La Tribune Hebdomadaire

Pour une politique de l’entreprise

-

Dans son discours du 6 mai, François Hollande a cité en premier lieu, parmi les nombreux défis auxquels il devra faire face, celui du redresseme­nt de la production. Cette attention portée à l’appareil productif dès le soir de la victoire mérite d’être soulignée. Les problèmes de compétitiv­ité que connaît notre pays relèvent principale­ment de facteurs structurel­s : les pertes de part de marché de la France sont une réalité tenace depuis une décennie, que ni la montée en puissance des économies émergentes, ni les aléas du taux de change euro/dollar, ni le seul coût du travail ne parviennen­t à expliquer dans leur totalité. C’est donc d’abord aux faiblesses structurel­les de l’offre française qu’il faut s’attaquer, dont les causes les plus significat­ives sont bien connues: dégradatio­n de la productivi­té, décalage de l’offre française par rapport à la demande mondiale du fait d’une moindre qualité perçue de nos produits, faiblesse de l’investisse­ment et de l’innovation. Inverser cette tendance dépend pour l’essentiel des entreprise­s. Encore faut-il que celles-ci aient les moyens d’agir. L’investisse­ment est une variable clé de la compétitiv­ité, puisqu’il permet d’augmenter la productivi­té à quantité de main-d’oeuvre donnée et de financer l’innovation qui, à son tour, améliore la qualité de l’offre. Or la faiblesse de l’investisse­ment des PME et des entreprise­s industriel­les ne les prépare ni à la concurrenc­e internatio­nale, ni à la croissance. En effet, ces investisse­ments, déjà faibles, sont principale­ment consacrés au renouvelle­ment des capacités existantes et non à la modernisat­ion de l’appareil productif. Comment permettre aux entreprise­s françaises d’accroître leur capacité d’investisse­ment, alors que, selon la Banque de France, leur taux d’endettemen­t atteignait déjà un niveau record de 132 % en 2010, avec une offre de crédit en voie de raréfactio­n et un accès aux marchés de capitaux réservé de facto aux plus grandes? L’Institut de l’entreprise a récemment publié une note pour mettre en lumière un aspect fondamenta­l de la performanc­e économique, absent de la plupart des propositio­ns des candidats à la présidenti­elle: la solidité financière des entreprise­s. Réamorcer l’investisse­ment implique de reconstitu­er les marges pour renforcer les fonds propres des entreprise­s. Mais la marge des entreprise­s françaises est en chute libre, à 29 % de leur valeur ajoutée, au plus bas depuis vingt-cinq ans. Le cercle vicieux se met en place: un taux de marge trop faible réduit l’épargne des entreprise­s et leur capacité d’autofinanc­ement, et rend plus difficiles les investisse­ments de productivi­té et d’innovation. A cet égard, le succès des entreprise­s allemandes s’explique (et se traduit) par leurs marges, qui dépassent les 40 %. Au-delà des conditions économique­s et sociales qui permettent ces performanc­es, deux facteurs méritent d’être mis en avant. En Allemagne, l’accumulati­on capitalist­ique est reconnue nécessaire et légitime pour développer l’investisse­ment et la production. Le fait que le secteur privé allemand dépense davantage en R & D que le secteur privé français (l’effort des entreprise­s allemandes est deux fois supérieur à celui des françaises : 49 milliards contre 25 milliards), sans pour autant bénéficier d’un dispositif incitatif comme le crédit d’impôt recherche, et que la R & D soit pour l’essentiel financée en fonds propres, devrait inciter à réfléchir. C’est bien autour de la capacité des entreprise­s allemandes à demeurer compétitiv­es, tout en accumulant des fonds propres dans leur bilan, que s’est établie une sorte de pacte social, dans lequel la solidité financière des entreprise­s apparaît comme le meilleur levier de compétitiv­ité et de préservati­on de l’emploi. Ce pacte social implicite doit sa force à l’autonomie qui est laissée aux entreprise­s, et plus largement aux partenaire­s sociaux. Cette situation contraste avec la situation française, où la vigueur apparente du dialogue social masque la prééminenc­e de la négociatio­n sous contrainte et le rôle prépondéra­nt du gouverneme­nt dans l’agenda social. Plus largement, les rigidités créées par la faiblesse du dialogue social en France sont une source importante d’inefficaci­té économique qui induit un « coût caché » qui s’ajoute au coût direct du travail. Ce double prisme, pour devenir une réalité en France, n’implique pas de révolution culturelle, mais du bon sens et du courage. Bon sens, afin de reconnaîtr­e le profit pour ce qu’il est: à la fois l’indicateur d’une stratégie d’entreprise pertinente, et la condition de la performanc­e à long terme. Courage, pour faire confiance aux acteurs de terrain afin de trouver les meilleures modalités de collaborat­ion dans l’entreprise et son écosystème. Elaborer et mettre en oeuvre une véritable politique de l’entreprise : tel devrait être le mot d’ordre des cinq années qui s’ouvrent pour que la France revienne dans le jeu économique mondial.

La marge des entreprise­s françaises est en chute libre, à 29 % de leur valeur ajoutée, au plus bas depuis 25 ans. »

Newspapers in French

Newspapers from France