La macro est morte, vive la micro !
La crise ayant provoqué la dévaluation quasi totale des analyses macroéconomiques, la mode est désormais au « tout-micro » et aux études statistiques pointues, loin des prétentions théoriques. Mais jusqu’à quand ?
Bozio, qui dirige le nouvel Institut des politiques publiques (Crest-Ecole d’économie de Paris). « Des modèles entendaient analyser l’économie à l’aide de données comme la religion ou le système légal. Cela n’avait plus de sens. » En outre, s’agissant de la conjoncture, les macroéconomistes sont entièrement dépendants des statistiques de la comptabilité nationale, parfois erratiques, qui peuvent les mettre en porte-à-faux. Ainsi, au printemps 2004, les comptes trimestriels de l’Insee font apparaître une hausse de l’épargne, au moment où un certain Nicolas Sarkozy devient ministre de l’Economie. Ces statistiques le poussent à prendre des mesures encourageant le déblocage de l’épargne, afin de favoriser la consommation. Ce qui est moins connu, c’est que, quelques trimestres plus tard, une fois les comptes bien établis, l’Insee publiera des séries statistiques montrant que l’épargne était déjà en… baisse, au moment de l’arrivée de Nicolas Sarkozy à Bercy. Le raisonnement servi par les économistes était comme bâti sur du sable. Autant de motifs pour déserter la macroéconomie, comme le font les jeunes chercheurs, qui optent alors pour la microéconomie, pourtant considérée comme de peu d’intérêt au cours de leurs premières années d’université. « L’idée s’est imposée au cours des années 2000 qu’un travail de qualité reposait sur l’analyse précise de données microéconomiques, le nec plus ultra étant l’utilisation d’échantillons, de groupes tests, un peu comme dans la recherche médicale. » Ces travaux peuvent porter sur des thèmes proches de la macro, comme le marché du travail, la santé, etc., mais toujours avec une approche très pointue, très micro… Ainsi, c’est en comparant un échantillon de salariés travaillant en France et un autre de frontaliers résidant en France mais travaillant à l’étranger que l’économiste Pierre Cahus a évalué récemment l’impact réel de la défiscalisation des heures s u p p l é mentai r e s . Question macroéconomique, méthode micro… Les grandes revues scientifiques raffolent de ces études pointues. La mode n’est pas à l’élaboration de nouvelles théories. Dénicher une base de données inédite suffit pour être publié, même si l’analyse se révèle faiblarde. Les centres de recherche économique les plus en pointe, l’Ecole d’économie de Paris ou TSE (Toulouse School of Economics), multiplient les études sectorielles ou de micropolitique, s’interdisant de toucher à la macro. Autant d’études passionnantes, qui peuvent servir de base à des réformes de tel ou tel moyen d’intervention – on peut penser au crédit d’impôt recherche, dont les effets ne sont pas toujours bien mesurés –, mais ces travaux ne peuvent en aucun cas contribuer à définir une stratégie globale face à la crise, à indiquer la meilleure politique budgétaire, le rythme de baisse du déficit qui évite de casser toute croissance, la politique monétaire la plus adaptée… « La crise a donné le coup de grâce à la macroéconomie », relève Antoine Bozio. Mais, tôt ou tard, il faudra bien que certains chercheurs répondent aux angoissantes interrogations des responsables politiques.
Personne n’est capable de dire à la BCE quel sera l’impact d’une baisse d’un point de taux d’intérêt. »
directeur d’études économiques de Natixis