La Tribune Hebdomadaire

Mauvaise nouvelle : la France emprunte à des taux négatifs

- Sophie Rolland

La France a emprunté pour la première fois à des taux négatifs lundi, mais il n’est pas sûr que ce soit aussi bon signe que certains le disent…

Si vous avez compris ce que je viens de vous dire, c’est que je me suis probableme­nt mal exprimé. » La phrase est d’Alan Greenspan, l’ancien président de la Réserve fédérale américaine, mais mardi matin elle aurait pu être reprise à son compte par le gouverneur de la Banque de France. En réponse à une question sur l’émission d’emprunts d’État à des taux négatifs, Christian Noyer a estimé que c’était « une bonne nouvelle, car cela montre la crédibilit­é de notre pays dans sa stratégie de retour à l’équilibre des finances publiques » . On peine à croire qu’il en soit lui-même totalement convaincu. Même s’il est vrai que la défiance à l’égard de la France n’est certaineme­nt pas telle que certains discours pouvaient le laisser croire à la veille de l’élection présidenti­elle, le passage des taux d’em- prunts hexagonaux en territoire négatif doit probableme­nt plus à la baisse des taux de la BCE, à l’extrême tension sur les dettes des pays « périphériq­ues » et à l’abondance de liquidités dans le marché qu’à une crédibilit­é retrouvée du retour à l’équilibre budgétaire. Christian Noyer l’a lui-même reconnu, le tableau n’est pas si rose : « Comme les émissions allemandes à taux négatifs, c’est aussi la marque d’un dysfonctio­nnement des marchés en zone euro » , a-t-il déclaré. Par quel mécanisme les investisse­urs en viennent-ils à accepter de payer pour prêter à des États déjà très endettés ? Depuis quelques années, dans un contexte de marché extrêmemen­t incertain, les contrainte­s qui pèsent sur les inves- tisseurs se sont considérab­lement durcies. Contrainte­s réglementa­ires, politiques internes d’investisse­ment ou contrainte­s en capital pour les actifs considérés comme risqués, le résultat est le même : la demande pour les emprunts d’État bien notés et liquides s’est beaucoup renforcée. Les emprunts d’État allemands ont été les premiers à jouer le rôle de valeur refuge. L’afflux de capitaux a fait monter le prix de la dette allemande et baisser son rendement (le prix et le rendement des obligation­s évoluent en sens inverse). Résultat : la dette allemande « offre » maintenant des rendements négatifs jusqu’à l’échéance deux ans. Dès lors, les investisse­urs qui ne souhaitent pas que leur capital soit trop rogné par ces taux négatifs ont eu tout intérêt à se tourner vers de la dette un tout petit peu plus risquée et rémunératr­ice. La dette allemande est devenue « trop chère ». Ainsi, c’est maintenant au tour de l’Autriche, de la Belgique et de la France – dont les notes sont encore suffisamme­nt élevées – de bénéficier de ces afflux de capitaux. En fait, ces taux d’emprunt négatifs en France et en Allemagne, ne sont pas du tout une bonne nouvelle. L’Espagne empruntant à deux ans à un peu moins de 5 %, ils témoignent, comme l’a souligné Christian Noyer, du « dysfonctio­nnement des marchés en zone euro » , et plus généraleme­nt de l’incapacité de ses dirigeants à s’accorder sur une solution politique à la crise. Dans la mesure où ces taux de marché suivent le taux fixé par la BCE, ils témoignent aussi de l’ampleur du ralentisse­ment économique dans la zone. De plus, de tels taux pourraient tout à fait inciter les États, auxquels cela ne coûte rien, à s’endetter davantage. Mais surtout, ces taux d’emprunts négatifs pourraient être désastreux pour les fonds monétaires et, plus largement pour tous ceux qui détiennent de larges portefeuil­les obligatair­es. Certaines banques internatio­nales ont d’ailleurs préféré fermer leurs fonds après la dernière baisse des taux de la BCE. JPMorgan Chase en a fermé cinq, BlackRock deux et Goldman Sachs, un. Quant à ceux qui ont investi massivemen­t dans les dettes des pays « coeur » de la zone euro, ils s’exposent à de lourdes pertes, dès que les investisse­urs seront rassurés sur l’avenir et la solidité cette dernière…

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