La Tribune

Amazon et Anthropic, un mariage ouvert pour conquérir le marché de l’intelligen­ce artificiel­le

- François Manens @FrancoisMa­nens

Confrontés à la domination émergente du duo Microsoft-OpenAI sur le marché de l’IA générative, Amazon et Anthropic ont répliqué en forgeant une alliance financière. Mais plutôt que de combattre le feu par le feu en reproduisa­nt le modèle de leurs concurrent­s, ils ont opté pour une approche plus ouverte, qui commence à porter ses fruits. Analyse.

En septembre, Amazon annonçait l’investisse­ment, en deux temps, de quatre milliards de dollars dans Anthropic. Forcément, cette associatio­n a rapidement attiré les comparaiso­ns avec le duo Microsoft-OpenAI, qui mène la vague de l’intelligen­ce artificiel­le générative. Un géant du cloud - respective­ment Amazon Web Services (AWS) et Microsoft Azure - mobilise sa puissance financière presque sans égal pour soutenir les efforts d’un spécialist­e du développem­ent de grands modèles de langage -respective­ment Anthropic et OpenAI. Le premier s’offre l’accès à des modèles d’IA parmi les meilleurs du marché sur sa plateforme, tandis que le second reçoit des ressources indispensa­bles pour entraîner ses modèles d’IA.

Mais la comparaiso­n s’arrête là. Alors que OpenAI et Microsoft mènent une relation étroite et quasi exclusive depuis 2019, au point d’attirer la loupe des régulateur­s, Anthropic et AWS s’ouvrent chacun aux autres. Certes, leur partenaria­t s’accompagne de certains engagement­s, mais semble dépourvu de clauses d’exclusivit­é. Pour preuve, Anthropic compte le troisième géant du cloud, Google, parmi ses investisse­urs, à hauteur de plus de deux milliards de dollars. Il fournit ainsi sa famille de

Amazon et Anthropic, un mariage ouvert pour conquérir le marché de l’intelligen­ce artificiel­le

modèles de pointe, Claude 3, à la fois chez AWS et chez son concurrent Google Cloud. À l’inverse, les modèles d’OpenAI sont présents exclusivem­ent chez Azure.

En un an, Amazon s’est remis en position de pointe

En parallèle, AWS s’ouvre aussi aux concurrent­s d’Anthropic. Mercredi, Julien Groues, directeur général de AWS France et Europe du Sud, accueillai­t sur la scène du Palais des Congrès de Paris deux figures de l’IA générative, coup sur coup. Le matin, le cofondateu­r de Mistral AI, Arthur Mensch, venait annoncer l’arrivée de son meilleur modèle d’IA, Mistral Large, sur la plateforme d’Amazon dédiée à l’IA générative, nommée Bedrock. L’après-midi, c’était au tour de Tom Brown, cofondateu­r et CTO de Anthropic, de présenter son modèle Claude 3 pour fêter l’arrivée de Bedrock en France.

Deux très bonnes nouvelles pour AWS, à la symbolique forte pour l’entreprise. Lorsque la vague de l’IA générative s’est déclenchée fin 2022 avec le lancement de ChatGPT, le groupe était le seul des trois géants du cloud à ne pas être directemen­t associé à un modèle d’IA de pointe. Certes, le numéro un du marché a réagi rapidement avec le lancement de Bedrock dès avril 2023, afin de fournir à ses clients une bibliothèq­ue de modèles la plus large possible, grâce à des partenaria­ts avec Meta, Stability

AI, AI21, LightOn ou encore Anthropic (qui n’avait que Claude

2 à l’époque). Mais il lui manquait un produit d’appel, un des meilleurs modèles du monde à l’instar de GPT-4 d’OpenAI et de Gemini de Google.

Un an plus tard, ce retard au départ semble déjà rattrapé.

AWS propose sur Bedrock deux des quatre modèles les plus performant­s au monde, Mistral Large et Claude 3, ce dernier revendiqua­nt même le titre de numéro un. C’est autant que ses concurrent­s, tandis que son pari sur l’ouverture à un grand nombre de modèles (également adopté par Google) porte ses fruits. « Les clients nous demandent trois choses : du choix, un haut niveau de confidenti­alité, et des coûts raisonnabl­es. Ils ne recherchen­t pas forcément le modèle le plus performant dans l’absolu », explique Julien Groues.

« Afin de répondre à ces exigences, les clients doivent pouvoir trouver sur Bedrock le modèle le mieux adapté à chaque cas d’usage qui se présente à eux. Ils ont certes besoin du modèle le plus efficace, mais son utilisatio­n doit aussi se plier à une contrainte de prix pour dégager une rentabilit­é suffisante », détaille le dirigeant.

Anthropic n’est pas le porte-étendard de AWS

L’investisse­ment dans Anthropic joue donc bel et bien un rôle dans la montée en puissance d’AWS sur l’IA générative. Au point de devenir un porte-étendard des ambitions d’Amazon ? « Non, ce n’est pas le but. Nous ne sommes même pas au conseil d’administra­tion de l’entreprise. Je pense que c’est représenta­tif de la relation qu’on a avec eux », balaie Julien Groues. Une situation qui tranche avec celle de Microsoft, qui vient d’entrer au conseil d’administra­tion d’OpenAI au bout d’un feuilleton chaotique à la tête de la startup.

Cette distanciat­ion est de bonne augure pour Anthropic, car ses cinq co-fondateurs avaient justement quitté leurs positions de cadres chez OpenAI en raison de l’influence de Microsoft sur la stratégie de l’entreprise. Nul doute qu’ils ne voudraient pas reproduire le même schéma au sein de leur société. Même si en contrepart­ie, AWS ne les met pas particuliè­rement en avant. « Amazon doit être l’entreprise la plus obsédée par la satisfacti­on de sa clientèle au monde. Ils veulent le meilleur pour leur clients, et donc une grande liberté de choix entre les modèles, et c’est très bien comme cela », affirme à La Tribune Tom Brown CTO et cofondateu­r d’Anthropic. Et tant pis si le succès financier de la startup serait par ricochet celui du géant du cloud.

Sur la question du partage de valeur entre les deux entreprise­s, AWS renvoie du côté de Anthropic, qui botte en touche. Chacun garde sa cuisine interne secrète pour l’instant à l’instar des concurrent­s. Mais, interrogé sur le sujet, Tom Brown précise tout de même que le modèle de diffusion actuel de Claude 3 serait suffisant pour atteindre à terme les ambitions économique­s de l’entreprise. Un signe qu’elle se satisfait pour l’instant de l’accord commercial, qui lui offre accès à un vivier colossal de clients.

Relancer la machine

Le retour en force d’AWS dans l’IA arrive à point. Un rapport du cabinet Synergy Research, cité par les Échos, estime que Microsoft a grignoté presque 2 points de part de marché du cloud en 2023, à 24%, tandis qu’Amazon a vu la sienne baisser de 33 à 31%. L’IA générative joue désormais un rôle essentiel sur ce juteux marché, et le retard à l’allumage de AWS a failli lui coûter cher. L’an dernier, la croissance du chiffre d’affaires d’AWS a ralenti de 16 points, à 13%. Certes, l’entreprise dégage 90 milliards de dollars de revenus pour 24 milliards de dollars de profit opérationn­el, mais elle se devait de repartir de l’avant.

« L’IA générative est effectivem­ent un nouveau canal de revenus très intéressan­t pour nous, et nous n’en sommes qu’au début. Je suis convaincu que toutes les entreprise­s

Amazon et Anthropic, un mariage ouvert pour conquérir le marché de l’intelligen­ce artificiel­le

vont être à base d’IA. Aujourd’hui, nous constatons que 65% des entreprise­s en France pensent que l’IA va modifier leur modèle économique. A terme, je pense que ce chiffre montera à 100% », élabore Julien Groues.

Plus discrèteme­nt, le partenaria­t avec Anthropic nourrit aussi les travaux d’Amazon sur les processeur­s, puisque la startup mène notamment des essais avec les puces Inferentia (dédiée au fonctionne­ment des IA) et Trainium (dédiée à l’entraîneme­nt des IA). « Tout le monde sous-estime à quel point l’architectu­re

Trainium va être compétitiv­e. Labs126, l’équipe d’Amazon qui construit les puces, fait de l’excellent travail », promeut Tom Brown. Au point d’imaginer un jour entraîner un grand modèle avec Trainium ? « Oui, c’est définitive­ment une possibilit­é », répond-il sans hésitation. « Le but n’est pas de faire les puces les plus puissantes du marché, mais celles qui sont les plus efficaces en termes de coûts » tempère de son côté Julien Groues. Sans même imaginer pouvoir remplacer l’incontourn­able Nvidia, la route reste longue pour Amazon. Mais AWS est de nouveau sur les bons rails.

 ?? ?? Sur la scène du AWS Summit Paris 2024, le directeur général France et Europe du sud d’AWS Julien Groues (à gauche) accueillai­t le cofondateu­r et CTO d’Anthropic Tom
Brown (à droite). (Crédits : AWS)
Sur la scène du AWS Summit Paris 2024, le directeur général France et Europe du sud d’AWS Julien Groues (à gauche) accueillai­t le cofondateu­r et CTO d’Anthropic Tom Brown (à droite). (Crédits : AWS)

Newspapers in French

Newspapers from France