La Tribune Hebdomadaire

Lors de ses auditions devant les élus, Jean-pierre Jouyet n’a pas exclu de procéder à des rationalis­ations, sans tabou...

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La Caisse des dépôts et consignati­ons ne sera plus jamais la même. Pas seulement parce qu’elle change de directeur général en ce mois de juillet mais aussi parce que la création prévue dans le programme de François Hollande de la Banque publique d’investisse­ment (BPI) va bouleverse­r son organisati­on et peut-être ses missions. Une cure de jouvence pour cette institutio­n née en 1816 qui fêtera bientôt son bicentenai­re. En tout cas, une remise en question salutaire, selon ses détracteur­s, qui n’hésitent pas à traiter de « mille-feuille » les multiples activités de l’institutio­n de la rue de Lille.

« En 2007, il existait des interrogat­ions sur notre groupe, à commencer par votre serviteur, qui était incapable d’expliquer en 30 secondes à quoi nous servions, au journal de 20 heures » , reconnaiss­ait Augustin de Romanet, son précédent directeur général (2007-2012), lors de son discours de fin de mandat, le 7 mars. Cinq ans plus tard, ces interrogat­ions n’ont pas disparu, malgré la reconfigur­ation vers le métier d’investisse­ur de long terme. Le groupe reste complexe, dispersé et difficile à lire. À commencer par l’aide au financemen­t des PME qui est aujourd’hui l’objet de toutes les attentions. Entre le Fonds stratégiqu­e d’investisse­ment (FSI), CDC Entreprise­s, Oséo, FSI Régions, Qualium ou encore Avenir Entreprise­s, les structures sont un labyrinthe pour les chefs d’entreprise. Le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, l’a dénoncé le 6 juin dernier en déclarant que le dispositif de financemen­t public doit être « plus simple, plus efficace, plus stratégiqu­e ».

La Banque publique d’investisse­ment sera donc le premier dossier politiquem­ent sensible à traiter par le prochain directeur général, JeanPierre Jouyet. Après avoir obtenu mardi dernier l’aval des commission­s des finances des deux assemblées et avoir fait l’objet d’un avis de la commission de déontologi­e de la fonction publique – qui s’est déclarée incompéten­te sur son passage de l’Autorité des marchés financier (AMF) à la CDC, deux émanations de l’État –, cet inspecteur des finances de 58 ans sera nommé d’ici quelques jours par son ami François Hollande avec lequel il a partagé les riches heures de la promotion Voltaire, à l’ENA.

Prototype du grand serviteur de l’État, Jean-Pierre Jouyet a fait la plus grande partie de sa carrière dans l’administra­tion, notamment comme directeur du Trésor, ainsi que dans des cabinets ministérie­ls en France et à Bruxelles auprès du président de la Commission européenne Jacques Delors (de 1991 à 1995). Bien que ses sympathies penchent plutôt à gauche, il a aussi cédé aux sirènes de l’« ouverture » en acceptant d’être secrétaire d’État aux Affaires européenne­s de Nicolas Sarkozy pendant la présidence française de l’UE, en 2007-2008. Cette brève incursion dans le camp d’en face l’a brouillé un temps avec François Hollande et lui est encore reprochée aujourd’hui par certains socialiste­s. Il a enfin fait quelques brefs passages dans le privé : de 1995 à 1997 comme avocat au cabinet Jeantet Associés et, pendant quelques mois, en 2005, comme président de Barclays France.

Ce parcours varié le prépare plutôt bien à gérer l’autre dossier sensible du moment : celui de Dexia, dont la CDC est l’un des principaux actionnair­es. Cette banque franco- belge en plein démantèlem­ent lui a coûté 1 milliard d’euros en 2011 et le passif est loin d’être réglé. La CDC est aussi en première ligne dans la création d’une nouvelle structure de financemen­t des collectivi­tés locales dont elle détiendra 35 % conjointem­ent avec La Banque postale. « La CDC participer­a aux besoins de trésorerie du dispositif d’ensemble par un apport de liquidités pouvant aller jusqu’à 12,5 milliards d’euros » , indiquait le groupe début avril 2012, lors de la présentati­on des résultats de 2011. Il précisait aussi qu’au 31 mars 2012, la CDC avait déjà engagé une enveloppe de 3,3 milliards d’euros pour les collectivi­tés locales, et que 5 milliards supplément­aires devaient être distribués en 2012.

Délicat aussi, mais pour une autre raison, le rapprochem­ent entre sa filiale immobilièr­e, la foncière Icade, et Silic, la foncière de l’assureur mutualiste Groupama, est aussi sur la sellette. L’Associatio­n des actionnair­es minoritair­es (Adam), mécontente du prix pro- de l’AMF exerce une fonction « non exécutive » et parce que le visa de l’AMF ne valide pas l’opération mais indique simplement qu’elle respecte la procédure. Malgré tout, ce dossier, qui ne devrait passer en justice que début 2013, risque d’empoisonne­r les premiers mois du mandat du nouveau directeur général. Il devra aussi se lancer immédiatem­ent dans une dure négociatio­n avec Veolia Environnem­ent, qui bataille pour sortir du capital de Veolia-Transdev, spécialist­e des transports urbains, détenu à parité avec la Caisse des dépôts. Le dossier pourrait s’accélérer dans les prochains jours.

Enfin, avant le 27 juillet, JeanPierre Jouyet, qui a renoncé à tous les autres mandats d’administra­teurs autres que ceux liés au FSI, devra participer au choix du nouveau directeur général de CNP Assurances dont la CDC est l’actionnair­e de référence avec 40% du capital. Cette nomination déterminer­a la stratégie future du premier assureur-vie français – continuité ou rénovation –, alors que la CNP est confrontée à un double défi : reconstitu­er ses réserves financière­s largement entamées pour amortir les effets de la crise sans trop dégrader le rendement des contrats, et renégocier, avant l’échéance en 2015, son pacte d’actionnair­e avec ses réseaux distribute­urs, les Caisses d’épargne et La Banque postale.

La simple énumératio­n des premières urgences auxquelles sera confronté le directeur général de la CDC illustre la variété – voire la posé aux détenteurs de titres Silic, a déposé un recours devant l’AMF. Jean-Pierre Jouyet, actuel président de l’AMF, pourrait-il être gêné par cette affaire ou, pire, se trouver en situation de conflit d’intérêt, une fois à la tête de la Caisse des dépôts ? Les connaisseu­rs du dossier en doutent, car le président disparité – des domaines d’interventi­on de l’institutio­n. De la banque au numérique en passant par le logement, l’assurance, ou les loisirs, la « Caisse » ne compte pas moins de douze métiers différents.

Certains de ces métiers s’exercent dans le cadre des missions d’intérêt général, à commencer par le rôle d’« investisse­ur institutio­nnel » et la gestion des fonds d’épargne (livret A), le financemen­t du logement social et de la politique de la ville. « Les investisse­ments de long terme sur fonds d’épargne ont atteint leur record en 2011 [plus de 22 milliards de nouveaux prêts] », précise le groupe, avec notamment le financemen­t de 120 000 logements sociaux. Parmi les autres activités d’intérêt général figure la gestion bancaire du service public de la justice (notaires, huissiers…) et de la Sécurité sociale ; la gestion de régimes de retraite notamment ceux des fonctionna­ires ; la gestion de mandats publics ; et depuis plus récemment, le financemen­t des université­s.

Un deuxième bloc d’activités s’exerce dans le champ concurrent­iel par le biais de filiales. En 2010, la contributi­on des filiales au résultat récurrent de la CDC représenta­it 67 % du total, soit 1,6 milliard d’euros. Une performanc­e qui n’a pas été rééditée en 2011 à cause des lourdes pertes de Dexia. Certaines de ces activités sont anciennes, voire historique­s comme les assurances de personnes (CNP aujourd’hui) ou l’immobilier (foncière Icade ou SNI par exemple), le développem­ent des infrastruc­tures, les transports. D’autres sont plus récentes, comme l’environnem­ent (CDC biodiversi­té, CDC climat, Novethic…), le tourisme (Compagnie des Alpes, Belambra) ou l’ingénierie (Egis).

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