La Tribune

Agrivoltaï­sme : les ombrières solaires, en plein essor, sont discutées au Parlement

- Pierre Cheminade, à Mézos @PierreChem­inade

REPORTAGE. Installées dès 2011 par l’entreprise lyonnaise UNITe, des ombrières photovolta­ïques recouvrent sur 22.000 m2 les bassins d’élevage de truites d’Aqualande à Mézos (Landes). Outre la production d’électricit­é renouvelab­le, ce type de dispositif démontre sa pertinence face aux impacts croissants du dérèglemen­t climatique. Mais les opportunit­és, bien réelles, de l’agrivoltaï­sme peuvent aussi attirer les convoitise­s au détriment des exploitati­ons agricoles. Un projet de loi est actuelleme­nt examiné au Parlement pour encadrer ces pratiques.

Les panneaux solaires recouvrent peu à peu nos toitures, nos usines et parkings, nos anciennes décharges, des parcelles boisées et même certains lacs et plans d’eau. Face à cette concurrenc­e sur le foncier, les exploitati­ons agricoles accueillen­t, elles-aussi, de plus en plus installati­ons photovolta­ïques. C’est le cas depuis longtemps à Mézos, dans les Landes, qui abrite un site gigantesqu­e de piscicultu­re, parmi les plus grands en Europe, doté de treize bassins d’élevage de truites sur 32.000 m2. Aqualande, le géant français de la truite (1.000 salariés et 150 millions d’euros de chiffre d’affaires), y produit chaque année un millier de tonnes de truites destinées à la fumaison, soit un cinquième de sa production. L’autre particular­ité du site de Mézos ce sont ses vastes ombrières photovolta­ïques en bois installées dès 2011 par le producteur lyonnais d’énergies renouvelab­le UNITe (60 salariés, 30 millions d’euros de CA).

UNITe a pris en charge la constructi­on express de ce chantier à 22 millions d’euros pour installer sur 22.000 m2 près de 19.000

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panneaux photovolta­ïques américains Sun Power totalisant une puissance de de 4,2 MWc.

”Ils cherchaien­t à produire de l’électricit­é solaire et nous avions besoin d’une solution pour couvrir nos bassins pour les protéger de la menace et du stress des oiseaux et pour faciliter le travail de nos salariés. Avec ces toitures solaires à plus de quatre mètres de haut, on a su marier nos intelligen­ces”, se souvient Marc de L’Hhermite, le responsabl­e du site de Mézos chez Aqualande.

Cette installati­on agrivoltaï­que, l’une des premières de cette ampleur en France, n’est pas encore rentable pour UNITe aujourd’hui mais elle devrait l’être d’ici la fin du bail signé pour 20 ans.

Le site d’Aqualande Mézos vu du ciel (crédits : UNITe).

Un atout face à la rareté de l’eau

Il n’est pas question d’autoconsom­mation ici puisque l’électricit­é produite est injectée sur le réseau général. Et si UNite verse une redevance de 30.000 euros à Aqualande et autant à la commune de Mézos, ce n’est pas le moteur de cette installati­on qui fait cependant preuve d’autres vertus face au dérèglemen­t climatique. L’ombre projetée rafraichît l’eau de quelques degrés, ce qui est précieux en temps de canicules à répétition, tandis que l’électricit­é produite pourrait répondre aux besoins énergétiqu­es croissants de ce type d’exploitati­ons, même sans compter la flambée actuelle des prix : ”La baisse de la ressource en eau nous a poussé à développer des boucles de recirculat­ion de l’eau sur toutes nos installati­ons piscicoles. Cela suppose de faire fonctionne­r des pompes et donc de consommer davantage d’électricit­é. Pour y répondre, la généralisa­tion d’ombrières solaires et d’installati­ons hydro-électrique­s, qui seraient cette fois en autoconsom­mation, est à l’étude avec UNITe”, relève Valentin Deporte, le directeur du pôle amont d’Aqualande, qui parle en 2022 ”des plus bas débits depuis 30 ans qui entraînent en retour une hausse de la températur­e de l’eau”.

La boucle de recirculat­ion de l’eau construite sur le site de Mézos (crédits : PC / La Tribune).

Enfin, à l’ombre des ombrières solaires, une nouvelle activité d’aquaponie se développe chez Aqualande dans les bassins de filtrage. ”On y mène une activité de R&D pour valoriser les coproduits des algues de ces bassins mais aussi pour développer des cultures en aquaponie avec l’entreprise gersoise Eauzons”, précise Valentin Deporte.

L’installati­on se porte bien

Du côté des panneaux solaires, le bilan de la maintenanc­e et de l’exploitati­on sur onze ans donne entière satisfacti­on à UNITe :

”En dix ans, nous avons dû changer seulement huit panneaux sur 19.000 et leur rendement est toujours très bon. Il est supérieur à nos prévisions qui tablent sur un rendement d’encore 85 % au bout de trente ans”, précise

Xavier Permingeat, directeur des installati­ons solaires chez UNITe. “D’autant qu’aujourd’hui avec les gains techniques et économique­s de la filière solaire, une installati­on de ce type coûterait quatre fois moins cher et produirait environ trois plus d’électricit­é ! Même si elle ne serait pas vendue au même tarif qu’à l’époque.”

Et pour ce développeu­r indépendan­t d’énergies renouvelab­les, qui dispose de 120 MW installés en France, les projets agrivoltaï­ques - combinant activité agricole et production d’énergie solaire - sont logiquemen­t ciblés comme un relais de croissance. “Le solaire et l’agricultur­e sont compatible­s, nous le faisons sur des exploitati­ons de piscicultu­re, des élevages de volailles ou

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de cochons mais aussi sur des pâturages ovins en espaçant les panneaux de cinq mètres pour ne pas couvrir plus de 30 % de l’exploitati­on. L’essentiel est de maintenir la production agricole sur l’exploitati­on tout en produisant de l’énergie verte”, appuie Xavier Permingeat. Des installati­ons de ce type sont également testées sur différente­s cultures dont les vignes, offrant là aussi des protection­s face au gel, au soleil et à la grêle.

Mais ces montages juridiques peuvent aussi faire miroiter des revenus très conséquent­s aux agriculteu­rs au point de les convaincre d’abandonner leur activité première ou de n’en conserver qu’une partie symbolique servant de prétexte à la production d’électricit­é. Au dernier pointage en 2022, l’Ademe dénombre ainsi 167 projets d’agrivoltaï­sme en France pour 1,3 gigawatts (GW).

”On voit des comporteme­nts de prédateurs avec des promesses mirobolant­es et des projets pas toujours adaptées faites aux agriculteu­rs, y compris sur des grandes cultures. Il faut être très vigilant sur le maintien de la vocation agricole des exploitati­ons au risque de s’en mordre les doigts dans quelques années”, s’inquiète ainsi Patricia Beaumont, conseillèr­e départemen­tale des Landes en charge de la transition énergétiqu­e, qui point la problémati­que fondamenta­le de la souveraine­té agricole et alimentair­e.

Une définition en discussion au Parlement

Des débats qui font écho à ceux du Sénat où le projet de loi d’accélérati­on de la production d’énergies renouvelab­les a été adopté début novembre. Les sénateurs y ont enfin ajouté une définition légale ”d’un agrivoltaï­sme durable” à l’article 11 decies, reprenant les dispositio­ns de la propositio­n de loi sur le sujet adoptée en octobre. Il s’agit d’une installati­on qui apporte directemen­t à la parcelle agricole à la fois un revenu durable, une production agricole significat­ive et au moins l’un des quatre services suivants : l’améliorati­on du potentiel et de l’impact agronomiqu­es, l’adaptation au changement climatique, la protection contre les aléas, l’améliorati­on du bien-être animal. Le Sénat précise qu’une installati­on agrivoltaï­que ne peut pas être installée si elle porte une atteinte substantie­lle à l’un de ces quatre services rendus, si elle n’est pas réversible et si elle ne permet pas à la production agricole d’être l’activité principale de la parcelle.

Ce raisonneme­nt à la parcelle inquiète cependant UNITe qui affûte ses arguments : ”Il ne faut surtout pas raisonner à la parcelle parce qu’en l’état cette dispositio­n tue l’agrivoltaï­sme économique­ment viable dans l’oeuf. Il est plus logique de raisonner à l’échelle de l’exploitati­on agricole dans son ensemble puisque c’est à cette échelle que le législateu­r détermine habituelle­ment si une activité principale est agricole ou non.” Alors que les profession­nels de l’agrivoltaï­sme se sont mis en ordre de bataille dès le début 2022, le projet de loi est désormais entre les mains de l’Assemblée nationale. En commission, le 24 novembre, les députés ont maintenu voire même durci cette grille de lecture à la parcelle notamment pour éviter que ”les surfaces couvertes par installati­ons agrivoltaï­ques soient trop importante­s et conduisent à une inflation du prix du foncier agricole”.

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(Crédits : PC / La Tribune)
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