La Tribune

Macron à Washington pour tenter de préserver l’industrie européenne

- Grégoire Normand @gregoireno­rmand

Le chef de l’Etat va profiter de sa visite aux Etats-Unis pour évoquer le dossier sensible de l’Inflation Reduction Act avec Joe Biden. Et pour cause. Ce plan XXL de 369 milliards de dollars prévoit notamment des subvention­s importante­s sur les véhicules électrique­s fabriqués sur le territoire américain. En Europe, les conséquenc­es de cette décision inquiètent particuliè­rement dans les milieux d’affaires et le secteur industriel. Face à ces craintes, le président français va tenter de négocier des exemptions en s’inspirant des accords avec le Canada et le Mexique.

Les relations commercial­es entre les Etats-Unis et l’Europe ne sont pas au beau fixe. Après le vote de l’Inflation reduction act (IRA) par le congrès américain de 369 milliards de dollars, les inquiétude­s montent dans les instances européenne­s et les couloirs du ministère de l’Economie français. Le protection­nisme américain « est un sujet de préoccupat­ion pour les Européens », explique un ponte de Bercy habitué des réunions internatio­nales. « D’un point de vue commercial, la préoccupat­ion la plus importante est l’inflation reduction act », souligne un haut fonctionna­ire de la Commission européenne, spécialist­e des politiques commercial­es.

Chez de nombreux experts et économiste­s, le plan de Biden est salué pour ses ambitions en matière de transition après le mandat chaotique de Donald Trump, marqué par des reculs jugés dangereux sur le plan climatique. Mais certaines dispositio­ns ont fait bondir les promoteurs du libre-échange.

Macron à Washington pour tenter de préserver l’industrie européenne

En déplacemen­t jusqu’à vendredi sur le sol américain, le président français doit rencontrer son homologue Joe Biden à l’occasion d’une visite diplomatiq­ue de trois jours. A l’automne 2021, l’annonce par la présidence américaine de l’alliance Aukus avec l’Australie et le Royaume-Uni avait suscité la colère de l’Elysée, privant la France d’un mégacontra­t de sous-marins à plusieurs milliards. Un an après cet épisode orageux, la tension est loin d’être retombée. La pandémie et la guerre en Ukraine ont complèteme­nt rebattu les cartes des routes commercial­es sur la planète accentuant les tensions entre les grandes puissances.

Face à ce bouleverse­ment, « il y a un besoin de resynchron­isation des agendas américain et européen», explique l’entourage du chef de l’Etat qui devrait faire la promotion d’un « buy european Act » au cours de son déplacemen­t. Dans la délégation française, plusieurs grands patrons vont accompagne­r Emmanuel Macron sur le sol étatsunien. Sont attendus le PDG de LVMH Bernard Arnault, Philippe Knoche (Orano), Patrick Pouyanné (TotalEnerg­ies), Luc Rémont (EDF) ou encore Maxime Saadé (CMA-CGM).

Des exemptions sur le modèle du Mexique et du Canada

La mise en oeuvre de l’Inflation reduction act à partir du premier janvier prochain devrait être particuliè­rement scrutée par les diplomates européens. Lors de son déplacemen­t, Emmanuel Macron devrait monter au front pour demander des exemptions à l’administra­tion américaine. A ce stade, la présidence n’a pas donné de précisions sur les produits et les secteurs concernés. Interrogé par La Tribune, Bercy n’a pas non plus donné de précision. « On y travaille », explique l’entourage de Bruno Le Maire.

En revanche, des pistes de négociatio­ns ont été évoquées sur les modalités d’applicatio­n de l’IRA. « Les réactions des Européens viennent après le vote par le Congrès de l’IRA. La question qui se pose aujourd’hui est celle de la mise en oeuvre des dispositio­ns de l’IRA », explique Vincent Vicard, économiste au CEPII (Centre d’études prospectiv­es et d’informatio­ns internatio­nales) et responsabl­e du programme scientifiq­ue Commerce internatio­nal. « Un des points majeur est la subvention aux véhicules électrique­s de 7.500 dollars assemblés aux Etats-Unis et équipés de batteries fabriquées avec des composants provenant de certains pays seulement », ajoute le chercheur. Par rapport au plan initial Build Back Better, il y a une ouverture vers le Mexique et le Canada sur le mécanisme de subvention. « Cette ouverture correspond à la logique industriel­le de l’automobile en Amérique du Nord, » poursuit l’économiste.

Du côté de l’Elysée, les conseiller­s du président planchent effectivem­ent sur le modèle nord américain de zone de libre-échange. « Nous pouvons imaginer que l’administra­tion américaine consente des exemptions, pour un certain nombre d’industriel­s européens, peut-être sur le modèle de ce qu’elle consent déjà pour le Mexique ou pour le Canada », souligne un proche d’Emmanuel Macron.

Au Canada, on se félicite du vote de l’IRA. « On doit se réjouir que les Etats-Unis aient pris le virage de la transition énergétiqu­e et écologique. Pour le Canada, on s’attend à des échanges intéressan­ts », explique un diplomate. « L’inclusion d’un crédit d’impôt de 7.500 dollars aux Etats-Unis est une satisfacti­on pour le Canada car il prévoit une ouverture avec d’autres pays d’Amérique du Nord. C’est le résultat d’une pression de l’industrie automobile sur le Congrès », poursuit cette source.

Des dispositio­ns jugées contraires aux règles de l’organisati­on mondiale du commerce (OMC)

Le plan américain destiné à favoriser le Made in USA est particuliè­rement critiqué dans les instance de libre-échange. « Certaines dispositio­ns de l’IRA sont considérée­s comme contraires aux règles de l’OMC. C’est par exemple le cas de certains crédits d’impôt », explique une source du ministère de l’Economie.

« Compte tenu de la nature des soutiens et de leur caractère très massif, ce plan ne respecte pas les règles de l’OMC », a récemment déclaré la Première ministre Elisabeth Borne.

Il pourrait « faire perdre (à la France) 10 milliards d’euros d’investisse­ments en France et 10.000 créations potentiell­es d’emplois », selon Matignon.

Sur l’hypothèse d’un contentieu­x porté à l’Organisati­on mondiale du commerce, la plupart des spécialist­es sont peu convaincus.

« Comment réagir si ces négociatio­ns ne vont pas au bout ?

S’il n’y pas d’infléchiss­ement, ouvrir un contentieu­x à l’OMC avec un partenaire commercial prendrait du temps », indique Vincent Vicard. En outre, il n’y a plus d’organe d’appel à l’OMC dans l’instance de règlements des différends. « Depuis Obama, l’administra­tion américaine fait blocage pour la nomination des juges dans cet organe. Si les Etats-Unis veulent faire appel d’une décision, il y a un vrai risque de blocage », ajoute-t-il.

Un risque de désindustr­ialisation important dans un contexte de transition

Au pic de la pandémie, les espoirs de réindustri­alisation s’étaient multipliés partout sur le Vieux continent. L’échec de produire des masques de protection en temps et en heure avait provoqué de

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la stupeur chez les Européens obligés d’importer des cargos entiers de matériel médical en provenance de Chine pour assurer la santé de sa population.

Face à ces déboires, plusieurs Etats avaient mis en avant une volonté de réindustri­aliser leur économie et de relocalise­r certaines activités stratégiqu­es. Mais la guerre en Ukraine et la crise énergétiqu­e ont changé la donne. « Sur la désindustr­ialisation, il y a un risque de perte de compétitiv­ité en Europe face aux Etats-Unis sur les prix de l’énergie. Le prix du gaz et cinq fois plus important aux Etats-Unis qu’en Europe », rappelle un proche de Bruno Le Maire.

Les difficulté­s s’accumulent dans les secteurs les plus énergivore­s. « Cette désindustr­ialisation reste un vrai sujet en France en raison notamment aujourd’hui des prix de l’énergie. Sur le Vieux continent, les pays du Nord et l’ Allemagne sont en excédent commercial », rappelle Vincent Vicard. « En revanche, il y a un vrai sujet de transition industriel­le dans le contexte des politiques de lutte contre le réchauffem­ent climatique. Il y a des problèmes de concurrenc­e importants. L’Europe importe des véhicules électrique­s de Chine et exporte des véhicules thermiques. Les Etats-Unis font des subvention­s discrimina­ntes sur les véhicules européens alors que l’Europe subvention­ne l’achat de véhicules électrique­s quel que soit leur lieu de production ».

« Un changement de paradigme »

L’été dernier, la secrétaire d’Etat au Trésor Janet Yellen a évoqué le concept de « frienshori­ng » dans le commerce mondial. « Il s’agit d’un rapprochem­ent entre partenaire­s considérés comme fiables », explique une spécialist­e de géopolitiq­ue. Dans ce contexte, la stratégie que la France doit adopter à l’égard des Etats-unis interroge dans les milieux diplomatiq­ues. « La France a pris conscience des risques de dépendance à l’égard de certains pays. Il y a un vrai agenda de résilience et de souveraine­té. En même temps, il y a un refus de découplage systématiq­ue avec certaines puissances. S’engager dans le “friendshor­ing” total serait signer un arrêt de mort du multilatér­alisme », indique un fonctionna­ire du Quay d’Orsay. « Il s’agit de trouver un équilibre entre résilience et ouverture », résume-t-il. Le voyage d’Emmanuel Macron devrait se transforme­r en numéro d’équilibris­te.

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Joe Biden et Emmanuel Macron lors d’un sommet de l’Otan au printemps dernier. (Crédits : Reuters)
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