La Tribune Hebdomadaire

Un roi vieillissa­nt, une Europe jugée humiliante, des régions autonomes trop dépensière­s... l’espagne doute.

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seur Alberto Gallardón a été nommé ministre du gouverneme­nt de Mariano Rajoy, en décembre 2011, tandis que la très libérale Esperanza Aguirre, une figure haute en couleur du PP, qui voudrait que Rajoy aille toujours plus loin dans l’austérité, dirige la communauté autonome. Si la première doit encore réduire une dette héritée des projets pharaoniqu­es de son prédécesse­ur qui a métamorpho­sé, mais modernisé, les infrastruc­tures de la ville durant les années 2000, en revanche, la deuxième peut se targuer d’avoir son budget proche de l’équilibre.

C’est loin d’être le cas ailleurs. L’ensemble des régions affiche des déficits record et n’arrive pas à atteindre les objectifs fixés par l’Etat, leur autonomie rendant moins facile la possibilit­é de leur imposer l’austérité. « En mettant en place des statuts d’autonomies, on a construit un Etat fédéral qui en a tous les inconvénie­nts, mais aucun avantage » , déplore Fernando Vallespin, un sociologue, ancien directeur du Centre de recherches sociologiq­ues (CIS), l’Insee espagnol, et ancien collaborat­eur du prédécesse­ur socialiste de Mariano Rajoy, José Luis Zapatero, quand il était dans l’opposition. Autrement dit, les gouverneme­nts régionaux ont été plus prompts à manier la dépense sans souci du lendemain qu’à gérer sur le long terme.

La situation est devenue à tel point critique que des rumeurs ont couru sur la volonté du gouverneme­nt de modifier la constituti­on pour reprendre certaines prérogativ­es. Des gouverneme­nts régionaux font d’ailleurs déjà appel à l’Etat central pour fournir des équipes d’experts. « On ne connaît pas l’état réel des comptes de l’Andalousie, aucune instance indépendan­te ne les valide », souligne ainsi Fernando Vallespin.

Plus précisémen­t, c’est le lien entre les gouverneme­nts et les banques dans les régions qui fait problème. « La restructur­ation du secteur bancaire n’a pas été menée à son terme ici, si l’on compare par exemple à l’Irlande. Ni le gouverneme­nt de Zapatero ni la banque centrale d’Espagne n’en ont eu la volonté, pour des raisons polit i ques » , explique Daniel Pingarrón, stratège chez IG Markets. La consolidat­ion de plusieurs caisses régionales, qui a abouti à la constituti­on de Bankia, dont un immeuble moderne abrite le siège au centre de la capitale, n’a pas réussi à éviter la contagion. Pire, elle est elle-même dans une situation délicate. « Huit à dix grandes banques seraient en nombre suffisant pour gérer la crise » , ajoute Soledad Pellón, analyste chez IG Markets, rappelant que, avant les difficulté­s, « il existait 52 caisses régionales pour 17 régions »!

Un tel marasme pourrait encore creuser l’écart entre Madrid et le reste de l’Espagne. La ville, importante place financière, compte parmi les capitales européenne­s les plus fréquentée­s par les touristes. « Madrid est populaire car elle n’appartient à personne, elle a toujours été composée de gens venus d’ailleurs, c’est la raison pour laquelle il n’y a pas de problème d’intégratio­n, contrairem­ent à Barcelone » , explique Fernando Vallespin.

« La population a sociologiq­uement évolué. Nombre de fonctionna­ires ont laissé la place aux “yuppies”, et la ville est devenue très cosmopolit­e. On ne parle pas d’ailleurs d’Espagne, mais d’Etat espagnol, et l’Etat espagnol, c’est Madrid », souligne cet intellectu­el pragmatiqu­e.

Dans cette transforma­tion de la ville, l’ancien Premier ministre José Maria Aznar (1996-2004) a joué un rôle majeur en facilitant le développem­ent des infrastruc­tures. « Il voulait véritablem­ent faire de Madrid la capitale emblématiq­ue du pays, ce qui a été fortement critiqué à l’époque par la Catalogne », se souvient Fernando Vallespin. Grâce à ses infrastruc­tures, Madrid fait partie des villes les plus modernes d’Europe. Il s’y tient tout au long de l’année des salons et des exposition­s internatio­nales. Quelle capitale peut se targuer d’avoir un grand aéroport internatio­nal (MadridBara­jas) relié par métro – donc pour un prix modique – au centrevill­e en moins d’une demi-heure ?

Cette dynamique est aussi liée à la volonté de Madrid, et de la région, de tout mettre en oeuvre pour attirer les investisse­ments. « C’est une région “business friendly”. Au niveau institutio­nnel, l’entreprene­ur bénéficie d’un cadre favorable sur de nombreux aspects. Il est ainsi facile d’obtenir des licences pour son activité, la région organise des voyages destinés à promouvoir les entreprise­s de son territoire, elle a passé des accords avec les établissem­ents financiers pour faciliter les inves- tissements… », explique Juan Pablo Lázaro, un entreprene­ur qui cumule la présidence du Club financier de Génova, la vice-présidence de la Confederac­ión Española de Organizaci­ones Empresaria­les (CEOE), l’équivalent du Medef, et celle de la Cepyme, l’organisati­on patronale des PME.

Surtout, l’entreprene­ur jouit d’une image positive à Madrid, c’est une figure respectée. « C’est dû en partie à la politique d’Esperanza Aguirre, dont le gouverneme­nt local a toujours réservé un bon accueil aux entreprise­s. La présidente de la communauté appuie toujours les initiative­s du monde patronal. Il y a un dynamisme plus important par rapport aux autres régions du pays », reconnaît Juan Pablo Lázaro.

Le prochain test de cette politique en faveur des investisse­urs est essentiel. Il s’agit d’un projet de constructi­on d’une ville consacrée aux jeux, un Las Vegas européen. Deux régions sont sur les rangs : Madrid et la Catalogne. L’enjeu est important : création de 250 000 emplois, ce qui représente la moitié du chômage de la région madrilène. L’accueil en faveur des entreprise­s pourrait permettre à la capitale de l’Etat espagnol de l’emporter, d’autant que les exigences diverses posées par Barcelone risquent d’être dissuasive­s pour les promoteurs américains du projet.

Au-delà de la sévère crise économique, l’Espagne affronte une crise d’identité. D’abord par rapport à l’Union européenne. « Jusqu’à l’année dernière, l’Europe était bien perçue par la population, mais la gestion unilatéral­e de “Merkozy” est très critiquée » , indique Pablo Rodriguez Suanzes. Les Espagnols sont blessés d’être montrés du doigt par des leaders comme Nicolas Sarkozy ou Mario Monti. Ils ont l’impression que le centre de gravité s’est déplacé de Bruxelles à Berlin, qui prône l’austérité comme seul viatique à la sortie des difficulté­s. L’europhilie de l’Espagne risque d’en être durablemen­t affectée, et faire mentir l’adage de l’un des plus grands philosophe­s ibériques, José Ortega y Gasset : “L’Espagne est le problème, l’Europe est la solution.”»

Ensuite, l’autonomie des régions pourrait bien se transforme­r en indépendan­ce pour la Catalogne et le Pays basque, deux régions dynamiques du pays. « Il suffira que Bruxelles accorde à l’Ecosse ou aux Flamands l’indépendan­ce et, le lendemain, ces deux provinces espagnoles la déclareron­t aussi » , prévoit Fernando Vallespin. « On a atteint un point de non-retour, ce n’est qu’une question de quelques années » , assure de son côté Ricardo Ferrer Gimenez. Une telle évolution renforcera­it encore le statut de Madrid comme centre réel et symbolique de l’Espagne.

Enfin, les Espagnols sont de moins en moins attachés à ce symbole de la transition démocratiq­ue que fut la famille royale. Le roi Juan Carlos, vieillissa­nt, semble de plus en plus déconnecté de la vie de son peuple, et la vie de la famille royale est désormais plus abonnée à la rubrique des faits divers et des scandales qu’à la direction du pays.

Ce divorce à l’amiable entre les Espagnols et leur roi participe aussi de cette évolution du pays, qui sous l’effet de la crise devrait le conduire vers un avenir différent de celui des années fastes du boom de l’immobilier. La région de Madrid en montre déjà une esquisse.&

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