Ford, le miraculé de Detroit
Ford, Boeing, IBM, Bank of America et le roi dollar, entités symboliques des états-Unis, ont en commun d’avoir traversé des années noires. Et de s’être relevées parce qu’elles incarnent et incarneront encore longtemps la résilience et le dynamisme de la
La force de l’Amérique réside dans le dynamisme de son secteur privé. Touché profondément par la crise, le pays continue de dominer le monde par la force de ses marques. La capacité de ses entreprises à se relever après une chute est remarquable. Qu’il s’agisse de l’automobile, de l’aéronautique, des nouvelles technologies ou de la finance, les États-Unis ont traversé de nombreuses crises. À chaque fois, avec ou sans l’aide de l’État, et surtout grâce à l’appui d’un immense marché domestique de 300 millions de consommateurs qui partagent tous la même langue et la même culture, ils sont parvenus à redresser la barre. L’un des principaux atouts du pays reste bien sûr le « privilège exorbitant » du dollar, qui confère à sa monnaie un statut à part, et lui permet de résister à la concurrence, de plus en plus frontale, avec la Chine.
Année catastrophe outreAtlantique. 2008. L’auto américaine est moribonde. Exsangues, au bord de la banqueroute, GM et Chrysler vont passer sous la protection de la loi sur les faillites (chapitre XI). Chez Ford, ça va aussi très mal. Le groupe affiche cette année-là une perte nette de 14,6 milliards de dollars (11 milliards d’euros), après un déficit de 2,8 milliards en 2007. Seulement voilà : en pleine crise, la vieille firme familiale de Dearborn (dans la banlieue de Detroit) a une toute petite longueur d’avance sur ses deux concurrents ; elle a, bien avant eux, pris conscience qu’elle allait droit dans le mur. Alors qu’il accumule des déficits abyssaux, le consortium a déjà commencé à améliorer la productivité de ses usines, à renouveler sa gamme avec des véhicules de meilleure qualité, et à réduire ses capacités. C’est la raison pour laquelle, finalement, il tiendra le choc, sans appeler l’État fédéral à la rescousse.
Tiré par un marché américain qui a retrouvé le chemin de la croissance, Ford recouvre aujourd’hui la pleine forme. La firme a frisé les 5 695 000 véhicules vendus l’an passé – contre 4 817 000 en 2009, l’année noire, mais 6 554 000 en 2007 avant la crise. Le groupe a affiché du coup un bénéfice net (hors éléments exceptionnels) de 7,8 milliards de dollars (5,7 milliards d’euros) en 2011, soit 1,2 milliard de mieux qu’en 2010 ! Pas si mal. Au premier trimestre 2012, le profit net (hors exceptionnel) atteint 1,39 milliard. Symbole de l’obstination, la capacité de résistance et les mutations du groupe américain : son bon gros pick-up Full Size Ford F, emblématique de l’Amérique, demeure contre vents et marées le modèle le plus vendu aux États-Unis depuis vingtneuf ans ! Ce fameux « F » résume à lui seul l’histoire de la firme. Fidèle à la tradition, il ressemble à ses prédécesseurs, en apparence. Car il est beaucoup plus fiable et bien mieux construit que ses devanciers dans l’usine de Rouge (Michigan), un site historique entièrement refait et devenu une unité modèle, voire pilote pour le groupe en matière d’environnement. Dans le même temps, la consommation de ce bon gros « light truck », et donc les rejets de C0 , baisse de 20 %.
Alan Mulally, ex-numéro 2 de Boeing responsable des avions civils, arrivé à la tête de Ford en septembre 2006, n’y est pas allé par quatre chemins. À peine en fonction, il négocie deux lignes de crédit de 30 milliards de dollars (23 milliards d’euros), n’hésitant pas à gager tous les actifs de l’en- treprise, y compris le célèbre logo à l’ovale bleu ! Il ne pouvait faire autrement pour obtenir de l’argent frais. Concomitamment, il décide de reprendre le plan de restructuration élaboré par son prédécesseur Bill Ford et annoncé l’année précédente, mais, sentant l’ur-