Le plus important est d’avoir des pôles numériques très puissants dans les grands ministères. »
Tribune – Après une première année d’activité, quelle va être la feuille de route du Conseil national du numérique ? Patrick Bertrand
– L’objectif est de conforter son rôle d’expert auprès du gouvernement. Cela sera d’autant plus important, que le nouveau président a très largement évoqué le nécessaire soutien à la croissance. Or il est incontestable que les investissements dans le numérique ont un impact sur la croissance du PIB, entre 25 %et 45 %. La création d’un emploi dans le numérique entraîne aussi la création de trois ou quatre autres. La feuille de route du CNN s’articulera autour de quatre grands thèmes – start-up, innovation, compétitivité et libertés.
l’heure de la disette budgétaire, quelles mesures préconisezvous pour aider la France à rattraper son retard dans le numérique ?
L’enjeu de notre pays est de maintenir, voire de réduire, les dépenses publiques tout en soutenant l’économie. Nos propositions doivent s’inscrire dans ce cadre contraint. Il est possible de faire mieux avec autant. Par exemple, l’utilité du Crédit d’impôt recherche (CIR) est reconnue. Le dispositif représente un soutien à la R & D de 4,7 milliards d’euros, dont 1 milliard pour les PME. Le but n’est pas d’opposer grandes entreprises et PME, mais plutôt de développer une politique sectorielle qui pourrait évoluer au gré des besoins. Faut-il, à un moment, orienter plus les dépenses de R & D vers le logiciel, l’e-commerce, la microélectronique, etc. ?
sociétés de capital-risque sont en difficulté. Le CNN a rendu l’an passé un avis sur le financement de l’innovation. Où en êtes-vous sur le sujet ?
Lorsque l’on cumule Solvency II, Bâle III, les échéances à venir sur les dispositifs FCPI [ces fonds financés par des dispositifs fiscaux, ndlr] et la quasi-inexistence de marché financier pour les PME, le financement de l’économie devient une vraie question. Les capitaux levés dans le capitalrisque ont reculé de 70 % depuis 2008. Il y a ainsi un risque de rupture de la chaîne numérique. Il est nécessaire de sanctuariser les dispositifs FCPI, CIR et JEI. Il faut aussi entamer une réflexion sur le grand emprunt et les dispositifs, comme le Fonds national pour la société numérique (FSN), le FSN PME et le Fonds national d’amorçage (FNA). L’objectif est que l’argent disponible soit plus rapidement investi, notamment vers les PME du secteur. L’orientation régionale est aussi un axe intéressant à développer. Alain Rousset [le président PS de la Région Aquitaine, en charge du pôle productif pendant la campagne] a souligné l’importance des fonds d’investissement de proximité, comme le Fonds Rhône-Alpes (FIR), qui a levé 30 millions d’euros. Le CNN se déplacera régulièrement en région pour rencontrer les startup, les associations professionnelles, les universités et les institutions politiques régionales.
le numérique, ce n’est pas que les start-up…
Aujourd’hui, l’investissement des entreprises dans le numérique en France est inférieur par rapport au Royaume-Uni, au Japon ou à la Scandinavie. Nous allons donc aussi travailler sur la compétitivité. Nous voulons montrer que le numérique peut aider les entreprises industrielles pour faire face, par exemple, à des problématiques de délocalisation. Les investissements dans les systèmes d’information permettent à la fois de mieux s’approvisionner, de mieux gérer les stocks, et donc de baisser les coûts. Le numérique peut aussi améliorer la compétitivité de l’offre, en permettant à l’entreprise de coproduire avec les utilisateurs, ou d’améliorer la qualité de service.
Hollande, mais aussi Nicolas Sarkozy, ont évoqué dans leurs programmes numériques respectifs la place de l’Education…
C’est un de nos chantiers après celui de l’e-éducation. Il y a un décalage important entre les besoins des entreprises et la réalité du système éducatif. Il faut faire un état des lieux des métiers dont la France a besoin, qui ne concernent pas que le développement informatique, mais aussi les sciences cognitives, le design ou le marketing sur Internet, et proposer une réorientation des budgets et des filières existantes. Selon une étude récente, il manquerait en 2020, tous secteurs confondus, 2,2 millions de diplômés au moins de niveau bac.
déploiement de la fibre peut engendrer des avis divergents au sein du CNN, où siègent les quatre opérateurs télécoms. Que comptez-vous faire ?
Sur la fibre, nous avons procédé à une autosaisine et souhaitons publier un rapport préliminaire en juin. Nous avons auditionné tous les acteurs (Arcep, parlementaires, collectivités, opérateurs…) qui ont évoqué des solutions contradictoires. Par exemple, pour financer le déploiement, certains préconisent de baisser le coût d’accès au cuivre pour inciter France Telecom à investir dans la fibre et y faire migrer ses abonnés. D’autres prônent au contraire de l’augmenter afin de pousser les opérateurs alternatifs à investir pour se détourner de l’opérateur historique. A ce stade, nous ne remettrons pas d’avis, mais un éclairage de la situation. Si des divergences existent, nous publierons toutes les positions en toute transparence.
vous qu’un ministère ou qu’un secrétariat d’Etat au Numérique soit indispensable au secteur ?
Le plus important est d’avoir des pôles numériques extrêmement puissants dans les grands ministères, comme l’Economie, l’Industrie, la Recherche, la Santé ou l’Education. Le numérique est un sujet transversal qui doit être aussi traité au plus haut niveau, à Matignon ou à l’Elysée. Mais il faudra quand même que le numérique soit identifié ou identifiable. J’ai été très intéressé par la proposition d’Alain Rousset, qui a mentionné la création d’un haut commissariat à l’industrie et à l’intelligence économique. On souhaiterait ardemment que le terme « numérique » soit rajouté. En tout cas, il serait dommage que le mot « numérique » disparaisse du gouvernement. Même si cela ne suffit pas, le symbole contribue à la prise de conscience.
CNN a été créé par Nicolas Sarkozy. Avez-vous la garantie qu’il sera maintenu ? Le PS a évoqué son élargissement à d’autres représentants, comme la société civile. Qu’en pensez-vous ?
Il est clairement apparu qu’un gouvernement, quel qu’il soit, avait un intérêt à disposer d’un comité expert qui soit un trait d’union entre les acteurs et les pouvoirs publics. Cela a du sens d’avoir des institutions à l’image du CNN, qui représente l’industrie numérique. Quant à l’élargissement du conseil, nous pensons qu’il est important d’avoir une institution dont le rôle et l’origine sont bien déterminés, aux côtés d’autres déjà existantes, plutôt que quelque chose de flou.&