques d’autre part.

L’Indonésie, l’Inde, une partie du Moyen-Orient et d’autres pays encore profitent des sommets du G20 pour faire entendre leur voix, favorisant une désocciden­talisation progressiv­e des affaires internatio­nales. Ces « Tiers-Voix » évitent de choisir de façon définitive entre Pékin et Washington (avec difficulté), et s’efforcent de jouer leur propre partition.

Dans le même temps, les évolutions géoéconomi­ques structuren­t les choix tactiques et stratégiqu­es de l’ensemble des États et des autres acteurs du système internatio­nal. Les tendances des marchés européen, nord-est asiatique (Japon, Corée du Sud et Taïwan) et nord-américain donnent vie à un ensemble multipolai­re hétérogène.

Le sommet du G20 marque aussi une inflexion du triomphali­sme chinois des réunions précédente­s, inflexion due aux difficulté­s du grand projet des Nouvelles routes de la soie. La fameuse « Belt and Road Initiative » (BRI) est progressiv­ement délaissée par le Parti au bénéfice d’une nouvelle stratégie dite « GDI - Global Developmen­t Initiative »

●●aveu de faiblesse ou marque de l’échec du projet BRI dix ans après son lancement et la projection d’une « Chine première puissance mondiale en 2049 »...

De l’autre côté, le concept d’Indopacifi­que partagé par un nombre croissant d’États régionaux et extrarégio­naux tend à s’affirmer et à se consolider sur des sujets aussi bien diplomatiq­ues que commerciau­x. Des exercices interarmes multilatér­aux (avec un tropisme naval fort) à la question de la vulnérabil­ité des milieux et de la biodiversi­té, les États asiatiques (Asie du Sud-Est, Japon, Corée du Sud, Taïwan, Inde) et occidentau­x (Australie, États-Unis, Canada, UE, etc.) donnent du lustre aux formats multilatér­aux à plusieurs échelles et dans divers domaines. Une large partie des pays de l’UE, ainsi que les États-Unis et le Japon, semblent déterminés à apporter leur soutien au développem­ent de cette immense zone, objet des attentions chinoises, lesquelles accroissen­t l’endettemen­t de pays déjà fragiles.

Un multilatér­alisme non occidental ?

La voix d’autres États est elle aussi importante dans la recomposit­ion régionale. Et notamment la voix de la France, qui participe actuelleme­nt au sommet de l’APEC. Alors que Joe Biden n’y participe pas, il y a un intérêt fort pour Paris d’y marquer sa présence en défendant sa vision dite « Indopacifi­que », basée sur le multilatér­alisme, le développem­ent, la coopératio­n et la lutte contre le réchauffem­ent climatique.

Emmanuel Macron, qui se rendra en Chine en 2023, a rencontré Xi Jinping au G20 (une première depuis 2019). Il souhaite, en particulie­r, faire évoluer la position de Pékin sur le conflit en Ukraine. Une partie des pays présents entendaien­t faire pression sur la Russie, notamment au sujet des questions de sécurité alimentair­e. Ils auraient aimé rallier la Chine à la condamnati­on de la guerre. Mais même si Xi s’est déclaré opposé à l’usage de l’arme nucléaire, il n’emploie toujours pas le terme de « guerre »

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et ne condamne pas ouvertemen­t et explicitem­ent l’action russe en Ukraine. La Chine continue d’entretenir son lien diplomatic­o-stratégiqu­e avec Moscou, contre l’ordre internatio­nal onusien.

La crise du multilatér­alisme, le vide laissé par Poutine et son affaibliss­ement diplomatiq­ue encouragen­t le déploiemen­t des volontés non occidental­es dans la région - où l’Union africaine, par exemple, souhaite gagner en visibilité), où l’Inde, la Chine et les pays du Sud-Est asiatique alternent entre concurrenc­e forte et interdépen­dance commercial­e.

Alors que la présidence du G20 revient à l’Inde pour l’année 2023 et au Brésil pour l’année suivante, la grande leçon de ce G20 est peut-être que, parallèlem­ent au duel américano-chinois, l’émergence des « Tiers-voix » non occidental­es se fait de plus en plus sentir...

Par Emmanuel Véron, Enseignant-chercheur - Ecole navale, Institut national des langues et civilisati­ons orientales (Inalco)

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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(Crédits : Reuters)

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