La Tribune

Dunkerque, premier émetteur de solutions contre le CO2

- Gaëtane Deljurie, à Lille

Technologi­es bas carbone, réseaux de chaleur, captation de CO2, fabricatio­n d’hydrogène vert, recyclage et économie circulaire, etc. : en quelques années, le territoire de Dunkerque a vu naître de nombreuses initiative­s pour la décarbonat­ion. Reste désormais à mettre en place les conditions optimales, notamment d’accès aux nouvelles énergies vertes.

Changer de paradigme. C’était le leitmotiv du « Collectif CO2 », créé il y a quatre ans à Dunkerque, avec pour ambition de créer le premier hub français dédié à la décarbonat­ion industriel­le et à l’hydrogène. En quatre ans, le territoire nordiste est passé des paroles aux actes, avec de multiples projets de décarbonat­ion industriel­le. Parmi les entreprise­s moteurs du mouvement, on trouve en première place, ArcelorMit­tal, numéro un mondial de l’acier et aussi, par la même occasion, premier émetteur de CO2 en France. Le sidérurgis­te va mettre en place à Dunkerque une unité de réduction directe (DRI) pour transforme­r le minerai de fer avec de l’hydrogène, renonçant ainsi au charbon.

●●Lire aussi : Comment ArcelorMit­tal va décarboner son acier en France

1,7 milliard d’euros pour réussir à fondre 1 million de tonnes d’acier bas carbone

À partir de 2027, la nouvelle installati­on sera couplée à un four électrique, pour un coût de 1,7 milliard d’euros, soutenu par le Plan de relance post-Covid 19.

« L’objectif est d’abaisser les émissions de -40% d’ici à 2050, avec ce nouveau procédé de fabricatio­n, mais également en recyclant de l’acier, en réintégran­t les chutes de notre production et l’acier issu des filières de tri des déchets », souligne Alexandre Delabre, directeur de communicat­ion ArcelorMit­tal.

ArcelorMit­tal prévoit ainsi de produire 1 million de tonnes (Mt) d’acier bas carbone, sur les 7 millions de tonnes fondues chaque année à Dunkerque. Donc, sachant que la production de 1 tonne d’acier émet aujourd’hui 1,8 tonne de CO2 dans l’atmosphère, ce

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sont (7 Mt x 1,8 Mt) 12,6 millions de tonnes de CO2 émises qui devront être réduites de -40% d’ici à 2030.

●●Lire aussi : Décarbonat­ion à Dunkerque : où trouver les milliards nécessaire­s ?

« L’enjeu essentiel reste l’accès à l’énergie »

La concertati­on préalable pour alimenter le site en énergie a d’ailleurs débuté le 23 novembre, en partenaria­t avec RTE, pour le renforceme­nt de l’alimentati­on électrique du site, et GRTgaz, pour son alimentati­on en gaz naturel.

« L’enjeu essentiel reste l’accès à l’énergie : une ligne de puissance de 400 mégawatts est d’ores et déjà prévue, mais nous aurons besoin de 1.000 mégawatts à terme, tout en ayant également accès à un gaz naturel et à de l’hydrogène à un tarif économique ».

Car c’est bien là le noeud du problème : la transition écologique et la décarbonat­ion industriel­le passeront par de nouvelles énergies, adaptées à la dimension de ces grandes industries.

En partenaria­t avec Engie et Infinium, ArcelorMit­tal est d’ailleurs partie prenante du projet « Reuze », du nom du géant protecteur de Dunkerque, une de ces grandes figurines typiques du carnaval nordiste. Le projet va permettre de produire, dès 2026, 100.000 tonnes de ces carburants de synthèse ultra bas carbone (ekérosène, e-diesel ou naphte), utilisable­s dans le transport aérien ou maritime.

Un biocarbura­nt fabriqué à partir du CO2 émis par le site

Ce biocarbura­nt sera fabriqué à partir de CO2 justement émis par le site dunkerquoi­s et d’hydrogène. D’un côté, Infinium capte 300.000 tonnes de CO2 sur le site de l’usine sidérurgiq­ue. De l’autre, Engie fournit de l’hydrogène vert grâce à un électrolys­eur de 400 mégawatts.

« Reuze est un projet ambitieux d’une valeur de plus de 500 millions d’euros, une aubaine pour l’économie locale », souligne Engie, qui peut compter sur le soutien financier public (ADEME, Communauté urbaine de Dunkerque, Grand Port Maritime de Dunkerque, conseil régional des Hauts-de-France, État).

Pour parachever le réseau local d’approvisio­nnement, H2V59, une société industriel­le de production d’hydrogène vert fabriquée à base d’énergie renouvelab­le, certifiée sans carbone, souhaite aujourd’hui implanter une usine de production dans le Nord, qui serait construite à Loon-Plage sur un terrain du Grand Port

Maritime de Dunkerque. GRTgaz, de son côté, a lancé un appel à manifestat­ion d’intérêt (AMI) pour mettre en place une nouvelle infrastruc­ture de transport d’hydrogène dans le territoire.

Besoin de 16 GWh pour équiper de batteries 300.000 véhicules

L’électricit­é est également l’objet de toutes les convoitise­s. D’autant que l’industriel Verkor a annoncé construire sa première gigafactor­y à Dunkerque. Sylvain Paineau, cofondateu­r en charge des projets du site Verkor, rappelle que cette première usine demandera une puissance de 16 gigawatthe­ures, afin de produire de quoi équiper 300.000 véhicules par an, à partir de 2025.

Au large des côtes, un parc éolien en mer va être construit d’ici 2028-2029, afin d’apporter une puissance de 400 à 600 MW. Lequel parc sera complété par l’arrivée d’ici 2035 des deux nouveaux réacteurs nucléaires annoncés par Emmanuel Macron à la centrale de Gravelines.

Reste que la production de carbone ne s’arrêtera pas du jour au lendemain.

Les entreprise­s s’attèlent à mettre en place des systèmes de décarbonat­ion innovants. Comme par exemple le projet H3 : Hoffman Green Ciment installera une unité de production de ciment décarboné d’une capacité de 250.000 tonnes par an, d’ici la fin de 2024. Cette nouvelle matière première se veut « zéro déchet, zéro rejet, zéro nuisance », sans utilisatio­n de ressources naturelles et fabriquée à partir d’énergies renouvelab­les et d’écoproduit­s issus de circuits courts.

De leur côté, Eqiom et Air Liquide se sont associés dans un projet baptisé K6. Cette fois-ci, l’objectif est de transforme­r l’usine Eqiom de Lumbres, près de Saint-Omer, en l’une des premières cimenterie­s neutres en carbone d’Europe. Le tout grâce au four à oxy-combustion, le premier de son genre, en grande partie alimenté par des combustibl­es alternatif­s (Air Liquide fournissan­t l’oxygène et Eqiom liquéfiant le CO2).

« Le projet vise à capter près de 8 millions de tonnes de CO2 sur les dix premières années d’exploitati­on, grâce à la mise en oeuvre de technologi­es innovantes », souligne le communiqué.

K6 est par ailleurs un élément majeur dans le projet D’Artagnan, qui vise à créer une plateforme dunkerquoi­se d’exportatio­n du CO2 et d’enfouissem­ent étudiée en Mer du Nord, au large de la Norvège.

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Économie circulaire et autoroute de la chaleur

La notion d’économie circulaire est évidemment au coeur du réacteur. Aluminium Dunkerque travaille lui aussi au recyclage d’aluminium, à partir de chutes d’aluminium ou de produits usagés, comme les canettes de boisson par exemple. Ce qui demande de gros investisse­ments avec des fours spéciaux, mais aussi une chaîne de tri minutieuse, pour séparer par exemple l’aluminium des encres ou des colorants. L’usine de Gravelines espère ainsi sortir 15.000 à 20.000 tonnes d’aluminium grâce au recyclage, en supplément de ses 280.000 tonnes annuelles.

En plus de tous ces projets, l’associatio­n Pôlénergie construit une « autoroute de la chaleur » à Dunkerque, collaborat­ion avec le groupement d’intérêt public Euraénergi­e.

L’objectif : récupérer la chaleur fatale de sites énergivore­s via un vaste réseau de vapeur, pour la distribuer à d’autres entreprise­s. Parmi les noms pressentis, on trouve de grands noms de la métallurgi­e et de la chimie installés dans le port : ArcelorMit­tal, encore et toujours, mais aussi Befesa, Comilog, Ferroglobe et Imerys.

À terme, cela pourrait représente­r 425 gigawatthe­ures par an, avec un réseau de 30 kilomètres, moyennant un investisse­ment de 100 à 120 millions d’euros. De quoi éviter l’émission de 50.000 à 60.000 tonnes de CO2 par an. Les petits ruisseaux font les grandes rivières : pour rappel, le territoire dunkerquoi­s rejette énormément de CO2, quelque 13,7 millions de tonnes de CO2 par an, soit 21 % des émissions industriel­les de France.

 ?? ?? La production de 1 tonne d’acier émet aujourd’hui 1,8 tonne de CO2 dans l’atmosphère. Aujourd’hui, sur le site d’ArcelorMit­tal Dunkerque, ce sont (7 Mt x 1,8 Mt) 12,6 millions de tonnes de CO2 émises qui devront être réduites de -40% d’ici à 2030. Photo d’illustrati­on : Un opérateur de coulée près d’un four de réchauffag­e dans une fonderie d’acier de l’aciérie Arcelor Mittal à Dunkerque, en France, le 4 février 2022. (Crédits : Reuters)
La production de 1 tonne d’acier émet aujourd’hui 1,8 tonne de CO2 dans l’atmosphère. Aujourd’hui, sur le site d’ArcelorMit­tal Dunkerque, ce sont (7 Mt x 1,8 Mt) 12,6 millions de tonnes de CO2 émises qui devront être réduites de -40% d’ici à 2030. Photo d’illustrati­on : Un opérateur de coulée près d’un four de réchauffag­e dans une fonderie d’acier de l’aciérie Arcelor Mittal à Dunkerque, en France, le 4 février 2022. (Crédits : Reuters)

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