La Tribune Hebdomadaire

Ayrault ou la rigueur normale

- Ivan best

Le Premier ministre récuse les termes de rigueur et d’austérité. Son discours de politique générale n’en a pas été moins empreint de cette fameuse rigueur. Et pas la moindre annonce en vue au profit du bon peuple…

Bien sûr, il n’a pas prononcé le mot. Interdit de parler de « rigueur » et encore moins d’austérité. Tabou absolu. « Je revendique le sérieux et la responsabi­lité budgétaire mais je refuse l’austérité » , a asséné le Premier ministre, à l’occasion de son discours de politique générale, mardi. Tout son propos renvoyait pourtant à ce terme de rigueur. Sur la forme : un discours sans artifice, même si le Premier ministre s’est essayé, en conclusion, à l’envolée lyrique, déclarant : « Aucune agence ne notera jamais notre rêve, parce qu’il ne relève que de votre confiance et de celle des Français. » Sur le fond, également. Pas d’annonce gadget, qui pourrait susciter un début de polémique… ou faire un peu rêver. Car le rêve évoqué en conclusion est bien difficile à dénicher, à la lecture du discours. Certes, Jean-Marc Ayrault n’a manifestem­ent pas envie de jouer les pères la rigueur, personnage que son prédécesse­ur avait choisi d’incarner. Si, pendant quelques jours, l’analogie entre les deux chefs de gouverneme­nt a pu prospérer, Jean-Marc Ayrault, c’est aujourd’hui clair, ne veut pas être assimilé à un François Fillon de gauche. L’ex-Premier ministre, lui aussi originaire des Pays de la Loire, assumait pleinement l’annonce de décisions de politique économique douloureus­es, comme les hausses d’impôt. Ce fut d’ailleurs le premier, au sein de l’équipe Sarkozy, à reconnaîtr­e que ce qu’on appelait alors la suppressio­n de « dépenses fiscales » ou chasse aux niches ressemblai­t furieuseme­nt à des augmentati­ons d’impôts…

À la veille de la présentati­on du collectif budgétaire en conseil des ministres, Jean-Marc Ayrault aurait pu en dire plus, même si, prononçant une déclaratio­n de politique générale, il devait embrasser large. Dans une situa- tion similaire, François Fillon ne se serait sans doute pas privé d’une ou deux annonces fiscales. Histoire de bien montrer à quel point il était soucieux de redresser les comptes publics, de faire en sorte que l’on évite la « faillite » , terme qu’il avait employé pour caractéris­er la situation financière de l’État. Jean Marc Ayrault, lui, a préféré jouer la normalité. Alors que beaucoup l’attendent sur le budget ou l’économie, il n’en dit rien, ou presque. Il en oublie – est-ce volontaire ? – de rappeler l’engagement à ramener le déficit public à 3 % du PIB en 2013, insistant seulement sur l’objectif de l’équilibre en 2017. Le Premier ministre se contente d’annoncer les hypothèses de croissance retenues par son gouverneme­nt, c’est bien le moins, pour fixer le cadre. Il se veut prudent, retenant le chiffre de + 0,3 % pour 2012 et de 1,2 % pour 2013. Un dernier chiffre qui repose sur le pari d’un redresseme­nt de l’économie européenne et qui est loin d’être gagné. Et d’appeler au « dialogue social » (normal), tout en annonçant une « refondatio­n de l’école » (tout aussi normal, au vu de l’inquiétude actuelle tant des enseignant­s que des parents d’élèves), et une « conférence environnem­entale » pour la rentrée.

Ne pouvant se répandre en promesses sociales, rigueur oblige, Jean-Marc Ayrault se rabat sur le « sociétal ». Et d’annoncer le droit au mariage homosexuel et à l’adoption pour le premier semestre 2013, le droit de vote des étrangers aux municipale­s, la fin du cumul des mandats en politique en 2014… Tout cela ne coûte pas grand-chose, voire rien du tout. Après 2015, lors de la seconde étape, déjà théorisée pendant la campagne électorale, le temps sera peut-être venu de donner du « grain à moudre » , selon la vieille expression syndicale. En attendant, c’est la rigueur. Ce qui n’a rien de surprenant : à partir du moment où François Hollande avait décidé, à l’été 2011, de faire sien l’objectif de 3 % de déficit en 2013, le scénario était écrit. Le candidat avait simplement « oublié » de le décliner entièremen­t pendant la campagne électorale. Même si beaucoup d’éléments étaient sur la table, une partie de la gauche a préféré ne pas les voir.

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[AFP] Le Premier ministre, mardi à l’Assemblée, lors de son discours de politique générale.

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