Il faut construire des outils communs de gestion budgétaire. C’est un débat politique... »
États ont-ils eu une bonne gestion du temps dans la crise de l’euro ?
La crise grecque n’a pas été gérée assez énergiquement par rapport aux problèmes posés. Il me semble que les gouvernements européens n’ont pas, collectivement, compris assez rapidement de quoi il s’agissait. Du coup, les États ont été dans un mode de réaction alors qu’ils auraient dû être en phase proactive. Et ils ont mélangé deux sujets : liquidités bancaires en Europe et solvabilité des signatures des États de la zone euro. Les solutions à ces deux problèmes différents n’étaient pas les mêmes. Ainsi, on a eu l’impression de traiter les sujets dans le désordre. En Europe, ce sont les débiteurs publics qui n’ont plus inspiré confiance. Les marchés avaient accordé à des débiteurs différents le même profil de risque parce qu’ils partageaient la même monnaie, l’euro, alors qu’il était clair que les divergences entre les pays rendaient cette situation intenable sur le long terme. C’est étonnant que l’on ait découvert après coup un problème dont on aurait pu avoir conscience plus tôt, même si certains – dont je ne suis pas – l’ont dénoncé lors de la création de l’euro. S’est ajouté à cela l’impact de la mise en oeuvre des règles de Bâle, qui ont incité les banques à détenir des emprunts d’État de la zone euro comme garantie pour leur refinancement auprès de la banque centrale. C’est tout le paradoxe de la régulation bancaire : des règles censées renforcer la sécurité du système financier sont tout d’un coup devenues nocives, voire mortelles. L’essentiel des problèmes rencontrés sur les marchés financiers, si souvent montrés d’un doigt accusateur, vient souvent d’une défaillance des régulateurs. Certes, il y a eu des comportements individuels aberrants dans le système financier, mais ce sont les règles, ou l’absence de règles, qui les ont rendus possibles. La régulation porte une part de la responsabilité de cette crise.
crise ?
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Des progrès importants ont été réalisés, notamment lors du dernier sommet européen qui a avancé sur l’union bancaire et budgétaire. Mais cela prendra du temps. Le problème immédiat, c’est la liquidité bancaire. Il faut que la banque centrale joue pleinement son rôle de prêteur en dernier ressort. La mise à contribution des fonds européens est une bonne avancée, mais est-ce suffisant ? Le problème, c’est que la BCE n’est pas la banque centrale de l’euro, parce qu’il n’y a pas de solidarité politique, donc financière, dans cette construction. Aux États-Unis, ou au Royaume-Uni, la banque centrale a en grande partie résolu la crise, parce qu’elle a inondé le système bancaire en liquidité. En Europe, la BCE l’a fait aussi avec ses prêts à trois ans, mais il aurait fallu le faire bien plus tôt.
Allemands, et beaucoup d’économistes, craignent que cela provoque une envolée de l’inflation…
C’est une erreur. Il n’y a actuellement aucun danger d’inflation, parce que la crise de liquidité a neutralisé l’équation monétariste reprise par Milton Friedman, selon laquelle le produit de la masse monétaire et de la vitesse de circulation de la monnaie est égal aux prix multipliés par la production (MV = PT). Du fait de la modification du comportement des agents financiers, la vitesse de circulation de la monnaie a brutalement chuté, neutralisant ainsi la croissance de la masse monétaire. On voit bien d’ailleurs qu’il n’y a d’inflation nulle part, pas plus aux États-Unis qu’en Europe. La seule poussée inflationniste que l’on a vue est venue de la hausse du prix de l’énergie et des matières premières. Le ralentissement de l’économie mondiale y a mis un terme et depuis le début de l’année, les prix des matières premières baissent. Le risque d’inflation ne se matérialisera que lorsque la vitesse de circulation de la monnaie recommencera à augmenter. On en est loin ! Pour l’instant, ce que l’on observe, surtout en Europe, c’est une insuffisance de création monétaire couplée à un ralentissement de la vitesse de circulation de la monnaie, ce qui provoque une baisse de la croissance, amplifiée par la rigueur budgétaire. Ce qui est grave, dans cette crise, c’est que l’on a mal traité le problème de la liquidité des banques et que l’on a en même temps accru le poids de l’endettement des États en menant des politiques déflationnistes. Pour sortir de ce cercle vicieux, il faut construire des outils communs de gestion budgétaire. C’est un débat politique qui pose la question taboue de la souveraineté et du fédéralisme, pour laquelle les opinions publiques ne sont pas encore prêtes. C’est évidemment très compliqué pour des politiques dont le sort dépend des électeurs. Le temps politique s’accommode mal des crises.