La Tribune Hebdomadaire

Bâle III et le financemen­t européen de l’économie

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Supposée rendre le système bancaire internatio­nal plus sûr, la nouvelle réglementa­tion prudentiel­le Bâle III en cours d’adoption en droit européen bouleverse le métier. Elle incite les entreprise­s et les collectivi­tés à chercher d’autres solutions de financemen­t que le crédit bancaire. Les banques françaises sont particuliè­rement exposées à ces changement­s.

Le spectre du credit crunch n’a pas disparu. Alors que la transposit­ion dans l’Union européenne des règles bancaires de Bâle III entre dans sa phase finale, une question lancinante revient : les crédits aux entreprise­s, aux collectivi­tés et aux particulie­rs risquent-ils de manquer alors que l’Europe en a plus que jamais besoin afin de soutenir sa croissance ? Les banques sont en effet confrontée­s à une considérab­le inflation des exigences réglementa­ires. Et le 15 mai, les ministres des Finances des pays membres de l’Union européenne réunis en Ecofin en ont encore rajouté. Dans le texte de compromis de la future directive CRD4 ( Capital Requiremen­ts Directive), qui traduit Bâle III en droit européen, ils ont prévu une nouvelle surcharge en fonds propres dite « systémique ». Elle pourra atteindre entre 3 et 5 %, sous réserve d’un contrôle européen. Et ce n’est pas tout. Le texte permet aussi à chaque état de prendre des mesures supplément­aires concernant la liquidité des banques et la pondératio­n du niveau de risque de certains actifs, notamment immobilier­s. Certes, tout n’est pas joué. Une période de négociatio­ns ultimes s’ouvre avant le vote définitif de la CRD4 par le Parlement européen, d’ici l’été. Il reste quelques semaines aux profession­nels pour convaincre des effets pervers de Bâle III qui, parmi ses innovation­s, introduit deux ratios de liquidité (à court et long terme) et redéfinit les besoins en capitaux en augmentant le ratio de fonds propres durs ( core tier-one). Conçue pour renforcer la solidité du système bancaire internatio­nal en cas de crise, cette réforme est accusée de mettre en péril le modèle européen de financemen­t des activités économique­s, principale­ment par le crédit bancaire. Avec Bâle III, çaise, avec 391 milliards d’euros de crédits à fin 2011 et une hausse de l’encours de crédit de 4,1 %, plus rapide que la croissance de l’économie. Mais, selon lui, les ratios de liquidités sont encore « plus préoccupan­ts » que le ratio de fonds propres. Un avis que partage François Pérol, président du directoire de Banque populaire-Caisse d’épargne (BPCE). « Tout le problème vient du ratio de liquidité : pour pouvoir accorder des crédits, on demande aux banques de détenir un niveau élevé d’actifs liquides, essentiell­ement des obligation­s d’État, afin de résister à un stress puissant. Pour s’adapter, les banques ne pourront que diminuer l’octroi de crédit. Si bien que dans trois ans, l’économie européenne se financera à hauteur de 50 % sur les marchés, contre 25 % aujourd’hui. On va se rapprocher du modèle américain où le financemen­t de l’économie est assuré à 60% par les marchés et pour seulement à 40% par le crédit » , déclarait-il à La Tribune dans un entretien publié le 13 avril. sant avec la durée de détention ou des « super livrets » à taux « boostés ». Ce changement est a priori favorable aux clients, sauf que cette coûteuse course aux dépôts se traduira probableme­nt par un renchériss­ement des crédits. En dépit de ces efforts, et même si les banques s’essaient aussi à d’autres modes de refinancem­ent, elles vont devoir revoir leur modèle. Pourtant, « en France, la politique de crédit est prudente et responsabl­e, ce qui a abouti à des taux de pertes de moitié de ceux des États-Unis, comme le montre le rapport Vickers » , affirme Jean-Paul Caudal, de la FBF, se référant à un tableau comparatif de ce rapport britanniqu­e. Il leur faudra changer quand même, alors que leurs homologues américaine­s ont reporté l’applicatio­n de Bâle III à « une date indétermin­ée » comme l’a annoncé la Réserve fédérale de New York, le 21 mars.

« Obliger les banques à avoir une maturité équivalent­e entre ce qu’elles empruntent et ce qu’elles prêtent va changer leur métier et leur business model » , confirme Éric Delannoy, vice-président du cabinet conseil Weave. Aujourd’hui, le modèle de la transforma­tion financière implique l’utilisatio­n de ressources à court terme afin de financer des investisse­ments ou des crédits à long terme. L’alignement entre la maturité des ressources et des crédits risque de conduire à un raccourcis­sement des prêts, voire à une raréfactio­n de certains prêts comme ceux pour les infrastruc­tures ou grands projets, ou encore pour l’immobilier. Ce n’est pas un hasard si Predirec Immo 2019 vient d’être lancé par les sociétés de gestion d’actifs Groupama Asset Management et Acofi. Il s’agit d’un fonds commun de titrisatio­n, qui proposera à des investisse­urs institutio­nnels de financer leurs opérations immobilièr­es de bureaux à la place d’une banque. Il a bien choisi son moment : en 2012, 141 milliards d’euros de prêts d’immobilier commercial arrivent à échéance en Europe, dont 15 % en France. « Les nouvelles exigences en fonds propres pour les banques (Bâle III) et pour les assureurs (Solvabilit­é II) sont les deux meilleurs amis des fonds de prêts directs à l’économie » , se réjouit Jean-Marie Catala, directeur général délégué de Groupama Asset Management, qui étudie d’autres projets de fonds pour financer les collectivi­tés locales, les entreprise­s ou les LBO ( leverage buy-out, rachat de sociétés par endettemen­t). Ce fonds de prêts n’est que l’un des signes de l’émergence de ces nouvelles initiative­s de financemen­t. Ainsi, le fonds Micado France 2018 permettra-t-il à une vingtaine d’entreprise­s de taille intermédia­ire (ETI) cotées en Bourse de se regrouper pour émettre des obligation­s d’un montant global de 100 millions d’euros et ainsi de s’endetter sans souscrire de crédit bancaire. Quant aux collectivi­tés locales, près de soixante-dix d’entre elles ont annoncé se préparer au lancement d’une émission obligatair­e, afin d’obtenir environ 1,2 milliard d’euros de besoins de financemen­t non couverts par le crédit bancaire. Ces opérations de financemen­t ne tombent pas sous le coup des règles bancaires. Ce n’est donc pas le moindre paradoxe de constater que le projet légitime et même, à certains égards, salutaire de Bâle III après la crise, pourrait conduire à fragiliser la production de crédit bancaire et en parallèle accélérer le recours aux marchés et le développem­ent du shadow banking là où il n’était que marginal.&

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