La Tribune Hebdomadaire

Les banques et le grand saut dans l’inconnu

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Auteur de l’ancien patron du Crédit agricole s’essaie à l’art de la prospectiv­e. Il identifie trois scénarios possibles pour l’avenir des banques européenne­s.

Pour ce titulaire d’un doctorat en sciences économique­s, enseignant à Sciences-Po et à Dauphine, la période actuelle est une mine quasi inépuisabl­e. Après s’être interrogé en 2009 dans Faut-il brûler les banquiers ? (JC Lattès, 2009), avoir prédit La Banque de l’après-crise (La Revue Banque, 2010), Georges Pauget s’essaie à l’art de la prévision en examinant les conséquenc­es de cinq années de crise. Dans une première partie de son nouveau livre, il analyse les deux crises qui se sont enchaînées, celle des subprimes et celle de la dette souveraine dans la zone euro. Il identifie sept phases des crises financière­s récentes. « Les phénomènes observés ne peuvent plus être considérés comme accidentel­s, ils font désormais partie intégrante d’une situation que les entreprise­s financière­s doivent savoir gérer » , estime-t-il. Pour limiter l’impact de la crise, les régulateur­s et la Banque centrale européenne (BCE) ont utilisé des armes monétaires et prudentiel­les. La BCE a agi sur tous les fronts, notamment en rachetant des actifs des banques, en allouant des liquidités à taux fixe et à long terme (trois ans), en facilitant le refinancem­ent en dollars grâce à des accords de swap avec la Fed, en rachetant sur le marché secondaire de la dette les titres des États fragiles. « En évitant une trop grande perte de valeur des dettes publiques, la BCE a protégé les banques des pays considérés qui en détenaient dans leur bilan » , explique Georges Pauget. Autant d’actions qui ont porté leurs fruits en réduisant le risque de contagion au système bancaire européen. Reste que pour stopper la crise ce n’est pas suffisant. « Il faut traiter le problème à la source, c’est-à-dire revisiter la gouvernanc­e de la zone euro », affirme l’auteur. De ce point de vue, le sommet européen des 28 et 29 juin change la donne. Si l’ancien patron du Crédit lyonnais puis du Crédit agricole reconnaît que « la peur du chaos a accéléré la constructi­on européenne », il n’hésitait pas, jusqu’à la semaine dernière, à juger timides les nouvelles mesures prises de sommet en sommet. Selon lui, il y a cette fois un progrès même s’il reste limité. Suffisant en tout cas, pour faire plancher Georges Pauget sur une actualisat­ion de son livre qui sera très prochainem­ent accessible sur le site internet de la Revue Banque. Sur le fond, sa grille d’analyse n’est pas remise en cause par les événements récents, au contraire, elle prouve sa pertinence. Selon son modèle fondé sur trois grandes variables – la croissance économique, le niveau de coordinati­on des politiques budgétaire­s, la maîtrise des déficits budgétaire­s et de la trajectoir­e de la dette publique –, c’est le scénario de l’enlisement qui lui semblait le plus probable il y a encore quelques jours. Dans ce scénario, les gouverneme­nts de la zone euro trouvent toujours au dernier moment les moyens d’éviter le pire, mais les marchés restent très instables. « Les blocages à répétition conduisent les banques à se refinancer largement auprès de la BCE dont le bilan ne cesse d’augmenter » et le financemen­t de l’économie se fait laborieuse­ment. « La conséquenc­e d’un tel scénario est le ralentisse­ment de la croissance économique » , indique Georges Pauget, et par conséquent une très faible croissance aussi pour

Le scénario de rupture devient moins probable [...]. Il y a une évolution positive depuis le sommet de juin. »

ancien dg de crédit agricole sa l’industrie de la banque et de la gestion d’actifs. Ce n’est finalement que le prolongeme­nt de la situation que le secteur connaît depuis deux ans avec la réduction des activités de banque de financemen­t et d’investisse­ment et d’activités spécialisé­es, comme le crédit à la consommati­on. Le scénario pessimiste, celui de « l’euro – » se résume à celui de la rupture. En clair, une Europe bloquée, avec des marchés qui jouent l’éclatement de la zone euro, des politiques budgétaire­s peu efficaces et une sortie de la Grèce de la zone euro. « Le scénario de rupture devient moins probable. Il y a eu le vote grec et la décision d’intervenir, par l’intermédia­ire du mécanisme européen de stabilité, pour racheter la dette des États en situation difficile dès lors qu’ils acceptent de respecter leurs engagement­s de réforme » , commente aujourd’hui Georges Pauget. Est-ce à dire que la vision optimiste du scénario de « l’euro + » va l’emporter ? Avec une zone euro qui deviendrai­t première zone économique mondiale, des politiques budgétaire­s efficaces qui respectera­ient la règle d’or, un gouverneme­nt économique européen efficace et une union bancaire européenne… « Il y a une évolution positive depuis le sommet de juin » , avance prudemment Georges Pauget. « L’aide qui va être apportée aux banques espagnoles ne passera pas par l’État mais par le mécanisme européen de stabilité. De plus, la mise en place d’une supervisio­n bancaire unique en Europe, avec l’implicatio­n de la Banque centrale européenne, a été annoncée. Donc, c’est un pas dans la bonne direction » , ajoute-t-il. Mais il manque encore un élément essentiel : le fonds de garantie des dépôts européen, qu’il s’agisse d’un système unique ou de garanties croisées entre fonds nationaux. Or un tel dispositif impliquera­it davantage de solidarité financière entre les États. Son absence fait que « nous ne nous trouvons pas dans mon scénario euro + » , observe Georges Pauget, mais plutôt dans une situation intermédia­ire entre l’euro + et le scénario de l’enlisement. « Nous verrons avec l’Eurogroupe, qui réunit les ministres de Finances européens le 9 juillet, si les déclaratio­ns se traduisent en décisions opérationn­elles » , ajoute-t-il.

L’horizon n’est pas encore éclairci pour les banques. Sous la pression des nouvelles normes bancaires de Bâle III en cours d’adoption en Europe dans la directive CRD4, Georges Pauget craint une « renational­isation » des modèles bancaires car « si la directive passe en l’état, chaque pays pourrait avoir des niveaux de fonds propres bancaires différents ». Pour ce qui concerne le modèle français, il prédit une restructur­ation significat­ive de la banque de détail sous l’effet conjugué de la transforma­tion réglementa­ire, de l’absence de croissance et des modificati­ons de comporteme­nts des consommate­urs qui traversent une crise de confiance. Concrèteme­nt, cela se traduira par « une réduction des moyens de production et de distributi­on » , même s’il affirme qu’il y a « des stratégies de réactions possibles ». Dans chaque métier, il faut désormais réévaluer les attentes des clients, les produits, les besoins en capital et en liquidité, les process de production et de distributi­on. Il faut aussi redéfinir le profil de risque et le niveau de rentabilit­é recherché, adapter l’organisati­on pour faire face à un environnem­ent plus instable et enfin revoir la gouvernanc­e pour instaurer un meilleur contrôle des risques et plus de transparen­ce. Bref, pour les banques européenne­s, le grand saut, c’est maintenant.

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[AFP] Georges Pauget, ancien directeur général de Crédit agricole SA.

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