4. Les rapports géopolitiques bouleversés
Tout en augmentant la flexibilité des marchés internationaux du gaz et en desserrant les contraintes physiques, le GNL accroît, paradoxalement, la dépendance de la planète gaz à un fournisseur et un seul : le Qatar. L’émirat, qui a investi des sommes gigantesques ces dernières années pour construire des trains de liquéfaction de GNL, produit à lui tout seul 30 % du GNL échangé en 2011. En attendant que de nouveaux gros producteurs arrivent sur le marché, comme les États-Unis et l’Australie, cela confère au Qatar un rôle clé sur cette matière première stratégique. En particulier pour certains pays, comme le Japon, la Corée, Taïwan et l’Inde, qui dépendent à 100 % du GNL pour leurs importations de gaz.
À l’inverse, les plus importants consommateurs de gaz de la planète, les États-Unis, la Russie, et certains pays du MoyenOrient, comme l’Iran, 3e consommateur mondial de gaz en 2011 devant la Chine, ne dépendent pas, ou très peu, de livraisons de GNL . L’Europe et, dans une moindre mesure, la Chine, sont les seuls où GNL et gazoducs se côtoient et se font concurrence. Il n’empêche que l’AIE met en garde : « tout événement qui conduirait à une diminution des livraisons du Qatar provoquerait des effets […] sévères sur la sécurité énergétique » . Avec en plus des effets dominos. Par exemple, souligne l’AIE, face à une chute de la production qatarie, l’Europe ne pourrait pas se contenter de remplacer les seules importations en provenance de l’émirat (environ 8 % de sa consommation). Le Vieux Continent devrait faire un effort supplémentaire afin de dégager des surplus de gaz pour les pays dont les importations sont, elles, dépendantes à 100 % du GNL. Le Qatar fournit 18 % de la consommation de gaz du Japon, de la Corée, de Taïwan et de l’Inde. Presque la moitié des exportations qataries de GNL y passent.
À l’inverse, la Russie, premier producteur mondial de gaz, qui a fait de son réseau de gazoducs une arme diplomatique, peut, à terme, voir son influence battue en brèche par le GNL . C’est déjà un peu le cas dans son rapport à la Chine. En négociation depuis dix ans avec l’Empire du Milieu pour lui fournir du gaz, la Russie doit être sûre et certaine des volumes livrés et de leur prix. Les investissements d’un tel projet sont en effet colossaux. Pour livrer la Chine, la Russie hésite entre deux schémas : développer des gisements en Sibérie orientale ou en Extrême-Orient, tout en construisant un gazoduc sur la côte est, près des zones de consommation chinoises. Ou vendre à la Chine le gaz des gisements existants en Sibérie occidentale, mais cela nécessiterait un gazoduc plus long, et donc plus cher, pour atteindre les mégapoles chinoises.
En même temps, la Chine, qui table sur un doublement de ses besoins en gaz d’ici à 2017, est en train de s’équiper à la vitesse grand V de terminaux méthaniers. Cinq usines de regazéification fonctionnent. Sept autres sont en construction. Ses importations de GNL devraient en 2017 atteindre la moitié de la capacité actuelle d’exportation du Qatar, selon l’AIE. D’où les hésitations redoublées des Russes !
Non contente d’être en train de se faire souffler la première place mondiale de producteur de gaz par les États-Unis, la Russie, qui possède un tiers des réserves mondiales d’or bleu, se repose sur son puissant réseau de gazoducs. Et enregistre un certain retard sur le