La Tribune

L’intelligen­ce artificiel­le avance, le cancer recule

- Marine Protais

Une nouvelle génération de startups dopées à l’IA élabore des molécules inédites, qui pourraient devenir les traitement­s oncologiqu­es de demain. Une thématique qui sera au coeur du forum Impacts santé organisé par La Tribune qui se tiendra ce jeudi à Paris.

Sur le plateau de Saclay, à Villebon-sur-Yvette, une fabricatio­n d’un type nouveau se déroule. Dans un laboratoir­e robotisé, Iktos produit plus de 1.000 molécules chaque mois. Toutes ont été modélisées à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le. Et une grande partie d’entre elles ont le même objectif : trouver de nouveaux remèdes contre le cancer.

Il n’existe pas encore de « ChatGPT » de la biologie capable de générer un médicament inédit en quelques secondes, mais des modèles permettent de concevoir des molécules bien plus rapidement qu’avec les méthodes classiques. Celui d’Iktos y parvient en prédisant virtuellem­ent l’action de cette molécule sur une cible pathologiq­ue donnée. Cette technique lui permettrai­t de gagner un an de recherche, dit-elle, et surtout de trouver des molécules de meilleure qualité avec plus de chance de réussir des essais cliniques.

Iktos n’est pas seule dans cette course aux nouveaux médicament­s dopés à l’IA. Une flopée de nouvelles entreprise­s se positionne­nt sur le sujet, profitant de l’engouement pour l’intelligen­ce artificiel­le générative. Dans un rapport de 2023, le cabinet de conseil Boston Consulting Group (BCG) en compte plus de 200, dont la plupart travaillen­t sur des projets en oncologie.

Ce champ thérapeuti­que se prête bien à l’applicatio­n de cette technologi­e car on y trouve « énormément de données - des imageries, des biopsies, des bilans cliniques... », précise Michel Dojat, directeur scientifiq­ue adjoint à l’Inria en charge du thème biologie et santé numériques.

Par ailleurs, il est attractif d’un point de vue commercial. « L’oncologie est devenue le plus gros marché pharmaceut­ique mondial, confirme Yann Gaston-Mathé, fondateur d’Iktos. Cela représente la moitié des projets de développem­ent de nouvelles molécules. C’était loin d’être le cas il y a trente ans. On doit cette révolution aux progrès de ces dernières années sur la com

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préhension des mécanismes moléculair­es de la maladie. Cela a permis de développer les thérapies ciblées et l’immuno-oncologie (qui consiste à apprendre au système immunitair­e à se défendre, plutôt que d’attaquer directemen­t les cellules malades) ».

Malgré les progrès faits, on ne sait pas encore bien soigner l’ensemble des cancers. Pour Maximilien Levesque, co-fondateur d’Aqemia, une startup issue de l’ENS, PSL et du CNRS, l’avantage principal de l’intelligen­ce artificiel­le, en plus de réduire les coûts et les temps de recherche, c’est la possibilit­é de trouver des traitement­s innovants, par exemple pour des maladies jusqu’ici incurables, comme les cancers du pancréas.

Des essais cliniques sur l’homme prévus en 2025

Iktos a déjà développé une quinzaine de projets en oncologie avec des sociétés pharmaceut­iques et en interne. Chez

Aqemia, la majorité des projets de recherche de molécules sont également dédiés au cancer. « Nous avons les premières preuves d’efficacité de traitement­s d’Aqemia sur les animaux », précise Maximilien Levesque. Des souris ont ainsi vu leurs tumeurs diminuer après avoir été traitées avec l’une des molécules développée­s par l’entreprise. Ces premiers résultats encouragea­nts ont permis à la jeune pousse de nouer récemment un partenaria­t de 140 millions d’euros avec Sanofi et de lever 30 millions d’euros. Si tout continue de bien se passer pour les souris, la startup espère de premiers essais cliniques sur l’homme fin 2025.

Pour le moment, aucun médicament trouvé grâce à l’IA n’est sur le marché. Ces entreprise­s se heurtent notamment au manque de données chimiques disponible­s. « Les molécules que nous concevons ne ressemblen­t pas forcément à celles déjà connues, et dans ce cas, le modèle prédictif peut ne pas s’appliquer », précise Yann Gaston-Mathé. C’est la raison pour laquelle Iktos a construit une plateforme automatisé­e qui permet de synthétise­r rapidement les nouvelles molécules découverte­s par son IA. De quoi recueillir des données d’expériment­ations afin d’alimenter les modèles prédictifs et les améliorer en continu.

Même une fois le candidat-médicament idéal trouvé, la difficulté reste de passer l’étape des essais cliniques. De manière générale, le taux de succès des essais cliniques n’est que de 10 %. « Nous ne sommes qu’une brique dans un processus très complexe et très long », remarque Yann Gaston-Mathé.

La recherche de nouvelles molécules est loin d’être l’unique applicatio­n de l’IA en oncologie. Cure51 a, elle, fait le choix d’analyser les patients plutôt que les cellules. La jeune pousse parisienne lancée en 2022 s’intéresse aux 1 à 2% des personnes qui parviennen­t à survivre à des formes de cancers agressifs en phase terminale, ceux qui touchent le pancréas et le cerveau notamment. L’IA lui sert à analyser et catégorise­r les données de 1.300 patients.

De quoi « identifier des points communs chez ces survivants. Puis dans un second temps, de les croiser à des données issues de la littératur­e scientifiq­ue pour trouver de nouvelles cibles thérapeuti­ques », précise Nicolas Wolikow, le fondateur de Cure51.

Yann Gaston-Mathé imagine lui un futur où l’IA serait capable de prédire à l’échelle du patient dans quel cas un médicament sera bénéfique. De quoi sélectionn­er l’exacte bonne population pour chaque molécule. « Ce serait le Graal ».

 ?? ?? Iktos produit plus de 1.000 molécules chaque mois, toutes modélisées à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le. (Crédits : Iktos)
Iktos produit plus de 1.000 molécules chaque mois, toutes modélisées à l’aide de l’intelligen­ce artificiel­le. (Crédits : Iktos)

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