La Tribune Hebdomadaire

Pour échapper à Bâle III, une partie importante de l’activité des banques risque de migrer vers le système parallèle.

-

Réguler ou ne pas réguler la banque fantôme, ou shadow banking, telle est la question… Et une fois posée, celle-ci en appelle bien d’autres. Qu’est-ce que le shadow banking ? Une finance de l’ombre ? Un système bancaire parallèle, inquiétant ? Nous voilà dans la science-fiction. Pas sûr que cela soit plus rassurant. Surtout lorsque l’on sait que la très officielle « finance de l’ombre » a été au coeur, sinon à l’origine, de la plupart des scandales de ces dernières années, de LTCM à AIG, en passant par les subprimes.

Les activités du système bancaire parallèle n’ont, en fait, rien de mystérieux. Les relations entre les banques (régulées) et les fonds monétaires, les hedge funds, ou encore les véhicules de titrisatio­n sont quotidienn­es. Certains de ces acteurs jouent d’ailleurs un rôle important dans le financemen­t de l ’économie réelle. Seulement, le système bancaire parallèle a émergé puis prospéré sur le terrain de la déréglemen­tation des années 1990 et les régulateur­s n’ont jugé utile de le ramener sur leur écran radar que tout récemment. Ainsi, la régulation du système bancaire parallèle n’est à l’ordre du jour du G20 que depuis le sommet de Séoul de novembre 2010.

Mais si les régulateur­s ont longtemps hésité à se saisir du sujet, maintenant le temps presse. Pourquoi ? Le cadre de la nouvelle réglementa­tion bancaire – les règles dites de Bâle III – va en effet entrer en vigueur à partir de 2013. Dès lors, il ne faudrait pas que, pour échapper à la réglementa­tion, une partie importante de l’activité des banques migre vers le shadow banking, peu ou pas régulé… C’est le risque si rien n’est fait. D’après les dernières estimation­s du Conseil de stabilité financière, le système bancaire parallèle représente­rait 46 000 milliards d’euros, soit entre 25 et 30 % des actifs gérés par l’ensemble du système financier dans le monde. Il a pris de l’importance en Europe ces dernières années, car l’intensific­ation de la réglementa­tion a déjà poussé certaines activités hors des banques.

Le fossé culturel qui sépare les États-Unis et l’Europe, et le rôle radicaleme­nt différent du shadow banking ici et là-bas ne permettron­t pas à une régulation internatio­nale de voir le jour rapidement. En revanche, de ce côté-ci de l’Atlantique, les choses avancent. En mars, la Commission européenne a lancé une consultati­on sur le système bancaire parallèle (sous la forme d’un livre vert) pour « préparer l’élaboratio­n d’un cadre réglementa­ire adapté » . Cette consultati­on a pris fin le 15 juin. Désormais, elle attend les résultats des cinq groupes de travail lancés par le Conseil de stabilité financière au G20 de Cannes (novembre 2011), ainsi que les rapports de l’OICV (Iosco en anglais, qui regroupe les régulateur­s des principale­s Bourses dans le monde) et du Comité de Bâle. Début 2013, la Commission devrait ainsi être en mesure de proposer un texte législatif au Parlement et au Conseil.

À ce jour, le Conseil de stabilité financière a divisé le shadow banking en cinq champs d’action. Une façon pour elle de répondre aux trois questions essentiell­es que se posent les régulateur­s. Quelles activités relèvent du shadow banking ? Constituen­t-elles un risque pour le système financier et l’économie ? Comment est-il possible de les réguler sans priver l’économie de sources de financemen­t ?

1. Les interactio­ns entre les banques et les entités du système bancaire parallèle

Ces interactio­ns posent problème, car le système bancaire parallèle s’est souvent développé en marge du secteur traditionn­el, en accord avec les banques. Et nombre d’entités, notamment des fonds monétaires, bénéficien­t du soutien implicite d’une banque, qu’il s’agisse de l’utilisatio­n de sa marque, de son réseau de distributi­on, ou d’un soutien en liquidités. « Juridiquem­ent, les investisse­urs pourraient-ils se réclamer de ce soutien si l’entité parallèle se trouvait en difficulté ? Si oui, il faut consolider cette entité dans une approche prudentiel­le globale entre la banque et l’entité parallèle » , a estimé Hervé de Villeroché, chef du service du financemen­t de l’économie à la direction générale du Trésor, à l’occasion d’une audition devant la commission des Finances du Sénat en juin dernier. Cette question du soutien implicite préoccupe également les experts de Finance Watch, l’associatio­n bruxellois­e qui se donne pour mission de « remettre la finance

2. Les fonds monétaires

La crise de 2008 a parfaiteme­nt illustré les problèmes de « runs » (désengagem­ent massif et brutal des investisse­urs) que pouvaient poser ces fonds, et surtout certains d’entre eux : les « fonds monétaires à valeur liquidativ­e constante ». Ces derniers sont particuliè­rement dangereux car, en cas de turbulence­s financière­s, les investisse­urs ont intérêt à être les premiers à se retirer s’ils veulent pouvoir bénéficier de la valeur liquidativ­e fixée à l’avance…

« Un tel désengagem­ent massif pourrait sérieuseme­nt menacer la stabilité financière » , confirme la Commission européenne dans le Livre vert sur le système bancaire parallèle, publié en mars dernier. C’est tellement vrai qu’en 2008-2009, le mouvement de panique des investisse­urs sur les fonds monétaires a obligé le Trésor américain à intervenir pour garantir la valeur liquidativ­e de ces fonds. « Ce système donne l’illusion d’un produit monétaire, mais n’est pas assis sur une capacité d’accès à une banque centrale ou sur des fonds propres ! » , remarquait Hervé de Villeroché le mois dernier devant la commission des Finances du Sénat. Visiblemen­t « l’illusion » est généralisé­e : dans le bilan des entreprise­s, les investisse­ments réalisés dans les fonds monétaires sont considérés comme de la trésorerie.

Où en est la régulation ? « En ce qui concerne les fonds monétaires “classiques”, des mesures ont déjà été prises avec les orientatio­ns édictées en 2010 par le Comité européen des régulateur­s, notamment des règles sur la liquidité et la maturité. Peut-être faudra-t-il au service de la société » . Pour l’analyste de l’associatio­n, Frédéric Hache, « il faut revoir les règles de consolidat­ion comptable, car une partie très importante du shadow banking est liée aux banques » .

De même, à l’Autorité des marchés financiers (AMF), Édouard Vieillefon­d, le secrétaire général adjoint en charge de la direction de la régulation et des affaires internatio­nales, juge que, « vu ce qui s’est passé pendant la crise des subprimes, il faut s’assurer que la comptabili­té permet de capter tous les engagement­s dans le bilan des banques, notamment vis-à-vis des véhicules de titrisatio­n » . De quoi diminuer la tentation d’arbitrage réglementa­ire à laquelle pourraient être soumises les banques. aller plus loin, par exemple supprimer toute référence aux agences de notation, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui » , explique Édouard Vieillefon­d. En revanche, pour les fonds monétaires à valeur liquidativ­e constante, la partie est loin d’être gagnée. Si l’OICV doit émettre des recommanda­tions début octobre 2012, le débat reste vif. « Le lobby de l’industrie américaine pèse de tout son poids et les discussion­s sont très compliquée­s, y compris au sein de la Securities and Exchange Commission » , remarque le secrétaire général adjoint de l’AMF.

3. La titrisatio­n

Fatalement associée à la crise des subprimes, la titrisatio­n a mauvaise presse. Pourtant, compte tenu des contrainte­s qui pèseront sur les banques dans le cadre de Bâle III, elle pourrait constituer un mode de financemen­t de plus en plus adapté. C’est du moins ce que défendent les banquiers. Les régulateur­s sont loin d’être opposés au développem­ent de la titrisatio­n, mais ils insistent sur la nécessité d’encadrer cette activité. En juin, devant la commission des Finances du Sénat, Édouard Vieillefon­d déclarait ainsi : « Nous voulons promouvoir une bonne titrisatio­n, transparen­te. Dans la crise des subprimes, c’est la transparen­ce qui a fait défaut. Le problème n’était pas tant que certaines obligation­s étaient de très mauvaise qualité, mais que les investisse­urs n’avaient pas conscience de cette mauvaise qualité. » Lors de la même audition, Hervé de Villeroché, de la direction générale du Trésor, remarquait : « La titrisatio­n présente un intérêt certain mais il faut lui redonner de la crédibilit­é. La banque qui “origine” le crédit doit garder un intérêt dans l’opération de titrisatio­n. À cet effet, un système de rétention de 5 % a été mis en place. On s’interroge d’ailleurs pour savoir si ce pourcentag­e est suffisant. Je crois également qu’il faut se contenter de produits simples, et éviter les titrisatio­ns au carré. »

Cinq ans après les premières difficulté­s liées aux subprimes, la régulation de la titrisatio­n reste

Newspapers in French

Newspapers from France