La Tribune

Pourquoi la France doit déjà préparer ses infrastruc­tures à un réchauffem­ent de 4°C

- Marine Godelier

S’il est aujourd’hui difficile de dévoiler un « coût unique » de l’adaptation au réchauffem­ent climatique, il sera beaucoup plus cher de réagir aux conséquenc­es de ce dérèglemen­t que de les anticiper. C’est la conclusion principale de l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) dans son rapport sur le sujet, remis vendredi au ministère de la Transition écologique. Alors que l’érosion côtière menace déjà 500 communes françaises et que des milliers d’habitation­s pourraient disparaîtr­e, il appelle à prendre dès aujourd’hui des décisions structuran­tes en la matière.

Début 2023, la phrase avait marqué les esprits : alors que le climat se dérègle, il faut d’ores et déjà se préparer à « une France à +4°C d’ici à la fin du siècle » (contre +1,7°C aujourd’hui), avait prévenu le ministre de la Transition écologique, Christophe Béchu, au mois de février. Mais près d’un an plus tard, une question cruciale demeure : concrèteme­nt, combien cette adaptation coûtera-t-elle à l’Etat, aux entreprise­s et aux ménages ?

Difficile de répondre avec un chiffre « unique », répond ce vendredi l’Institut de l’économie pour le climat (I4CE) dans un nouveau rapport. Mais une chose est sûre : celle-ci coûtera bien moins cher si elle est anticipée, avec des milliards d’euros dépensés en moins chaque année dans le cas où des actions concrètes seraient déployées dès aujourd’hui.

Vers des choix politiques structuran­ts

C’est l’une des principale­s conclusion­s de son travail sur

« les coûts de l’adaptation au changement climatique » remis vendredi à Christophe Béchu, lequel prépare actuelleme­nt le troisième Plan national d’adaptation au changement climatique (PNACC-3) sur l’hypothèse, donc d’un réchauffem­ent de 4°C dans l’Hexagone en 2100. Hier, le ministre a d’ailleurs annoncé au 20 heures de TF1 la création d’un « fond d’adaptation » pour

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« financer les projets de prévention et d’adaptation dans les zones les plus à risque ».

« Il était nécessaire [...] d’objectiver les dépenses qui vont être réalisées. [...] Mais il en ressort une difficulté du chiffrage. Il y a un grand nombre de paramètres à prendre en compte [...] comme les choix structuran­ts sur le degré risque que nous acceptons collective­ment dans chaque secteur », précise-t-on dans son entourage.oui

Par exemple, lorsqu’une section de route deviendra inondable à partir d’un certain niveau de réchauffem­ent, « il sera possible d’engager d’importants travaux pour la rendre insubmersi­ble », mais également « d’organiser des fermetures temporaire­s de la circulatio­n lors d’épisodes de crue », précise I4CE ; la première option étant plus coûteuse que la seconde. Au global, de nombreuses questions restent ainsi en suspens :

« Envisager une France à +4°C en 2100 c’est ouvrir plutôt que fermer les débats sur le niveau que l’on vise et le type d’adaptation que l’on privilégie : Quel niveau de service souhaite-t-on garantir pour un certain niveau de réchauffem­ent ? Quelles formes d’adaptation souhaite-t-on privilégie­r - par exemple une adaptation à l’échelle des bâtiments individuel­s ou des transforma­tions plus concertées à l’échelle des espaces publics urbains ? », interrogen­t ainsi les auteurs.

+4,4 milliards d’euros par an pour le parc de bâtiments existants

Le rapport livre néanmoins quelques éléments de chiffrage, sur trois secteurs qui nécessiter­ont, ensemble, plusieurs milliards d’euros par an de dépenses nouvelles : les bâtiments, le transport terrestre et l’agricultur­e végétale.

Sur les bâtiments d’abord, les coûts supplément­aires pourraient atteindre « entre +1 et +2,5 milliards d’euros par an pour la constructi­on neuve et +4,4 milliards d’euros par an pour le parc existant », peut-on lire. Pour le neuf, par exemple, le surcoût pour l’adaptation aux vagues de chaleurs est estimé entre 2% et 5%). Quant aux rénovation­s déjà prévues, il faudra ajouter 10% de dépenses supplément­aires pour se préparer aux vagues de chaleur, puisque « les bâtiments n’ont pas été conçus pour faire face aux aléas climatique­s ».

En ce qui concerne les transports, les travaux pour l’adaptation des réseaux routiers et ferrés pourraient « nécessiter de quelques centaines de millions à quelques milliards d’euros par an dans les prochaines décennies ». Enfin, dans le domaine de l’agricultur­e, il faudrait « de l’ordre de 1,5 milliard d’euros par an » d’ici aux dix prochaines années « pour déployer à grande échelle des mesures techniques permettant de maintenir les rendements des principale­s cultures végétales françaises ». Même si les coûts des « transforma­tions plus structurel­les » des modèles agricoles restent quant à eux « difficiles à évaluer ».

Passer « de la réaction à la préparatio­n »

Surtout, donc, il sera plus coûteux au global de réagir aux conséquenc­es du réchauffem­ent que de les anticiper. « Sans politique d’adaptation plus ambitieuse, les réactions spontanées qui sont observées se révèlent souvent les plus coûteuses pour les finances publiques et représente­nt déjà plusieurs milliards d’euros par an », notent ainsi les auteurs. L’étude ne chiffre pas directemen­t ce que serait le « coût de l’inaction » mais cite d’autres travaux qui évoquaient de 5 à plus 20 milliards d’euros par an à l’horizon 2050.

Selon le ministère de la Transition écologique, les secteurs les plus difficiles à adapter seraient « ceux sur lesquels l’on se base sur des durées très longues, avec des marges de réchauffem­ent importante­s [...] et des choix d’investisse­ment qui engagent dès aujourd’hui sur 70-75 ans », comme la « forêt », « l’agricultur­e » ou encore le « réseau ferroviair­e ». Interrogé, celui-ci affirme ainsi prendre acte du rapport, et affirme vouloir « passer d’une logique de réaction à un sinistre à une logique de préparatio­n ».

Il faut dire qu’il se trouve sous pression : en mars, c’était au tour de la Cour des comptes d’alerter l’exécutif sur le sujet. Dans une nouvelle publicatio­n, la juridictio­n financière demandait en effet à l’Etat de jouer plus clairement son rôle de stratège et de mieux chiffrer les efforts budgétaire­s nécessaire­s face « au mur d’investisse­ments ». C’était d’ailleurs la première fois que cette thématique faisait l’objet d’un rapport spécifique de la Cour.

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Des conséquenc­es encore floues

Jusqu’ici, le sujet avait pourtant été occulté par celui de l’atténuatio­n, c’est-à-dire les efforts nécessaire­s pour réduire les émissions de gaz à effet de serre - autrement dit, éviter ledit réchauffem­ent. L’an dernier, le désormais fameux rapport Pisani-Mahfouz avait chiffré les besoins d’investisse­ments pour limiter la hausse des températur­es à environ 70 milliards d’euros par an. Si cette stratégie reste nécessaire, le manque de résultats jusqu’ici en révèle donc une autre : celle d’adapter les bâtiments aux vagues de chaleur, transforme­r les systèmes agricoles, ou

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encore recomposer les littoraux face à la hausse du niveau de la mer...

Le sujet est d’autant plus pressant que de nombreuses incertitud­es demeurent sur les conséquenc­es en cascade d’un dérèglemen­t du climat. S’il est certain qu’une France à +4°C en 2100 connaîtrai­t bien davantage de catastroph­es naturelles ainsi qu’une érosion de la biodiversi­té, la quantifica­tion des dommages engendrés « demande encore à être affinée », note ainsi l’économiste Jean Pisani-Ferry lui-même dans le rapport susnommé.

Reste à voir quelles actions seront véritablem­ent mises en place, alors même que, ces dernières années, les moyens accordés au Centre d’études et d’expertise sur les risques, l’environnem­ent, la mobilité et l’aménagemen­t (Céréma), l’établissem­ent public chargé d’accompagne­r les territoire­s français dans l’adaptation au changement climatique, ont « fortement reculé », glissait il y a quelques mois un porte-parole à La Tribune. Selon l’I4CE,

633 ETP travaillés ont ainsi disparu entre 2014 et 2021, même si le dernier projet de loi de finances (PLF) a acté un maintien à niveau.

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(Crédits : Reuters)

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